La Phrygane, la merveille et le monument

Christian Besson, « La Phrygane, la merveille et le monument. Le cabinet de Hubert Duprat, 1983-1991 », in Au gai savoir de la critique, thèse de doctorat d’histoire de l’art, Université de Rennes 2-Haute Bretagne, décembre 2001, p. 195-226 : chap. XI.

Curiosité et entomologie — téléonomie, création et négentropie — facere et agere — perspectives cachées — natura pictrix — mimétisme et formes allesthétiques — nature et artifice — prime de séduction — poétique fondée sur la rhétorique — baroque et ostentation — perspectives dépravées — chambre noire, imago et Umwelt — monuments et géologie.

Jeune lecteur, un de mes premiers livres, en tout cas celui qui me préoccupa le plus longtemps, fut Les Merveilles de la nature. Cet album encyclopédique, abondamment illustré d’aquarelles, s’ouvrait sur les volcans et les minéraux, les fossiles et les dinosaures, et embrassait jusqu’aux télescopes et aux cartes du ciel. Sur la garde finale se déployait un grand schéma synoptique, fait de bandes horizontales de hauteurs inégales, qui mettait en parallèle les ères géologiques et l’apparition des espèces. Celui-ci se grava profondément en moi, participant à ma structuration du temps au même titre que l’horloge de la cuisine et le calendrier des postes. Dans la partie supérieure du schéma, la couche des temps présents, où je me projetais, me semblait bien mince au regard de l’épaisse stratification géologique passée. L’ensemble répondait à nombre de mes interrogations enfantines sur la vie, mais aussi les relançait — et je ne cessais de questionner sur l’origine et la mort des espèces, et aussi du monde. Ce fut également un recueil privilégié d’images d’une faune industrieuse et colorée que je m’appliquais à recopier de mon pinceau malhabile : un sentiment esthétique confus s’éveillait, mais encore ignorant de la coupure philosophique convenue entre l’art et la nature. À l’école les « Leçons de choses » lestaient de leur sérieux ces vagabondages auxquels les « Histoires de l’oncle Paul » (publiées chaque semaine en bande dessinée dans Spirou) offraient quelque prolongement.

Si l’œuvre de Hubert Duprat est bien apte à réactiver ce genre de souvenirs, c’est qu’aucun des thèmes qui y affleurent ne lui est étranger : ni le merveilleux, ni le rapport entre l’art et la nature, ni une certaine épaisseur. Force est de constater que « le merveilleux a cristallisé en genre [littéraire] au moment où la foi au merveilleux disparaissait devant les tendances de l’esprit positif [i] », mais l’important relais des sciences (et des sciences naturelles tout particulièrement), réservoir de prodiges et source d’étonnements, ne le cède en rien aux mythes déchus. Le merveilleux scientifique existe désormais à côté du merveilleux et du fantastique littéraire, et les deux cohabitent parfois chez le même auteur. Un Roger Caillois peut ainsi passer sans discontinuité des mythes, des rêves et des jeux au mimétisme animal et aux minéraux, son étude sur la Mante religieuse (1937), par exemple, participant ainsi des deux versants, et empruntant tour à tour à l’entomologie et à la mythologie. Hubert Duprat, qui se nourrit aussi bien de sciences que d’art, a lui aussi adopté ce genre de parti pris double. Plus exactement, au sein de l’art, il renoue avec une tradition qui ne le vivait pas dans la clôture actuelle dominante et ne séparait pas les différentes formes d’investigation et de curiosité.

La Phrygane

En la matière, les exploits singuliers de la Phrygane — une petite larve d’insecte (de l’ordre des Trichoptères) vivant dans les ruisseaux et les mares, et bien connue des pêcheurs de truites — promue par Duprat au rang de producteur délégué, peuvent avantageusement servir de fil conducteur.

L’ordre des Trichoptères (un temps rangé dans les Névroptères), qu’on rattache au super-ordre des Mécoptéroïdes, compte 895 espèces pour l’Europe (d’après les travaux de Botosaneanu et Malicky, Limnofauna Europae, 1978). Selon les auteurs, l’appellation Phrygane désigne l’ensemble des Trichoptères ou est réservée à la seule famille qui constitue le type de l’ordre. L’insecte tire son nom scientifique de l’imago — l’insecte adulte, ayant une activité plutôt crépusculaire — dont les ailes sont le plus souvent couvertes de poils tégumentaires.

