Armand Dubois, Au bord d’une mare, Entretiens dur l’histoire naturelle, Limoges, Eugène Ardant, (1891), réédition Hachette Livre/ B.N.F, p. 252-254 et p.256-257.
Je vous ai dit que cet insecte était une phrygane ; et j’ai précisément dans cette boîte, deux de ces pauvres bestioles, un peu froissées à cause de leurs mouvements trop brusques, mais qui vous permettront cependant de ne plus les confondre avec les tipules quand vous les aurez examinées. Voici également deux larves du même insecte que je viens de recueillir, il y a un instant, dans l’eau de la mare.
-Ceci, des larves d’insectes dirent les plus jeunes enfants en éclatant de rire : Ce ne sont que des petits morceaux de bois collés ensemble.
– Il est vrai, mes enfants, que vous ne voyez que des morceaux de bois collés ensemble, et j’excuse votre incrédulité ; mais nos observations devraient déjà vous avoir mis en garde contre les jugements précipités ; il ne faut jamais se prononcer sur de simples apparences, surtout quand il s’agit des choses de la nature dont les ressources sont si fécondes. Ces morceaux de bois, adroitement reliés entre eux, forment un fourreau dans lequel la larve se met à l’abri de la voracité des ennemis.
Les pêcheurs à la ligne connaissent bien ces larves, dont le corps mou et délicat est protégé par des fourreaux d’aspect très variés et dont les poissons sont très friands. Ces étuis sont formés de fragments de bois, de débris d’herbes, de petites pierres, de grains de sable et même de menus coquillages dont les mollusques sont encore vivants. Tous ces matériaux sont liés au moyen de fils de soie sécrétés par un organe spécial.
Les larves se cramponnent dans leur étui au moyen de crochets placés à l’extrémité de l’abdomen ; et vous pouvez vous convaincre, par expérience, que le pêcheur doit faire un certain effort pour les en faire sortir quand il veut s’en servir pour amorcer sa ligne.
On les nomme vulgairement casets, d’après l’habitude qu’elles ont de se renfermer dans une case, ou charrée, parce qu’elles traînent avec elles leur singulier fardeau. On les appelle encore porte-faix, ou porte-bois, porte-feuilles, porte-sables suivant la substance dont les fourreaux sont recouverts.
Belon leur a imposé le nom scientifique de phryganes, qui leur a été conservé et qui a la même signification, puisqu’il veut dire fagot, broussailles, réunion de petites branches.
Ces insectes aquatiques qui assurément n’inspirent pas beaucoup d’attraits, ont cependant été l’objet de travaux intéressants et d’observations minutieuses…/…
Les phryganes, proprement dites, se construisent des étuis mobiles, mais il en est d’autres insectes qui ne savent bâtir que des abris fixes qu’ils placent de leur mieux contre le sol ou quelques grosses pierres.
Je vous dirai, en passant, que ces larves s’élèvent facilement dans les aquariums et qu’on peut suivre dans tous leurs détails leurs singuliers travaux…/…
Nous avons dit que l’instinct des larves de phryganes les porte à s’entourer, dès leur naissance, d’étuis généralement cylindriques, un peu plus larges, cependant en avant qu’en arrière. L’intérieur, toujours lisse, est formé d’un tissu fin et soyeux, produit par deux glandes, placées de chaque côté du corps, et sortant par une filière qui se trouve dans la bouche. Le fourreau, nous l’avons vu, est fortifié par des matières étrangères qui le couvrent à l’extérieur.
Chaque espèce choisit ses matériau de prédilection et les dispose suivant son instinct particulier : Les unes placent transversalement des brins de bois et des débris de végétaux, d’autres les disposent parallèlement ; il en est qui s’affublent de jeunes coquilles de planorbe dont les mollusques sortent leurs tentacules, ce qui donne à l’appareil l’aspect le plus original :
« Ces sortes d’habits, dit Réaumur, sont fort jolis, mais ils sont aussi des plus singuliers. Un sauvage qui, au lieu d’être couvert de fourrures le serait de rats musqués, de taupes ou d’autres animaux vivants, aurait un habillement bien extraordinaire ; tel est en quelque sorte celui de nos larves. »
« L’instinct de construction est perfectible, dit M. Maurice Girard, et il laisse parfois entrevoir une lueur d’intelligence. Ainsi, une larve habituée à faire un étui de pailles ou de feuilles, mises dans un vase où il n’y a que de petites pierres, finit par s’en servir pour se construire un étui inaccoutumé. »