Tailleurs d’habits

Gilles Augustin Bazin, Abrégé de l’histoire des insectes. Pour servir de suite à l’Histoire Naturelle des Abeilles, tome III, Paris, Chez Hippolyte-Louis Guerin, 1744-1751.

bazin-1744-1751-wTailleurs d’habits.

D’autres teignes aquatiques qui sont aussi des Ligni-Perdae et qui possèdent pareillement l’art de s’habiller. Ces teignes sont des chenilles, car les eaux ont leur chenilles ainsi que la terre, et même des chenilles qui vivent de feuilles font de la soie, savent l’employer. Lorsque vous voudrez les voir, il faudra les faire chercher dans des eaux où les plantes croissent. L’intérieur de ces fourreaux est à l’ordinaire lisse, poli, soyeux, parce qu’il n’est question pour les teignes que d’être à leur aise. Ce dont elles paraissent s’embarrasser le moins c’est la bonne grâce dont apparemment elles n’ont aucune idée.

Les différentes formes que plusieurs donnent à leurs habits sont peut-être encore plus baroques que tout ce que vous avez vu. Qui prétendrait distinguer par là les différentes espèces s’y tromperait souvent. Elles n’ont point d’uniforme; un habit ne ressemble point à l’autre; lors même qu’elles en changent, ce qu’elles sont obligées de faire à mesure qu’elles grandissent, l’habit neuf n’a plus rien de vieux. Ce n’est point ainsi que pour nous par esprit de changement ni par amour pour la nouveauté. Si on avait quelque pensée à leur donner ce serait celle de croire que d’un habit fait d’une façon plutôt que d’une autre il n’en résulte aucun mérite, aucune preuve de vertu pour l’individu qui le porte. Quelqu’un disait dernièrement d’un nouveau riche que vous avez connu, son tailleur lui a fait un mérite d’écarlate superbement galonné. Mais c’est que dans notre langue, le peuple appelle aussi les richesses un mérite. Nos insectes ne connaissent point cette confusion de langage, ils n’ont point besoin d’en imposer, ils ne veulent en s’habillant que leur commodité.
S’ils varient dans les matières dont ils se couvrent, c’est parce que dans les lieux qu’ils habitent, ils trouvent rarement à leur portée des matières semblables aux dernières qu’ils avaient employées et qu’ils sont obligés de se servir de ce qui se présente. Nos Teignes aquatiques sont des Diogénes parmi les insectes; leur fourreau est leur tonneau, et leur manteau les premières matières qu’elles rencontrent dans l’eau, sur le tout un certain air négligé ,force guenilles, peu de façon, en eussent fait des cyniques au temps passé.
Les figures suivantes vous en donnent la preuve ici sont des petits fragments de feuilles(Plan XIX. Fig. 4),là des fragments de bois, des brins d’herbes, des coquillage (Plan XX. fig 1). Ailleurs deux moitiés d’un roseau creux que la teigne à réunis et dans lequel elle s’est emboîtée, la figure suivante(Fig. 2) vous fait voir un autre fourreau tout couvert de coquillages de petits limaçons aquatiques un autre fourreau (Fig. 3) chargé de petites moules. Un fourreau (Fig. 4) composé d’un assemblage bizarre de diverses pièces irrégulières (Fig. 5). Enfin la Fig. 6, le portrait de la teigne qui fabrique tous ces différents fourreaux.
Ce n’est qu’à mesure que la teigne fait sa robe de soie, qu’elle la garnit de ces différentes matières qu’elle les y colle. Les habits couverts de coquilles sont plaisants à voir, les coquilles sont placées avec régularité lorsque leurs figures régulières guident l’insecte et qu’il en trouve assez pour n’avoir pas besoin d’y joindre d’autres matières (Fig. 4). Mais quand l’un et l’autre manquent cela va comme il peut (Fig. 3 et 5), ce qu’il y a d’original dans ces habits c’est que la teigne ne s’embarrasse pas que la petite moule ou le petit limaçon soient dans leur coquille ou non, elle les ajuste sur elle comme elle les trouve aussi voit-on beaucoup de ces petites garnitures qui sont vivantes.
Un pèlerin qui reviendrait de St Jacques en Galice tout couvert de moules et de limaçons, dont on verrait les têtes s’allonger hors des coquilles, comme pour implorer le secours des passants serait un petit spectacle assez risible.
Il est une autre sorte de teigne aquatique qui rapporte sur son fourreau des grains de sable il en est tellement saupoudré qu’on dirait que l’animal s’est roulé dessus; C’est une broderie qui n’est pas d’un grand prix mais qui est de poids. Les teignes chargées de cette matière pesante, seraient obligées de nager au fond de l’eau et ne pourraient s’élever à la surface, si elles n’avaient l’industrie de se procurer ces contre poids mais cet expédient demande une grande précision; car si le contre-poids est trop léger, il élèvera l’insecte à la surface de l’eau et l’empêchera de plonger; s’il est trop lourd, vous en voyez la conséquence. Il faut donc qu’il soit tel, qu’il contrebalance la pesanteur du corps et de l’habit pris ensemble, sur celle de l’eau. C’est ce que l’insecte sait faire en rapportant et collant des petits morceaux de bois légers, ou de plantes, sur son fourreau , jusqu’à ce qu’il ait trouvé cet équilibre exact qui lui permettra de monter et de descendre dans l’eau avec facilité. De-là vient que l’on voit de ces fourreaux qui en ont plus ou moins. On en rencontre assez souvent, qui se contentent de deux grandes pièces de bois, que les Teignes savent ajuster aux deux côtés de leur fourreau (Fig. 7), comme nos apprentis nageurs s’attachent des calebasses sous les bras.