Pierre Déon, Spécial Mare, Buzancy, La Hulotte, n° 21, 1977, p. 32-33.
Les larves de phryganes
Trimer un an au fond de la mare pour passer quelques jours au soleil, c’est bien triste…
Tous les garnements qui passent leur jours de congé à la pêche et qui, par extraordinaire m’écoutent aujourd’hui, connaissent bien les célèbres « bêtes de bois » encore appelées « porte-bois », « charpentiers », « traîne-bûches » et autres surnoms folkloriques. Ce sont des larves plus ou moins verdâtres qui rampent sur le fond des ruisseaux et qui, pour passer inaperçues, se confectionnent un fourreau construit avec les matériaux les plus divers. Leur costume se confond si bien avec le milieu dans lequel elles se tiennent qu’il est difficile de les apercevoir tant qu’elles ne se déplacent pas. Ce qui nous étonne, c’est la grande diversité des fourreaux fabriqués par les différentes larves de Phryganes. Chaque espèce – et elles sont fort nombreuses – se caractérise par ses petites manies d’artisan, ses habitudes de métier, ses secrets jalousement gardés et transmis de père en fils (*)
Par exemple, la Phrygane striée découpe des bûchettes bien régulières dans des débris des plantes et les assemble en spirale (n°4).
La Glyphotaelius Punctatolineatus (**) se dissimule sous des feuilles découpées et assemblées par lui-même qu’il remplace régulièrement au fur et à mesure qu’elles se fanent (n°5).
Le Limnophilie Sparsus, son compère, cherche à l’imiter mais, comme vous pouvez le constater, il obtient un résultat franchement différent (n°7).
Et le Crunoecia direz-vous, comment s’y prend le Crunoecia ? Et bien, il se bricole, à l’aide de menus morceaux de bois un petit conduit à section carrée (n°9) mais dont l’intérieur est parfaitement rond et lisse, ceci afin de ne pas irriter l’épiderme délicat du propriétaire. Un petit dur à peau fragile, ce Crunoecia !..
Les Phryganes qui vivent dans les ruisseaux à eaux courantes sont obligées, elles de se lester solidement si elles ne veulent pas être charriées au loin comme des vulgaires galets. Elles se construisent donc un tube fait de lourds cailloutis et donnent parfois de surplus à leur fourreau l’aspect d’une corne, forme bien propre à ancrer fermement l’édifice. (n°8)
Mais attention ! L’identification des « bêtes de bois » n’est pas toujours aussi simple : certaines espèces font en effet preuve de mauvaise volonté en fabriquant des fourreaux complètement différents d’un individu à l’autre. Témoin : la Phrygane Rhombifère qui se confectionnera aussi bien un costume en bûchettes (n°3) qu’un smocking à base de planorbes (n°2) à moins qu’elle ne fasse un habile mélange des deux (n° 1). Tout dépend de ce qui lui tombe sous la patte.
Vous pourriez très facilement voir les Phryganes construire leur fourreau. Il suffit pour cela de chasser la larve de son appartement en la poussant par derrière avec la tête- non pointue, pour ne pas la blesser- d’une épingle. Indignée par cette marque flagrante d’irrespect, le vermisseau sortira bien vite de sa réserve. Vous en profiterez pour remarquer sur son abdomen de nombreux filaments qui sont les branchies grâce auxquelles elle respire. En mettant le pauvre exproprié dans un pot, vous le verrez bientôt reconstituer l ‘abri disparu avec tout ce que vous voudrez bien mettre à sa disposition : cailloutis, mini-bûchettes, coquilles de très petites tailles et même des ingrédients de farceur tels quel perles ou débris de plastique. Pour assembler le tout elle utilise, à l’exemple des chenilles des papillons, un fil de soie super solide secrété par une glande proche de la bouche.
(*) Faux ! Les larves de Phryganes n’ont jamais vu leurs parents. Encore une erreur de ce genre et tu es renvoyé !
(**)Le premier qui parvient à répéter le nom de cette phrygane 10 fois de suite sans se tromper gagne une solide poignée de mains à venir chercher au journal.