Dégorgeant sur elle une humeur visqueuse et tenace

André -Marie Constant Duméril, Considération générale sur les insectes, Paris, F. F. Levrault, 1823, p. 69-70.

Les phryganes (pl 28 n°1) et les perles (pl 27 n°9) passent la plus grande partie de leur vie dans l’eau, sous les deux états de larve et de nymphe et ne paraissent dans notre atmosphère que quand elles ont des ailes qu’elles sont en état de propager leur race et d’en déposer les rudiments dans des lieux convenables à leur développement. Peu de jours suffisent pour les voir s’accoupler, pondre et mourir: aussi sous l’état parfait ces insectes sont ils dénué de moyens de défense. Mais en étudiant la manière de vivre particulière à chaque espèce, on voit bien que sa larve use : par instint des artifices les plus propres à tromper l’œil de son ennemi. L’une de ces espèces, par exemple, se développe parmi les roseaux des étangs, elle se file un fourreau d’une matière imperméable à l’eau: elle coupe des tranches de feuilles de plantes aquatiques ou des brins d’herbes, elle les colle suivant leur longueur sur le cylindre creux dans lequel elle habite, et ressemble ainsi, par la forme et la couleur de son enveloppe à une tige rompue de la plante dont elle se nourrit.
Une autre, qui se repaît des feuilles de naïdes et en particulier de celles de Lemnas et des Callitriches, fixe aussi sur son étui des fragments de feuilles, qui ne cessent pas de croître et communiquent le mouvement à ces petits végétaux: la larve de la phrygane paroït les douer d’une nouvelle vie, qui contraste singulièrement avec l’immobilité des eaux dans lesquelles elle séjourne d’ordinaire.
Quelques autres attaquent les prêles, les joncs, les graminées aquatiques elles en contournent diversement des portions (pl 28 n°3) et s’en font artistiquement des demeures dans lesquelles leur vie est parfaitement en sûreté.
Enfin une autre espèce non moins adroite et curieuse à observer (pl 28 n°2) se rencontre dans les eaux vives et rapides: pour ne point être entrainée par le courant, elle colle à son fourreau les petites coquilles qu’elle rencontre, en dégorgeant sur elle une humeur visqueuse et tenace, lors même qu’elles renferment encore leurs habitants qu’elle semble ainsi forcer à devenir ses satellites et ses protecteurs obligés.
Telles sont les ruses au moyen desquelles ces larves, qu’on nomme vulgairement des Casets, échappent à la voracité des poissons qui en sont fort friands;