Pseudovalvata

Arnould LocardLa Pseudoconchyliologie Essai monographique sur divers Animaux Crustacés, Insectes ou Vers confondus avec les Mollusques, Lyon, Annales de la Société  d’Agriculture, Science et Industrie de Lyon,  1896, tome 4, 1897, pp. 241-248.

Pseudovalvata

En 1857 Luiggi Benoit, de Messine, figura sous le nom de Valvata crispata (1) deux prétendues coquilles tout à fait analogues et comme taille et comme galbe, à une Valvée du groupe du Valvata piscinalis (2). Comparé à cette dernière espèce, le valvata crispata s’en distingue au premier abord, par son galbe un peu plus élevé ; ses tours semblent très régulièrement arrondis, l’ombilic est grand et évasé ; la taille est de 4 millimètres pour la hauteur, avec un diamètre de 5 millimètres. Mais ce qui particularise tout spécialement cette forme, c’est que le test est comme recouvert d’une multitude de petits graviers ou grains de sable, juxtaposés les uns contre les autres, de grosseur progressive à mesure qu’ils se rapprochent de l’ouverture.

Un peu plus tard, en 1858, un autre naturaliste italien, M. Tassinari, décrivit sous le nom de Valvata agglutinans (3) une autre forme tout à fait analogue à la précédente, sa taille est un peu plus petite, son galbe un peu plus déprimé, l’ombilic plus étroit, mais son ensemble est bien encore celui d’une Valvée, tout comme celui du Valvata crispata. En outre son test est également couvert de graviers agglutinés mais ceux-ci sont plus grossiers et un peu plus irréguliers. M. H. Drouët (4), en rendant compte du mémoire de M. Tassinari, s’exprimait ainsi au sujet de cette « curieuse Valvée » : Une des particularités de ce « Mollusques, c’est de consolider sa mince et fragile demeure en la recouvrant de petits grains de sable ». Ce fut cette appréciation erronée, due à la plume d’un spécialiste, qui donna lieu à la note de Bourguignat à laquelle nous avons fait allusion au commencement de ce mémoire (5). «  Cette curieuse Valvée, cette intéressante coquille, disait Bourguignat, n’est autre chose qu’une enveloppe de larve de Névroptère de l’ordre des Phryganides ». Du reste, Benoit, lui-même, dans son ouvrage, l’avait également reconnu(6).

Ainsi donc, voilà un premier fait bien établi et qui peut éclairer les naturalistes sur un chapitre encore peu connu de l’Histoire Naturelle, il existe en Italie une Phryganide dont la larve se tisse une enveloppe affectant absolument la forme d’une Valvée et qui pour consolider sa retraite, la revêt à l’extérieur de grains de sable ou de graviers solidement agglutinés (7).

Mais l ‘Italie n’a pas le monopole de ces Pseudovalvées. Nous allons encore en retrouver dans d’autres pays. Lea le grand naturaliste américain, a décrit et figuré en 1834,  (8)sous le nom de Valvata agglutinans et V. arenifera, deux autre Pseudovalvées, de l’Amérique du Nord, d’une allure absolument similaire à celle d’Italie. Plus tard, Gruner, en 1857, reproduisit (9), d’après Lea, ces prétendues coquilles.

En 1840, Swainson reçut du Brésil deux échantillons analogues pour lesquels il créa le genre Thelodomus (10). Frappé des caractères si particuliers de ces formes, il établit un rapprochement tout naturel entre elles et le Trochus agglutinans (11) qui, lui aussi, recouvre son habitat de débris de toutes sortes. Mais, si l’habitat du Trochus agglutinans est bien en rélité une coquille, il n’est pas de même de l’habitat des Valvata agglutinans et V. arenifera (12), ainsi qu’il est possible de s’en convaincre. En effet, si la véritable coquille n’a qu’une seule ouverture à chacune de ses extrémités. Sans doute le plus petit de ces orifices logés au sommet de la pseudocoquille a échappé aux observations des naturalistes qui ont ainsi confondu une coquille avec un tube plus ou moins conique et contourné. Dans une courte notice  (13) parue la même année, J.-E. gray, releva l’erreur commise par Swainson, et démontra l’inutilité du genre Thelidomus pour de telles formes.

Quant au Valvata arenifera de Lea, le savant naturaliste suisse, Bremi, y reconnaît l’œuvre d’une Phryganide à laquelle il donna le nom de Helicopsyche Schuttleworthi. On doit à MM. Hagen, Mac Lachlam et F. Müller divers intéressants mémoires (14) dans lesquels sont décris «  les demeures de plusieurs insectes et en particulier de ceux connus sous le nom d’Helicopsyche, dont le fourreau affecte plus spécialement des formes de coquillages.

