Oui, ma bonne mère

Sophie Tremadeure Ulliac, Phénomènes et Métamorphoses, Paris, Bibliothèque de la Jeune Fille, Didier, 1854.

.. d’autres, les teignes aquatiques, composent leur fourreau de morceaux de feuilles de chiendent qu’elles placent en recouvrant comme les ardoises ou les tuiles d’un toît ; d’autres encore, au lieu d’employer des parties de feuilles, se servent de morceaux de tiges de gramen. Chez quelques-unes, ces portions de feuilles ou de tiges sont si artistement arrangées, qu’on dirait un ruban de deux couleurs roulé en spirale. Mais ce qui est plus curieux encore peut-être, quoique des talents si distingués le soient beaucoup par eux-mêmes, c’est que les teignes aquatiques savent l’usage qu’on peut faire du lest.

Madame de Cerant :
Comment ! du lest ?

Ernest :
Oui, ma bonne mère, elles vivent sur et non pas dans l’eau ; il leur faut donc se maintenir à la surface. Un fourreau trop léger les exposerait à bien des dangers ; elles le chargent de petites pierres ; devient-il trop pesant lorsqu’il est imbibé d’eau, elles jettent une partie de leur lest. Mais ce n’est pas tout : elles attachent au fourreau selon le besoin, un morceau de bois léger ou un fragment de roseau…

Ernest :
Au nombre des différentes espèces de teignes, il en est qui s’emparent de moules en miniatures qu’elles trouvent dans les eaux douces et dormantes et qui les attachent très proprement, très symétriquement sur le dessus de leur fourreau ; une autre espèce préfère les colimaçons en miniatures pour en faire le même usage.

Laure :
Mais elles commencent par manger l’animal avant que de lui prendre sa coquille.

Ernest ;
Du tout je t’ai dit qu’elles font des prisonniers , des esclaves et ceci est à la lettre.

Laure :
Les drôles de bêtes

Madame de Cerant :
Quel goût singulier ! Et ces petits colimaçons, ces petites moules ne meurent pas ?

Ernest :
Non ma bonne mère. Tout cela vit sur le dos de la teigne, voyage avec elle bon gré mal gré : en un mot, les liens de cet esclavage sont éternels, puisque la mort de la petite moule ou du petit limaçon ne les rompt même pas ; si l’animal à péri, la coquille reste.


Ernest :
La teigne de même que la chenille ou le myrmeleon, est une larve destinée à se transformer en nymphe dans ce fourreau si artistement et si diversement tissu et orné.