N. Sladkov, Au fond de l’eau, traduit du russe par Nina Lapina, Paris, La Farandole, 1962.
Maisons sur pattes
Je me suis enfoncé dans une épaisse forêt aquatique ; je vois au centre d’une clairière une petite maison dressée sur six pattes. A côté, il s’en trouve d’autres, toutes différentes, chacune a son genre bien à elle.
Celle-ci est faite de cailloux multicolores, rouges, blancs, verts ; celle-là de brillantes ailes de scarabée. Il y en a qui sont formées d’aiguilles de pin, de brindilles, de tiges d’herbe.
C’est toute une petite ville, éclairée d’une lueur verte. Un pou d’eau noir, ayant accumulé de l’air sous ses élytres, la survole comme un avion étincelant. La petite ville se réveille. Mais on ne voit pas ses habitants se déverser en foule dans les rues. Ce sont les maisons elles-mêmes qui, soudain, se mettent en marche !
Voici la maison en cailloux multicolores qui arpente le terrain, la maisonnette nacrée rampe, celle qui est faite d’aiguilles de pin trottine comme un hérisson en colère, tous piquants dressés. Comme elle se déplace vite sur ses six pattes !
Elle n’est pas habitée par une méchante sorcière des contes, mais par le porte-faix, c’est à dire la larve de l’insecte appelé Phrygane. Où qu’elle aille, cette larve transporte son logement sur son dos. Là où il y a beaucoup de nourriture, elle fait halte. D’autres maisons se rapprochent et voilà de nouveau toute une ville qui surgit.
Quand la larve grandit et que sa maison devient trop étroite, elle y ajoute une annexe, formé de grains de sable ou de débris de coquilles consolidés avec de la soie qu’elle sécrète. De cette même soie elle tapisse l’intérieur de son habitation.
Et voici que, chose surprenante, une larve vivant ainsi sous l’eau se transforme en papillon volant au-dessus de l’eau.