Editorial

Enfin, lorsque vous êtes intensément soulevé par ce sujet, vous ne pouvez  manquer de tracer de grandes baleines dans les cieux étoilés, avec des baleiniers qui les pourchassent ; de même que lorsqu’elles étaient toutes remplies de pensées de guerre, les nations de l’Est virent des armées en bataille dans les nuages. Ainsi, ai-je cherché le léviathan dans le ciel du Nord, autour du Pôle, dans les mille révolutions des étoiles brillantes qui me l’avaient d’abord montré. Et, sous les cieux resplendissants antarctiques, j’ai abordé la nef Argo et me suis joint à la chasse de l‘étoile “Cétus”, loin au-delà de l’extrême déploiement de l’Hydre et du Poisson Volant.

Herman Melville, Moby Dick, traduit de l’anglais par Lucien Jacques, Joan Smith et Jean Giono, Gallimard, 1941.

Nor when expanding lifted by your subject, can you fail to trace out great whales in the starry heavens, and boats in pursuit of them ; as when long filled with thoughts of war the Eastern nations saw armies locked in battle among the clouds. Thus as the North have I chased Leviathan round and round the Pole with the revolution  of the bright points that first defined him to me. And beneath the effulgent Antartic skies I have boarded the Argo-Navis, and joined the chase against the starry Cetus far beyond the utmost stretch of Hydrus and the Flying Fish.

Herman Melville, Moby Dick, New York, Harper & Brothers,  1851.

Miroir du Trichoptère / The Caddisfly’s Mirror

Hubert Duprat fait réaliser des tubes précieux à des Trichoptères, depuis le début des années 1980. En 1983, il dépose un brevet. Parallèlement à son travail d’artiste, il éprouve le besoin de se documenter sur l’animal, et découvre avec surprise que d’autres avant lui – Miss Smee, par exemple, dès 1863 – ont réalisé des expériences in vitro. C’est alors qu’il commence à acquérir systématiquement tout ce qu’il trouve sur les Trichoptères, non pas en entomologiste qu’il n’est pas, ni même en éthologiste spécialisé, mais en curieux, puisque ce qui l’intéresse avant tout est la larve et sa capacité à fabriquer un fourreau. Ainsi est née l’impressionnante trichoptérothèque obsessionnelle, que nous avons présentée  pour la première fois publiquement, sous la fiction de la Dernière Bibliothèque, en juin 2012, à LiveInYourHead, espace d’exposition de la HEAD-Genève. On pourrait croire la littérature trichoptérienne fort éloignée de l’art, si l’on accorde à ce dernier un sens étriqué. Il n’est que de lire ou relire Jean-Henri Fabre pour s’apercevoir que les jugements esthétiques sont partout présents. Du reste, la littérature trichoptérienne (quelques 1600 entrées) ne comporte pas uniquement des études entomologiques. Elle témoigne aussi de l’intérêt que les pêcheurs au lancer portent à  la larve. La littérature destinée à la jeunesse ne manque pas non plus de citer l’animal. Jusqu’à des romanciers, des poètes, dont quelques célébrités… L’iconographie du Trichoptère, que nous mettons aussi progressivement en ligne, est, quant à elle, une belle leçon d’histoire de l’illustration scientifique. Pour réunir sa documentation, Hubert Duprat est entré en contact avec de nombreux chercheurs et a visité maintes bibliothèques. On en trouvera la liste dans notre colophon fleuve. Il a aussi rencontré sur son chemin des musées qui l’ont précédé : celui de Moretti à Pérouse, ou celui d’Isao Yokota, à Iwakuni, au Japon. Mais quoi ? — La Trichoptérothèque, ou « Dernière Bibliothèque », ou « Miroir du Trichoptère », relève-t-elle de la « recherche » (scientifique, artistique) ou de la Pataphysique ? — On laissera la réponse patauger dans la mare de l’indécidable.