À côté de familles campodéiformes, dont les larves sont libres et réalisent des filets-pièges, douze familles (en France) se distinguent par des larves aquatiques éruciformes qui fabriquent à partir de matériaux empruntés à leur environnement un étui minéral végétal ou mixte, étui (ou fourreau) dans lequel elles logent sans adhérer. L’ordre est holométabole, ce qui signifie que le corps entier de l’animal se métamorphose lors de la nymphose, cette dernière ayant lieu dans l’étui, fermé à cet effet ; la nymphe, comme la larve, est pourvue de trachéobranchies. L’appareil buccal est de type broyeur et le labium porte la filière où débouche le canal de deux glandes séricigènes. Le tube a plusieurs fonctions : minéral, en eau courante, il leste l’animal ; végétal, en eau stagnante, il lui permet de bloquer une bulle d’air et d’évoluer à la surface ; soyeux, il protège les branchies et régule la quantité d’eau d’où est extrait l’oxygène ; enfin, par son aspect mimétique, il protège des prédateurs [ii].

Quoique le choix de cet insecte fût sans doute fortuit et intuitif au départ, il n’est nullement arbitraire eu égard à la précellence de l’insecte dans les merveilles de la nature. Très tôt, celui-ci a débridé l’imagination des hommes de science. Déjà Réaumur s’écriait : « Il ne se trouve nulle part autant de merveilleux, et de merveilleux vrai que dans l’histoire des insectes [iii] » Un siècle plus tard Jean-Henri Fabre leur consacrait de volumineux écrits (dont Les merveilles de l’instinct chez les insectes). Il poursuivait l’œuvre de Lamarck et de son élève Latreille, le « prince de l’entomologie descriptive [iv] », mais, délaissant la taxinomie, il l’orientait fermement (à la suite de Réaumur qui avait étudié le comportement social des abeilles) vers l’éthologie, dont il peut être tenu pour l’un des pères fondateurs. Auteur des Leçons de choses et inventeur de l’oncle Paul [v], cet infatigable pédagogue fut aussi celui que Victor Hugo surnomma « l’Homère des insectes ». Le lyrisme tout empreint de Virgile et d’Ovide de ses nombreuses observations en témoigne. Dans la septième série des Souvenirs entomologiques [vi], il consacre plusieurs pages à la description de la Phrygane.

Il choisit de décrire le comportement de Limnophilus fluvicornis à l’appellation populaire de porte-bois. La jeune larve « débute par une sorte de panier profond en vannerie rustique » puis « se fait charpentier » ; « devenu grandelet » l’animal « tronque son fourreau, il en détache et abandonne l’arrière, œuvre du début ». La même espèce, ailleurs, élabore des étuis « d’exquise élégance et composés en entier de menus coquillages » : « d’une part les délicatesses d’une marqueterie en coquilles, de l’autre les rudesses d’un amas de rondins ».

Confronté à ce qu’il nomme « l’art spécial » de chacune des cinq ou six espèces qu’il a repérées dans les eaux de son voisinage, le jugement de Fabre est d’emblée esthétique : « La charpentière aquatique possède elle aussi son art, ses principes d’ordre. Bien servie par la fortune, elle sait très bien ouvrer du beau ; mal servie, elle fait comme tant d’autres : elle manufacture du laid. Misère conduit à laideur […] »

Expériences in vitro

Peut-on forcer le destin ? Fort opportunément, Fabre vient de faire l’acquisition d’un aquarium et la Phrygane va l’inaugurer. Il y place la larve nue, sans son étui, lui procure des matériaux, des radicelles de cresson, et observe la fabrication, les entrées et sorties de la bête à partir d’une base sommaire, la découpe des brins nécessaires, leur agencement et leur fixation par la soie de la filière. Il recommence l’expérience avec des feuilles de Potamot. Puis fournit des brindilles sèches ligneuses et régulières : la construction se fait plus solide. Enfin il trompe la nature et donne à son cobaye des grains de riz. Il ne peut que s’extasier devant le bel ouvrage régulier qui en résulte. Par ailleurs il observe longuement l’obstination aveugle de l’animal : attaquée par le Dytique la Phrygane abandonne son étui. « En opposition avec les usages de la généralité des insectes, elle se refait un étui […] exception bien frappante : la Phrygane recommence. » Cependant Fabre ne s’attarde pas sur « certaines Phryganes des genres Sericostoma et Leptoceras [qui] s’habillent de grains de sable et ne quittent pas le fond des ruisseaux ». C’est ici que Duprat prend en quelque sorte le relais de l’expérimentation.

