Victor Rendu, Les animaux de la France, Paris, Hachette, 1875, p. 686-688.
Deux ou trois jours après sa naissance, la larve se file un tuyau de soie et devient ensuite fabricante d’étuis ; chacune, selon son espèce, choisit son domicile et ses matériaux de construction../.. Le fourreau, autrement dit l’habit des Friganes, est le trait saillant de leur existence. Le fond en est de soie et toujours fort régulier ; il consiste en un tuyau cylindrique, plus large à l’avant qu’à l’arrière, toujours parfaitement lisse à l’intérieur. Il n’en est pas de même de sa surface externe, elle varie d’autant de forme que les matériaux destinés à le recouvrir sont eux-mêmes diversifiés. L’élégance et le goût ne président pas toujours au choix et à l’emploi de la matière première, les circonstances en décident ; le costume parfois est assez baroque. On en voit de hérissés comme des porcs-épics ; d’autres, au contraire, ressemblent à de longues robes de chambre flottantes ; il en est qui se couvrent de morceaux de bois diversement rangés, tandis que d’autres se fabriquent des habits d’arlequin avec des brindilles, des fétus de paille, des débris de coquilles bizarrement entrelacés. Certains habits sont encore plus excentriques ; quelques larves portent sur le dos toute une ménagerie vivante, Bulimes, Cyclostomes, Mollusques aquatiques de toutes sortes, dans les positions les plus grotesques, qui la tête en bas, qui le corps en travers, qui à cheval sur son voisin, tous amarrés les uns aux autres par des cordages de soie. Règle générale, tout objet immergé est apte à d’adapter aux vêtements des Friganes ; le sable même et le gravier entrent dans leur confection. Plus les matériaux sont uniformes, plus les fourreaux sont réguliers ; plus ils sont hétérogènes, plus leur aspect est varié ; l’insecte alors, semble fort mal habillé : on dirait qu’il traîne une série de guenilles. Les fourreaux les plus irréguliers sont ceux qui sont formés de substances végétales ; ceux qui sont fabriqués avec des graviers, du sable, sont les plus uniformes de tous dans la même espèce ; la régularité est parfaite, quand le fourreau est revêtu exclusivement de coquilles (fig. 225). A première vue, il semble qu’à part les substances végétales, les autres matériaux, doivent rendre les fourreaux bien lourds ; la plupart, en effet, seraient de terribles fardeaux pour l’insecte, s’il était obligé de marcher sur terre ; mais tantôt il chemine sur le fond de l’eau, tantôt il monte et descend à travers l’espace liquide ; son étui lui coûte peu à porter, parce que les différentes pièces dont il est formé constituent un tout d’une pesanteur à peu près égale à celle de l’eau ; l’insecte d’ailleurs a eu soin de choisir des matériaux plus légers qu’elle ; ils lui servent, pour ainsi dire, de gourdes pour se maintenir en équilibre ; sa maison, par suite des fragments végétaux qui la revêtent, risque-t-elle d’être trop légère, et par suite, de gêner sa marche, il leste partout également son fourreau, de manière qu’il puisse prendre dans l’eau la position qu’il veut lui donner. La forme cylindrique des étuis les met en état de supporter d’assez fortes pressions ; la larve trop faible pour se défendre, se retire dans son réduit dès qu’un danger menace ; en marchant elle traîne son fourreau derrière elle, le corps à demi découvert ; à la moindre alerte, tête et corselet disparaissent, on ne voit plus rien hors de cette cachette. Sous leur premier état, les Friganes quittent rarement leur étui : il faut une circonstance majeure pour les forcer à en sortir, même momentanément. Elles y rentrent jamais qu’avec circonspection ; elles tournent auparavant tout autour et l’examinent attentivement ; y flairent-elles quelques embuscades, elles s’en éloignent, sauf à s’emparer du premier étui vide qu’elles rencontreront, pourvu qu’il ait appartenu à quelqu’un de leur espèce ; s’il est d’une autre forme, ou d’une dimension différente de celle du fourreau d’où elles sont sorties, elles lui tournent le dos et vont s’en construire un nouveau quelque part. Ainsi que toutes les choses de ce monde, l’étui, à force de servir, s’use, la larve est obligée de le réparer. A mesure qu’elle grandit, elle l’allonge et coupe la partie postérieure devenue trop étroite. Pendant toute la durée du premier âge le fourreau suffit pour défendre l’insecte contre les attaques de l’extérieur.