Georges Barbarin, La vie agitée des eaux dormantes, Paris, Stock, 1937, pp. 109-110.
Le fagot qui marche
Tout à la pointe du marais j’avais jeté, en avril, de menues fasines. Celles-ci ont pourri peu à peu et se sont posées sur le fond. Si j’examine la parie immergée, tant que mon ombre est au-dessus, je ne vois rien. Je m’écarte légèrement et les brindilles de bois mort se mettent en marche. Il n’y a pas de spectacle plus original que celui de ce branchage animé. En me penchant avec précaution je m’aperçois que chaque fétu a des pattes. Et même, en regardant mieux, j’aperçois une tête au bout. Je suis tombé sciemment en plein village phrygane. Phrygane veut dire fagot, faisceau de branchettes. On applique ce nom au portefaix, portesable, porte-feuille ou porte-bois. Les larves des phryganes sont voraces et mangent un peu de tout. ; elles ont la bougeotte aussi et se déplacent sans cesse. Mais comme leur enveloppe est fragile et les désigne aux entreprises de l’ennemi, chacune d’elles se fabrique une sorte de fourreau de matière étrangère.
L’originalité de ce costume réside dans le fait que la larve l’emprunte à son milieu. Celle qui habite un sol à petits cailloux se fait une enveloppe de pierres ; celle qui vit dans une région à coquilles se tisse une robe de coquillages ; celle qui gîte dans les endroits ligneux se confectionne une toilette en bouts de bois.