Il est « curieux » depuis longtemps. Son enfance et son adolescence se sont déroulées à la campagne ; fréquentant chasseurs et pêcheurs, il s’est passionné très tôt pour l’archéologie et les sciences de la nature ; il a réalisé ses premières observations dans des aquariums, en y plaçant des Nèpes, des Notonectes, des Tritons, des Têtards, des Gerris, des Planorbes, etc. Passionné de géologie, il a rencontré en 1979 des orpailleurs de l’Ariège (Pyrénées) ; lui vint alors l’idée de fournir des paillettes d’or aux larves des Phryganes qu’il élevait déjà. Observant qu’elles intégraient ces paillettes à leur étui, il les a privées de ce dernier ; il a constaté alors qu’elles en réalisaient derechef un autre, entièrement pailleté celui-là. Cette expérience a donné lieu en 1983 au dépôt d’un brevet auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (n° 83 02 024).

Les larves utilisées appartiennent aux familles Limnephilidae, Leptoceridae, Sericostomatidae ou Odontoceridae, avec une préférence pour les genres Limnephilidae Potamophylax et Allogamus. Elles sont récoltées de janvier à avril, dans les ruisseaux de basse et moyenne montagne (gaves des Pyrénées, torrents des Cévennes, etc.), et conservées dans un aquarium où l’eau est oxygénée, brassée et maintenue à 4° — cet hiver artificiel ayant pour effet de prolonger la période de construction et de différer l’apparition de la nymphose. L’étui est décapsulé à l’arrière, et la larve, qui se maintient habituellement dans celui-ci à l’aide de ses deux crochets postérieurs, est poussée délicatement en avant avec une pointe émoussée ; la pression exercée sur le dernier anneau lui fait lâcher prise. L’expérience in vitro porte alors essentiellement sur la modification du milieu naturel, plus précisément sur la substitution de nouveaux matériaux de construction à ceux rencontrés d’ordinaire par la larve (sable, petits graviers, brindilles, coquilles de planorbes ou autres escargots aquatiques). Dans un premier temps, l’animal est immergé dans un milieu aurifère, le temps qu’un étui grossier soit suffisamment formé pour qu’il puisse se déplacer avec, et être saisi sans risque pour la fragile construction. Aux paillettes d’or natif, exclusivement proposées au début, sont ensuite progressivement ajoutés au choix : des cabochons de turquoises, d’opales, de lapis-lazuli et de corail, des rubis, des saphirs, des diamants, des perles semi-sphériques et baroques, et de petites tiges d’or (18 carats). L’animal relie les matériaux à l’aide d’un fil de soie, depuis l’intérieur du tube, et selon un mouvement hélicoïdal, puis tapisse cet intérieur d’un feutrage de cette même soie. Chaque type de matériaux étant dans un bac séparé, il est possible, en contrôlant le temps de séjour dans tel ou tel bac, de faire réaliser un anneau d’une matière déterminée. On peut aussi, en mutilant localement la construction (y compris le feutrage), obtenir de l’animal qu’il la répare en plaçant tel matériau donné exactement à l’emplacement de la mutilation. Le savoir-faire constructeur de l’animal est donc non seulement détourné mais rigoureusement canalisé en fonction des fins esthétiques escomptées. Tous les matériaux ne sont pas utilisés avec la même facilité par l’animal, qui préfère par exemple les perles. Un tube fabriqué lors d’une saison précédente peut-être habité l’année suivante par une nouvelle larve préalablement dénudée : elle le prolongera jusqu’à réaliser un nouvel étui qu’elle finira par séparer du premier. Christian Denis [vii] fait remarquer que c’est parce que les dimensions du fourreau emprunté sont rarement idéales que la larve s’en sert de base pour la construction d’un autre aux dimensions plus appropriées. D’autres familles que celles énumérées plus haut se prêtent sans doute à l’expérience. Ainsi il a été possible, une saison, de faire réaliser des étuis minéraux par des larves de Phryganeidae, qui sont pourtant dans la nature exclusivement productrices d’étuis végétaux.

Hubert Duprat expose la Phrygane en public, au même titre qu’une œuvre d’art. L’animal, charriant son étui artificieux, est montré à hauteur d’œil, dans un aquarium de petite dimension fixé au mur, dûment alimenté par-derrière en eau courante, réfrigérée et oxygénée. La nuit, les larves lucifuges sont replacées dans les bacs successifs contenant les matériaux nécessaires à la poursuite de la confection des étuis. Ce qui est donc montré dans le champ artistique est le résultat (provisoire) de l’expérience, mais non celle-ci proprement dite. Le choix, à cet égard, a consisté à ne pas faire des Phryganes des bêtes de cirque, à ne pas donner à voir la fabrication. (Pour le faire d’un point de vue scientifique, note Christian Denis [viii], il faudrait avoir recours au film, les larves ne construisant pas sur commande.) On peut voir évoluer la bête dont la tête, le thorax et les pattes, velus et noirs, émergent d’un lourd fardeau hétéroclite — Fabre disait un « amoncellement cyclopéen [ix] » — péniblement traîné. Aucune ne ressemble à une autre : les paillettes d’or natif, aux allures de petits boucliers mal martelés se juxtaposent en écailles ; de minces fils d’or hérissent certain fuseau oblong de leurs aspérités ; la nacre blanchâtre des perles semi-sphériques, le bleu sombre des saphirs ou celui plus frivole des turquoises, le rouge profond des rubis relancent de leurs feux multicolores cette resplendissante parure. On peut même discerner un diamant enchâssé dans ce fatras de bijoutier. Cette fabrique fonctionne, pour ainsi dire, en continu : à cette fin Hubert Duprat recycle fréquemment, à titre de matériaux, d’anciens étuis démembrés. Au total, à ce jour, seuls quelques dizaines d’étuis précieux ont conservé une forme définitive.

