Rev. J. G. Wood, Homes without hands, traduit de l’anglais par Jacques Demarcq, Londres, Longmans, Green & Co., 1865, p. 381-386.
Il est un ordre d’insectes particulièrement cher aux pêcheurs à la ligne ; pas tant à ceux qui pêchent à la mouche qu’à ceux qui aiment s’asseoir pour regarder dans l’eau pendant des heures. Scientifiquement, cet ordre est celui des Trichoptères ou “insectes aux ailes velues” ; les différentes espèces qui le composent portent le nom familier de Phryganes.
Ces insectes sont reconnaissables à l’aspect de cuir de leur corps et aux poils dont leurs ailes sont couvertes, de très longs courant sur toute leur surface et en dépassant les bords à la façon de franges. Tous ont des antennes longues et fines ; chez certains genres, comme les Mystacides, ces organes font presque trois la longueur de la tête et du corps, rappelant la charmante mite japonaise (Adelæ) dont les délicates antennes ondulent et scintillent au soleil comme les fils détachés d’une toile d’araignée. Mais le pêcheur à la ligne s’intéresse peu à l’insecte à maturité. Les imitations de poils, de plumes et de soie sont courantes chez les pêcheurs à la mouche et sont connues par leurs appellations excentriques. C’est la larve que le pêcheur à la ligne apprécie, et c’est surtout à elle que sera consacrée cette description.]*
Retraçons la vie de la phrygane depuis l’œuf jusqu’à l’insecte à maturité.
À l’époque de la reproduction, on peut observer la femelle transportant un double sac de petits œufs verdâtres, sans doute pour les exposer un certain temps à la chaleur du soleil avant de les immerger. Ce curieux sac est de forme ovale allongée, avec un net repli au milieu, ses extrémités attachées à l’abdomen de l’insecte. Quand son instinct lui dit que le moment est venu, elle va vers l’eau et attache les œufs à la feuille d’une plante aquatique, rampant souvent sur la tige jusqu’à plusieurs centimètres de profondeur. Sur l’eau, la phrygane est chez elle ; à la différence des libellules qui sont perdues dès que mouillées, elle peut courir sur la surface à une vitesse considérable, et parfois nager sous l’eau presque aussi rapidement.
On peut souvent les voir courir sur l’eau, et être alors la victime de quelque poisson attiré par les rides concentriques que provoque le mouvement de ses pattes. Les pêcheurs à la mouche, qui sont avertis des habitudes des poissons et des insectes, font faire des ondes de surface à leur imitation de phrygane, voire la font plonger, comme le véritable insecte, trompant le poisson peu méfiant et lui faisant avaler un hameçon au lieu d’une mouche.
Vient le temps où les œufs éclosent. Les jeunes larves se mettent à construire un logement où habiter. Ces logements sont faits de divers matériaux et prennent des formes variées ; cela, non seulement en fonction des espèces, mais aussi à l’intérieur d’une même espèce. L’illustration ci-contre* montre divers nids construits par des phryganes à l’état larvaire, ainsi que des insectes à maturité. Tous les dessins ont été fait d’après nature, certains spécimens se trouvant au British Museum et d’autres dans ma collection.] Les matériaux utilisés pour le nid dépendent en grande partie de l’endroit où l’insecte éclôt ; parmi les nombreux exemples de nids que j’ai sous les yeux, il en est de vraiment remarquables par la façon dont l’insecte s’est vu contraint de s’adapter aux circonstances. Les étuis les plus communs sont faits d’un grand nombre de brindilles et de tiges d’herbe assemblées longitudinalement comme les faisceaux des consuls romains. J’en ai des spécimens de différentes tailles et formes, certains mesurant à peine plus de deux centimètres, d’autres pouvant faire quatre fois cette longueur, les tiges étant parfois disposées si irrégulièrement que le logement de l’architecte n’est pas facile à distinguer. Les créatures ne sont pas du tout sensibles à la rectilignité des tiges ; elles les prennent à tous les degrés d’incurvation, comme sur l’un des exemples de l’illustration, où la tige n’est pas seulement incurvée, se terminant par un gros bourgeon.
Un autre étui est constitué par la tige creuse d’une plante, apparemment une ciguë, à laquelle sont attachés quelques morceaux d’écorce. Vient ensuite une série d’étuis pour lesquels la larve de phrygane a choisi** de récolter de nombreuses tiges d’herbe cylindriques et les a disposées transversalement en plusieurs ensemble, faisant l’un chevauche l’autre tout en laissant un espace central suffisant pour que l’architecte y habite. Un ou deux étuis sont entièrement faits d’écorce, apparemment la cuticule du roseau commun, très répandu dans la rivière Cherwell [entre Oxford et Banbury]* , où les étuis ont été ramassés. Selon toute probabilité, ces bandes de cuticule ont été rejetées à la rivière par les rats d’eau se nourrissant de roseaux.
