Abbé Provancher, « Les phryganes », Le Naturaliste Canadien, CapRouge, 1876, p.81-83.
La lettre suivante d’un observateur intelligent et sagace, qui raconte d’une manière intelligible une rencontre, que beaucoup sans doute, ont faite comme lui, mais sans y appliquer la même attention, ne manquera pas d’intérêt, pensons-nous pour la plupart de nos lecteurs.
Quebec, 14 février 1876.
Mr l’abbé Provancher, Cap-rouge,
Mon cher monsieur,
« Je profiterai de cette occasion pour vous demander quelque détails sur un des plus singuliers insectes que j’ai jamais vus.
Vers le commencement du mois dernier, nous étions plusieurs à pêcher sur le lac Carillon, derrière St. Ubalde. L’on fait des trous dans la glace, et l’on amorce les lignes avec du gougeons que l’on prend soin de conserver aussi vivant et actif que possible.
En retirant une ligne, nous trouvâmes le gougeons recouvert de ce qui paraissait, à première vue, être des morceaux du roseau qui pousse dans les endroits humides, d’environ un pouce et un quart de long. En examinant ces roseaux, pour découvrir ce qui les faisait adhérer au poisson, quel ne fut pas notre étonnement de trouver l’intérieur de chacun d’eux rempli par un grand insecte qui ouvrait et fermait ses mandibules avec une vivacité féroce et qui paraissait avoir élu domicile dans cet étui, juste assez grand pour le renfermer.
Comme le poisson était à la nage et se débattre vigoureusement, avant que nous l’ussions retiré, il faut que ces insectes l’aient poursuivi, pour s’attacher à lui. Comment peuvent-ils circuler dans l’eau, s’ils ils restent emprisonnés dans cet étui, qui les recouvre complètement ? trainent-ils l’étui après eux, quand ils voyagent, pour rentrer dedans dès qu’ils sont fixés sur leur proie ?
En regardant de plus près, nous avons remarqué que ce n ‘était pas un roseau, comme nous le pensions d’abord, mais un étui composé d’une couche intérieure très mince transparente comme de la gomme, sur laquelle étaient collés avec une symétrie parfaite, des rangs alternatifs de débris d’aiguilles d’épinette et de brins d’herbe ; ils se succédaient régulièrement, le rang d’épinette était brun, le rang d’herbe vert, et ainsi de suite, dans l’ordre le plus parfait.
C’est un ouvrage merveilleux. L’insecte doit commencer par faire l’étui en gomme, et ensuite poser tous ces brins sur cette fondation si délicate, qu’il doit trouver le moyen de soutenir sans lui laisser perdre sa forme cylindrique, pendant qu’il va chercher tous ces petits ornements et qu’il les pose.
Il est probable que cet insecte est connu généralement mais, je n’en avais jamais entendu parler, ayez pitié d’un ignorant et éclairez le.
J’ai l’honneur d’être, monsieur l’abbé.
Votre obéissant serviteur.
H.G. Joly. »
…Ces larves ont la faculté de filer une espèce de soie très fine, au moyen d’une filière dont l’extrémité se montre à la lèvre inférieure. C’est avec cette soie qu’elles lient les différents matériaux qui entrent dans la construction des étuis ou fourreaux qui leur servent des demeures. Ces matériaux étant tantôt des grains de sable ou de petites pierres, et tantôt des morceaux de végétaux, brins d’herbes petites pièces de bois, etc.
La larve ne construit pas d’abord cet étui pour se loger ensuite en dedans, comme s’en enquiert notre correspondant, mais procède à la manière du maçon qui construit un puits de faible diamètre, en se plaçant au milieu ; il élève le mur en fixant les matériaux tout autour de lui. Ainsi procède notre insecte. Il commence d’abord par filer un tissu de fils de soie très fine pour composer la partie intérieure de son étui, qui est toujours unie, tandis que l’extérieure est plus ou moins inégale suivant que les nouvelles pièces ajoutées différent plus ou moins de conformation avec les premières.
Au moyen de crochets dont la larve est pourvue, elle peut se mettre presque complètement en dehors de son étui sans lâcher prise ; et voilà comment elle peut rattacher au tissus de soie dont elle s’est d’abord couverte, les petites pierres, pièces de bois, etc., qui forment la partie extérieure de son habitation. Elle commence d’abord par la partie inférieure et à mesure qu’une nouvelle pièce est ajoutée, elle la lie aussitôt aux autres au moyen de fils de soie, jusqu’à ce que le fourreau ait la longueur voulue. La partie antérieure est ordinairement un peu plus large tant par ce qu’elle est destinée à loger le thorax qui est un peu plus fort que l’abdomen, que pour laisser une plus grande liberté de mouvements à l’insecte lorsqu’il se montre en dehors.
Les larves qui construisent leurs étuis en pierres, les ont toujours beaucoup plus réguliers et plus uniformes que celles qui n’emploient que des parties de végétaux. C’est que l’architecte ne façonnant en aucune manière les matériaux employés, son œuvre aura une apparence d’autant plus irrégulière, que les pièces se présenteront de formes et de dimensions différentes. Souvent la larve saisit au passage une petite pièce de bois qu’entraîne le courant, la fixe par un bout à son étui, tandis que l’extrémité opposée dépassera quelquefois du double de sa longueur l’étui lui-même.
C’est ordinairement dans les ruisseaux à courant assez rapide que se trouvent les larves qui construisent leurs étuis en pierre, tandis que dans les lacs et les étangs, ce sont celles qui se servent des débris de végétaux que l’on rencontre. Les matériaux en bois n’ayant pas assez de pesanteur seraient entrainés par l’eau, tandis qu’avec de la pierre, la larve peut rester stationnaire malgré le courant.
Ces larves ne possèdent aucun organe propre à la natation, se trouvent souvent emportée par le courant ; leur locomotion n’a lieu que par la marche ou la reptation au fond de l’eau, en traînant avec elles leur demeure dont elles ne se séparent jamais. Qui n’a pas remarqué ces petits bouts de bois marchand au fond de l’eau dans les fossés et les ruisseaux ? Nous nous rappelons encore la surprise que nous causa cette découverte, la première fois que nous la remarquâmes. Etant enfant, nous nous amusions un jour avec d’autres compagnons de notre âge, sur le bord d’un ruisseau n’écoulant alors que quelques pouces d’eau seulement, lorsque nous remarquâmes qu’un petit tronçon de vieux bois se traînait sur le fond dans une direction opposée au courant. Ayant signalé la chose à nos compagnons, la pièce fut bientôt enlevée, et quel ne fut pas notre étonnement lorsque nous reconnûmes que ce que nous avions pris d’abord pour un unique bout de bois se composait de plusieurs pièces réunies et renfermant une bête dans son intérieur. Ce que pouvait être cette bête et ce qu’elle pouvait devenir ne nous inquiéta nullement alors, mais la singulière demeure qu’elle habitait nous étonna tellement que nous n’en perdîmes jamais la mémoire.