Alfred Binet, Psychologie de la création littéraire : Œuvres choisies IV, Paris, l’Harmattan, (1895- 1904) 2006.
Le plus souvent le raisonnement trace un patron du personnage que l’imagination se charge d’exécuter. Comment s’y prend-elle ? Une comparaison tirée du monde des infiniment petits me permettre d’en donner idée. Vous savez que la larve des phryganes vit dans les ruisseaux, et que pour s’y promener à l’abri des contacts trop rudes, elle se loge dans une sorte de fourreau composé de fragments agglutinés, tantôt de parcelles de bois, tantôt des coquillages microscopiques, ou de grains de sable, suivant ce qui constitue le fond de la rivière. Cela donne en apparence des petits animaux très différents les uns des autres, bien que de la même espèce. Eh bien, l’imagination emploie une méthode identique. Elle agglutine de petits bouts de souvenirs et en compose un ensemble qui paraît parfaitement homogène, personne ou paysage, suivant ce qu’on réclame d’elle. Les petits bouts de souvenirs dont l’imagination fabrique des ensembles, elle se les procure de deux façons : ou bien elle va chercher dans le passé, en un lieu et dans un temps déterminé, le fragment qu’il lui faut, ou bien elle ramasse au fur et à mesure de ses besoins des réminiscences qui surgissent on ne sait d’où.