Plusieurs étuis sont entièrement constitués de feuilles, pour la plupart d’aubépine, qui est abondante sur les berges de la rivière sus-mentionnée. Certains étuis sont formés de tiges et de feuilles, chacun de ces matériaux n’occupant en général qu’un bout de l’étui. Une autre série d’étuis est faite de fines herbes, apparemment des débris de foin que le vent a porté jusqu’à l’eau durant l’été, et qui sont croisés l’un sur l’autre comme les aiguilles d’une tricoteuse de chaussettes. La plupart de ces étuis sont équilibrés par un caillou.
Viennent ensuite plusieurs étuis composés de petites coquilles, les planorbes étant les plus fréquentes, mélangées à quelques spécimens de limnées, ou escargots d’eau douce, et à beaucoup de valves séparées ou non de moule de rivière. Les larves de phrygane sont d’incorrigibles ravisseuses, s’emparant de toutes les coquilles qui peuvent leur servir sans se préoccuper des habitants. Il est commun de trouver quatre ou cinq spécimens vivants de planorbe ou de limnée fixés sur l’étui de l’une d’elle, et de voir les mollusques se coller aux plantes et se démener pour aller dans un sens tandis que la phrygane essaie d’aller dans un autre[, rappelant l’épisode du Tartare et de son geôlier**]. Dans ces étuis, le corps cylindrique est fait de sable et de petits fragments de coquille liés ensemble par un ciment étanche, et les coquilles sont fixées par leur face plate à l’extérieur.
Il y a aussi plusieurs coquilles entièrement faites de grains de sable cimentés, certaines cylindriques et d’autres se terminant en pointe, comme une défense d’éléphant. Il existe aussi des structures mixtes, où la phrygane a mélangé des coquilles avec des feuilles et des brindilles. Dans un cas, le petit architecte a retourné les valves d’une petite moule pour les attacher dos à dos sur sa maison. Il y a en outre deux ou trois formes vraiment excentriques où la phrygane a choisi des objets qui se voient rarement dans une telle position. La cosse de graine d’orme est encore acceptable, mais j’ai plusieurs spécimens où la phrygane a fixé à son étui l’opercule d’un escargot de rivière mort. Dans un cas, la chrysalide d’une mite, apparemment du genre Porthesia, est tombée d’un arbre surplombant le ruisseau, où une phrygane en a fait l’ornement rare de sa maison. Ces derniers exemples ont été trouvés dans un ruisseau du Wiltshire [entre Bath et Salisbury], et l’étui de sable en forme de défense d’éléphant dans une carrière désaffectée du même comté.
On a fait diverses expériences sur les larves de phryganes afin de comprendre leur mode construction. Une dame, Miss Smee, a eu beaucoup de succès dans ses recherches : elle a contraint les larves à construire leur nid avec les matériaux les plus extraordinaires, tels que de la poussière d’or, du verre pilé et autres substances du même genre. Elles refusent toutefois d’utiliser des perles et tout ce dont la surface est lisse ou polie.
Dans ce remarquable logement aquatique, la larve de phrygane jouit d’une assez bonne sécurité, car sa tête et son front sont revêtus d’un tégument corné, tandis que son abdomen blanc et mou est protégé par l’étui. Les phryganes se nourrissent en général d’aliments végétaux, bien qu’il y ait une ou deux espèces qui se sustentent en partie ou complètement de nourriture animale. Quand la larve a accompli son temps et se trouve sur le point de passer à l’état de nymphe, elle referme l’ouverture de son étui avec un solide filet à larges mailles, et repose en sécurité à l’intérieur jusqu’au moment de passer à l’état ailé. Elle se creuse alors un passage au travers du filet avec sa paire de fortes mandibules, rejoint la surface de l’eau, brise son enveloppe, et prend rapidement son vol. Les espèces les plus grandes rampent le long des tiges des plantes aquatiques avant de quitter leur enveloppe, tandis que les plus petites se tiennent simplement sur leur dépouille, qui flotte comme un radeau.
Il y a une ou deux espèces dont les étuis ne sont pas déplaçables, restant fixés à l’endroit où ils ont été construits. Pour compenser cette immobilité, la larve a une plus grande latitude de mouvement. Dans les espèces ordinaires, elle s’agrippe au bout de l’étui au moyen de crochets fixés à l’extrémité de son corps ; ils ont une certaine force, comme le savent tout ceux qui ont voulu retirer une phrygane de son étui. Quand celui-ci est indéplaçable, les pinces abdominales de la larve sont à l’extrémité d’une paire de longs pédoncules, si bien que l’animal peut tirer en partie son corps à l’extérieur du tube.