Un petit fagot de broutilles de bois

Jean TaillemagrePleine Terre, Paris, Stock/nature, 1978, p. 250-251.

Je m’apprêtais à quitter le ruisseau quand j’aperçus, posé sur le fond, là où une courbe avait rompu la force du courant, le rendant quasiment nul sur quelques mètres, un petit fagot de broutilles de bois qui, au lieu d’être roulé par le courant, allait inexplicablement en aval, puis s’arrêtait, repartait à droite,  à gauche, comme tiré par un invisible cordage. Avisant un pied d’osier sauvage, j’en coupai une longue tige et, armé de la gaule, attirai vers moi quelques-unes de ces fantasques brindilles. A genoux et penché, je vis alors que chaque fétu avait des pattes et ne tête. C’étaient des larves de phryganes  qui voyageant protégées de fâcheuses rencontres par un camouflage fait de bûchettes trouvées sur place à leur naissance ; d’autres utilisent des fragments de végétaux verts, des graviers, des feuilles mortes, des débris de coquillages, d’où les noms familiers et symboliques décernés aux bestioles : porte-sable, porte-feuille, porte-bois, et qui restent même accolés aux insectes adultes munis d’ailes.  Pour fabriquer le fourreau dans lequel elle s’enfermera, la larve nue reconnaît, choisit les matériaux qui lui conviennent, puis bâtit une voûte soutenue et liée par des fils de soie sécrétés par des glandes situées à sa bouche. A son tour le plancher est constitué par des fragments toujours de même longueur disposés transversalement, qui finissent par former un étui à peu près cylindrique ayant une ouverture plus large que l’autre. L’intérieur de l’original étui est tapissé d’un tissu de soie bien lisse, qui durcit promptement au contact de l’eau. L’ouvrage terminé la larve disparaît entièrement sous cette enveloppe. Quand elle veut circuler, elle sort du fourreau sa tête et ses pattes thoraciques, les seuls qu’elle possède, et avance traînant sa demeure comme le limaçon sa coquille.

J’ai laissé les phryganes poursuivre leur marche hésitante au fond de l’eau…