Il existe également en France de semblables formes, on les attribuait à une Tineite, le Tinea helicoïdella  «  Je l’ai fréquemment trouvé, dit Amoureux (15) sur les oliviers des environs de Montpellier ; on pourrait l’appeler porte-maison, parce que le ver s’en construit une de grains de sable et de terre rougeâtre, tapissée intérieurement de soie blanche, enforme de limaçon ou de spirale, et qu’il charre avec lui (16).

Tout récemment le R.P. Hervier, procureur général des Pères Maristes, nous a remis deux échantillons provenant de la Nouvelle-Calédonie, et ayant absolument le galbe d’une Valvée, ils mesurent 8 millimètres de diamètre, et répondent à une forme comprimée et assez largement ombiliquée ; leur surface est recouverte de grains de sable et de pierres assez grosses, très irrégulièrement réparties. C’est donc encore un nouvel habitat à signaler pour ces Phryganides se construisant des demeures en forme de Valvées (17).

Ces pseudovalvées, le fait est aujourd’hui bien démontré, ne sont donc que de simples tubes servant de refuge à la larve d’un insecte Névroptère de la famille des Phryganiens ou Tricoptera. Ces Phryganides sont bien connus, les pêcheurs les qualifient, à l’état larvaire, de cassets, charrés, porte-bois, porte-sable ; à l’état parfait, ils les nomment mouches printanières, mites aquatiques, papillons d’eau, mouches caddis, mouches tubulaires, mouches à fourreau, etc. ; dans l’Est on les désigne sous le nom de cardeuses, vers à coque, vers pudibonds, etc. Réaumur les classait dans ses Teignes aquatiques. A l’état larvaire, leur corps mou et délicat est protégé par des fourreaux dans lesquels l’animal se cramponne à l’aide de deux crochets placés à l’extrémité de l’abdomen. A l’état adulte, ils ressemblent beaucoup à des Papillons, et forment ainsi une sorte de passage entre les Névroptères et les Lépidoptères.

Ce fourreau des Phryganides consiste en un étui soyeux ou coque, ouvert à ses deux extrémités ;il est ensuite recouvert à l’extérieur par des corps étrangers de toute nature, brindilles de bois ou de feuilles, grains de sable ou graviers, petits Mollusques aquatiques tels que Planorbe, Valvées, Limnées, Bythinies, Bythinelles, etc. « Il est bien clair dit Brehm (18), qu’une seule et même espèce n’emploie pas toujours les mêmes matériaux pour former sa coque, mais il est certain que chacune d’elles conserve toujours le même type de construction et ne s’en écarte qu’autant que la nécessité s’impose, et l’oblige à mettre en œuvre les matériaux qu’elle a à sa disposition. Du reste, les espèces très nombreuses, malgré les travaux de Pictet, ne sont pas encore étudiées depuis assez longtemps pour qu’on puisse deviner quelle sera le Phryganide qui sortia d’une coque donnée, ou pour qu’on puisse établir à cet égard les principes généraux (19) ».

Il serait pourtant fort intéressant de savoir si c’est bien la même espèce ou tout au moins si ce sont des formes particulièrement affines qui donnent ainsi à leur demeure le galbe d’une Valvée, en Italie, au Tennesse ou en Calédonie. Cette similitude de forme adoptée par quelques êtres seulement d’une grande famille, et cela dans des pays aussi distincts, n’en est pas moins fort curieuse. Certes, on ne peut attribuer au simple hasard pareille coïncidence ; aussi nous nous demanderons pour quelles raisons deux êtres aussi différents qu’un Insecte et un Mollusque, mais vivant dans  un même milieu, arrivent à donner à leur habitat une forme similaire aussi particulière. Les partisans de la théorie du mimétisme ne manqueront pas, sans doute de faire valoir que la Phryganide d’origine plus récente (20) que la Valvée, vivant avec elle dans les mêmes eaux, a cru devoir façonner comme elle son fourreau protecteur ; en agissant ainsi elle a pu se mettre mieux à l’abri des attaques qu’elle peut avoir à subir ; en enduisant sa mince demeure de sables et de graviers, elle devient susceptible d’offrir à ses ennemis une retraite aussi solide, aussi résistante que celle des Mollusques.

Il est bien certain que nombre de poissons ou d’oiseaux sont particulièrement friands de la larve d’une Phryganide ; les pêcheurs à la ligne le savent bien ! mais l’insecte échappera-t-il plus facilement à son ennemi si sa retraite est en spirale au lieu d’être rectiligne ? nous ne le pensons pas. Que dire alors, lorsque nous constaterons que ces mêmes Phryganides affectent également des formes droites ou arquées comme celles des Dentalium ? La théorie du mimétisme ne peut plus être invoquée en pareil cas ; car si nos larves ont pu prendre modèle sur une coquille des eaux douces qui vit en sa compagnie, comment peut-on lui supposer l’idée de mimer une coquille essentiellement marine comme celle du Dentalium ? Si la forme droite est la plus simple, la forme enroulée n’en est pas moins tout aussi naturelle ; nous en avons de bien nombreux exemples dans la nature ; et si certaines Phryganides ont donné la préférence à cette dernière disposition, ils n’ont fait qu’obéir à des lois très générales, agissant ainsi à la façon d’autres êtres vivants dans les mêmes conditions.

