Irina Soukatcheva, « РУЦЕЙНИКИ В ИХ ИСТОРИЦЕСКОМ РАЗВИТИИ / Le développement historique de l’ordre des Trichoptères », in cat. de l’exposition НАМИ ДУМАЕТ АНГЕЛ / Nous sommes les pensées d’un ange, Moscou, édit. Avant-garde, 1995, p. 60-65. (trad. Kiril Tchékalov, revue et corrigée)
Le développement historique de l’ordre des Trichoptères
Les Trichoptères sont des insectes qui ressemblent à des papillons [plus exactement, selon Ch. Denis, aux papillons primitifs, ceux qui n’ont pas l’aspect des papillons les plus voyant], mais à la différence de ces derniers ils ont une larve aquatique. Les larves de Trichoptères vivent souvent dans des abris mobiles adroitement construits. Cette particularité est apparue chez les Trichoptères à la suite d’une longue évolution historique. Les représentants les plus anciens de cet ordre biologique étaient répandus sur la Terre il y a à peu près 290 millions d’années. À cette époque lointaine, les premiers spécimens de Trichoptères ne ressemblaient qu’assez vaguement à leurs descendants modernes. Quant à la larve, elle ne construisait pas d’abri. (Cf. mon livre : Le développement historique de l ‘ordre des Trichoptères, Moscou, 1982 [en Russe]). En évoluant, les larves ont appris tout d’abord à construire des abris fixes (galeries), et seulement après des tubes transportables. Ces derniers apparaissent il y a 150 millions d’années, lorsque les larves cessent d’être carnivores pour devenir végétariennes. Un tournant qui rendait inutile la grande mobilité des larves, mais implique aussi une défense efficace contre les prédateurs ; défense que des fourreaux solides et mobiles, construits avec des particules benthoniques (du fonds des eaux), tant minérales qu’organiques, pouvaient bien fournir.
Parmi les fourreaux retrouvés, les plus anciens ont été découverts en grande quantité sur le territoire de l’Asie Centrale ; ils appartiennent à la fin de la période jurassique — début du Crétacé. Leur construction est plutôt primitive : assemblage peu soigné de grains de sable disparates et multiformes, de fragments de plantes, de coquilles, débris d’arêtes etc. Ensuite, au fur et à mesure de la complexification et du développement de l’instinct constructeur, les larves apprennent à bâtir des abris de plus en plus diversifiés et soignés. Les fourreaux les plus accomplis datent du Crétacé supérieur, c’est-à-dire qu’ils apparaissent une cinquantaine de millions d’années après les modèles d’essai. À cette époque-là, les Trichoptères construisant un fourreau sont déjà répandus dans le monde entier et leur diversité est comparable à celle d’aujourd’hui. Alors, comme de nos jours, les larves utilisaient non seulement des grains de sable, du mica, des coquilles de mollusques et de crustacés, mais aussi algues, menus fruits ligneux, aiguilles, particules végétales rongées ou non. Elles sont également largement répandues dans des dépôts plus récents, où parfois on peut rencontrer des spécimens fort curieux. Ainsi, en 1829, en Auvergne, le prof. P. M. Serres a-t-il découvert dans des dépôts de l’Oligocène des constructions magnifiques réalisées avec des coquilles de Gastropodes habilement sélectionnées. Elles sont si nombreuses qu’elles forment des couches entières du calcaire à indusies. L’apprentissage ayant duré des dizaines de millions d’années, les larves ont appris non seulement à manier des matériaux différents mais aussi à les disposer très savamment, suivant une méthode précise (en commençant par les rangées parallèles serrées jusqu’au point d’épine et cage). En outre, pour que les fourreaux puissent flotter (ou pas), les larves les revêtent parfois de grains de sable plus grands que d’habitude, ainsi que de torses de mollusques ou bien de branchettes longues et de brins d’herbe. Les expériences frappantes et vraiment fantastiques de Hubert Duprat témoignent du niveau exceptionnel qu’a atteint l’art de construire la larve de Trichoptère. Derrière ces créations de la nature si distinguées et accomplies se profile toute une histoire de l’évolution de l’instinct bâtisseur dont la source remonte à l’époque des Dinosaures. Il est regrettable de voir aujourd’hui une menace écologique planer sur les Trichoptères, dont les larves sont très exigeantes à l’égard de la qualité de l’eau et ne peuvent pas subsister dans l’eau polluée. Ainsi risquons-nous de priver les générations à venir de la possibilité de contempler ces miracles de la nature, qui sont si fragiles.
[Irina Soukatcheva est chercheur à l’Institut de paléontologie de l’Académie des sciences de Russie.]