Hubert Duprat has been inveigling caddis larvae to make precious cases since the early 1980s. In 1983, he filed a patent application. In tandem with his work as an artist, he felt a need to find out about this animal, the caddis fly (order Trichoptera), and discovered to his surprise that others before him –Miss Smee, for example, in 1863– had conducted in vitro experiments. It was then that he began to systematically lay his hands on anything and everything he could find about caddis flies, not as an entomologist, which he is not, nor even as a specialized ethologist, but out of pure curiosity. Because what interests him above all is the larva and its ability to manufacture a case.  This is how the impressive, and obsessive, Trichoptera Centre and Library has come into being, which we first publicly presented, with the invention of the “Last Library”, in June 2012, at Live in Your Head, the exhibition venue of the Geneva-based HEAD (Advanced School of Art and Design).
You might be excused for thinking that the caddis fly literature is far removed from art, if we hang a narrow meaning on the word. All we have to do, however, is to read and re-read Jean-Henri Fabre to realize that aesthetic judgments are to be found here, there and everywhere.  What is more, the Trichopterian Literature (some 1,600 titles) does not include just entomological studies. It also covers the interest shown in the larva by rod-and-reel anglers. Literature targeted at young readers also makes frequent reference to the creature.  Not forgetting novelists and poets, including the odd celebrity…  The iconography of the caddis fly, which we shall shortly be putting online, offers, for its part, a fine history lesson in scientific illustration.
In order to bring all his documentation together, Hubert Duprat has made contact with many scientists and visited many a library. You will find the list in our acknowledgements. In his travels, he has also come across museums that have already covered some of his ground: the Casa Moretti in Perugia, and the Isao Yokota Museum at Iwakuni in Japan.
But what does this mean? Is the Trichoptera Centre, or “Last Library”,  or “Caddisfly’s Mirror” the outcome of (scientific, artistic) “research”, or Pataphysics? We shall leave the answer in  the pool of imponderables’.

ChB

Trichoptères / Trichoptera

L’ordre des Trichoptères (un temps rangé dans les Névroptères), qu’on rattache au super-ordre des Mécoptéroïdes, compte 895 espèces pour l’Europe (d’après les travaux de Botosaneanu et Malicky, Limnofauna Europae, 1978). Selon les auteurs, l’appellation Phrygane désigne l’ensemble des Trichoptères ou est réservée à la seule famille qui constitue le type de l’ordre. L’insecte tire son nom scientifique de l’imago – l’insecte adulte, ayant une activité plutôt crépusculaire – dont les ailes sont le plus souvent couvertes de poils tégumentaires. À côté de familles campodéiformes, dont les larves sont libres et réalisent des filets-pièges, douze familles en France se distinguent par des larves aquatiques éruciformes qui fabriquent un étui minéral, végétal ou mixte, étui (ou fourreau) dans lequel elles logent sans adhérer. L’ordre est holométabole, ce qui signifie que le corps entier de l’animal se métamorphose lors de la nymphose, cette dernière ayant lieu dans l’étui, fermé à cet effet ; la nymphe, comme la larve, est pourvue de trachéobranchies. L’appareil buccal est de type broyeur et le labium porte la filière où débouche le canal de deux glandes séricigènes. Le tube a plusieurs fonctions : minéral, en eau courante, il leste l’animal ; végétal, en eau stagnante, il lui permet de bloquer une bulle d’air et d’évoluer à la surface ; soyeux, il protège les branchies et régule la quantité d’eau d’où est extrait l’oxygène ; enfin, par son aspect mimétique, il protège de certains prédateurs. Partout dans ce site nous avons adopté le terme scientifique « Trichoptère ». Nous ne saurions cacher cependant qu’il en existe beaucoup d’autres, à commencer par « Phrygane » ou « Frigane », plus gracieux peut-être ?

The order Trichoptera (once included in the Neuroptera), which is part of the super-order Mecopteroids, is made up of 895 species in Europe (based on the works of Botosaneanu and Malicky, Limnofauna Europae, 1978). According to the authors, the term phryganea (Fr. phrygane) either designates all the Trichoptera—caddisflies—or is reserved for the single family (Phryganeidae) that constitutes the type of the order. The insect derives its scientific name from the imago—the adult insect, which tends to become active at dusk—whose wings are usually covered with tegumental hair. Alongside campodeiform (elongated and flattened) families, whose larvae are free and make net-traps, twelve families (in France) are distinct for their eruciform (caterpillar-like) aquatic larvae which construct a case of mineral or plant matter, or a mixture of both, a sort of sheath in which they live, but without attaching themselves. The order is holometabolous, which means that the animal’s whole body metamorphoses during nymphosis (transformation from larva to nymph), this latter process taking place inside the case, which is closed to enable it to occur; the nymph, like the larva, is endowed with tracheobranchia (gill-like breathing organs). The buccal apparatus is of the grinding type and the labium carries the spinneret into which runs the canal from two silk-producing glands. The tube has several functions: when mineral, in moving water, it ballasts the creature; when vegetable, in stagnant water, it enables it to block an air bubble and evolve on the surface; when silky, it protects the gills and controls the amount of water from which oxygen is extracted; last of all, through its mimetic appearance, it offers protection from certain predators. Throughout this website we have used the scientific term “Trichoptera”, but we cannot hide the fact that many others exist, starting with caddisfly and phryganea, which are perhaps more elegant?

D’après HD & ChB, Leonardo, vol. 31, n° 3, The MIT Press, 1998.