Les Phryganides ne sont pas les seuls animaux dont les larves s’abritent sous une enveloppe en forme de coquille de Mollusques. Chez les Papillons, les Psychés à l’état larvaire se confectionnent une retraite tout à fait analogue à celle des Phryganides.

 (1)  Luiggi Benoit, 1857. Ill. sitemat. Sicilia, pl. VII, fig. 32 et 33. (2)  Valvata, Müller, 1774. Verm. terr. fluv. hist.., II, p. 198. (3)  Tassinari, 1858. Molluschi fluviatilid Italici nova species, 1 br. In-8, 2p. (4)  H.Drouët, 1859. Lettre conchyliologique, in Guérin-Méneville, Revue et Magasin de zoologie, p. 497. (5)  Bourguignat, 1860. Lettre à M. Guérin-Méneville, in Revue et Magasin de zoologie, p. 158-159.

(6)  L. Benoit, 1857, loc. cit., p ; 168 : notre Valvata crispata (pl. VII, fig. 32-33) doit être rapporté à l’enveloppe de la larve d’un Névroptère de l’ordre des Phryganides.

(7)  Le Dr Hagen, in Entomolog. Zeiting Stettin, t. XXV, p. 130 a désigné l’espèce obersvée par Tassinari sous le nom d’Helocopsyche agglutitinans. (8)  Lea, 1834. In Transact. of the Americ. Philo. Soc., t. IV, p. 104, pl. XV, fig. 36, A-B. (9)  Gruner, 1857, Vezeich. das Conch., p. 30. (10)  Swainson, 1840. A Treatise on malacology, p. 227, 353. (11) Trocus agglutinus, Brocchi, 1814. Couch. Foss. Subapin., p ; 358. (12) Von Franenfeld, 1865. Verzeichniss der namen arten der Gattung Paludina, Lam., p ; 7 et 14. (13) J.E. Gray, 1840. On the Freshwater Carriers, or Thelidomus of Mr Swainson, in Ann. nat. hist.. Lond., t ; V p ; 257.

(14) H.Hagen, 1864. Ueber Phryganiden-Gehause, in Entomol. Zeitung Stettin, t. XXV, p. 113 et suiv. – Mac Lachlam, Monographic Revision and Synopsis of the Trichoptera of European fauna.- Dr F. Müller, 1880. In Zeitschrift für vissenschaftliche Zoologie, t. XXXV, p. 47-48.

(15)  Amoureux, 1754. Traité de l’Olivier, p ; 238. (16) Vallot, 1818. In Mém. Acad. Dijon, 1842, p. 52 ; 1849, p. 91. (17) Le Dr Hagen (loc. cit., p. 129) indique également un Helicopsyche, en Nouvelle-Calédonie, mais sans en donner le nom. (18) Brehm, Les Merveilles de la Nature, Insectes, t. I, p. 513.

(19) On lit dans le Grand Dictionnaire de Larousse, à l’article Phryganides : «  Quelques-unes pénètrent dans la  coquille d’un Mollusque sans en attaquer l’habitant avec lequel elles paraissent vivre en bonne intelligence ». Pareille assertion nous semble au moins douteuse, et rentre dans le pur domaine de la légende. Sans doute on a pris pour de véritables coquilles de Mollusques le fourreau normal d’une Phryganide affectant précisément une des formes que nous décrivons ici.

(20) Les Phryganides ont joué leur rôle dans les temps géologiques. Brodie (1834) Uebertsicht der Arbeiten der Schlesischen Gesellschaft, p. 92) en signale deus espèces dans les terrains Wealdiens du Wiltshire. On retrouve des tubes de Phryganides dans certains d’eau douce du midi de la France connus sous le nom de calcaires à indusies. Les plus anciennes Valvées remontent aux dépôts du Norwish crag d’Angleterre, c’est-à-dire au pliocène supérieur. Le Serpula ornata, de Lea (1833. Contrib. of Conch., p. 37, pl. 1. Fig. 5), et le Serpula granifera, de Say ( in Morton), du terrain tertiaire du Maryland, sont très vraisemblablement, comme l’a fait observer Bourguignat ( loc. cit., p ; 159) des tubes fossiles de larves d’insectes.

Arnould Locard , La Pseudoconchyliologie Essai monographique sur divers Animaux Crustacés, Insectes ou Vers confondus avec les Mollusques, Lyon, Annales de la Société  d’Agriculture, Science et Industrie de Lyon,  1896, tome 4, 1897, p. 241-248.