À vrai dire, l’idée de ce genre d’expérience in vitro se trouve déjà chez plusieurs entomologistes professionnels autres que Fabre, voire chez de simples amoureux de la nature. Comme le sujet passionne Duprat, il les a inventoriés. La mention la plus ancienne se trouve sous la plume de François-Jules Pictet [x], un entomologiste genevois qui, après avoir effectué « quelques essais pour voir à quel point on pouvait faire travailler des espèces avec des matériaux qui ne sont pas les leurs », rapporte en 1834 qu’il a donné des matériaux minéraux aux larves habituées à travailler avec des végétaux et vice versa. La première mention d’un résultat curieux esthétiquement se trouve en 1923 chez le chanoine C.-H. de Labonnefon : il fournit à l’animal de petites perles de verre « qui donnèrent à sa demeure l’aspect bariolé d’un superbe habit d’Arlequin [xi] ». Cette histoire de perles se retrouve en 1951 dans le Traité de zoologie dirigé par Pierre Grassé [xii], et en 1956 chez le romancier Gerald Durrell [xiii], qui raconte une expérience réalisée en famille, en Grèce. Plus près de nous, des expériences ont eu lieu avec des protocoles plus précis que ceux de Fabre [xiv]. Des chercheurs polonais, par exemple, se sont attachés à la plasticité adaptative du comportement constructeur des Trichoptères placés dans des situations de mutilation appelant la réparation de l’étui. Il faut surtout signaler la remarquable thèse de Christian Denis, qui comporte notamment des observations sur la modification expérimentale du milieu naturel (taille du sable, intensité de la lumière…), ce chercheur étant par ailleurs le premier à travailler à partir des pontes, alors que tous les autres expérimentateurs font reconstruire les étuis à des larves déjà âgées. Toute cette littérature scientifique récente ne s’intéresse cependant pas au caractère esthétique du résultat. Or, c’est bien ce qui nous préoccupe. En réactivant des problèmes parmi les plus récurrents de ceux qui s’ancrent au cœur des sciences de la vie, en faisant se lever nombre de métaphores qui renvoient à l’antique participation de l’insecte au monde des mythes, en se jouant des rapports de l’art et de la nature, ce travail, cette œuvre de l’insecte tout autant que de l’artiste qui l’induit et la met en scène, suscite une réflexion où il est difficile de démêler la part esthétique de l’épistémologique.

La curiosité

Merveille de la nature ou détournement artistique, cet étui prodigieux, précieux et bizarre peut être rangé dans la catégorie de la « curiosité », au sens plein et positif que ce terme avait au dix-septième siècle. Tenu pour un ancêtre du musée, le cabinet de curiosité [xv], qui réunit toute une population hétérogène provenant d’horizons divers, est mû par un intérêt sans frein pour des choses qui nous semblent aujourd’hui former une collection incohérente. C’est, comme le fait bien sentir l’allemand, un Wunderkammer, un lieu de merveilles. L’étui précieux supposé, appelle la collection virtuelle qui le contiendrait. Il en recèle l’espace dans sa brillance comme le cabinet de curiosité reflète le monde :

« This cabinet is form’d of Gold

And Pearl and Crystal shining bright,

And within it opens into a World

And a little lovely Moony Night [xvi] ».

Le cabinet de curiosité est, comme le disait Pierre Borel, médecin de Castres (1649), « un microscome ou un résumé de toutes les choses rares ». C’est un tableau du monde, lui-même susceptible de faire tableau, « illustrant de grandes catégories d’êtres et de choses, qui, ensemble, épuisent l’univers : le sacré et le profane, le naturel et l’artificiel, l’animé et l’inanimé, le proche et le lointain », précise Krzysztof Pomian, qui rapporte justement la curiosité au désir et à la passion [xvii] — en fonction de quoi la curiosité, reconnue coupable d’égarement, fut condamnée par l’Encyclopédie, qui en sauva cependant l’histoire naturelle : il nous en reste ces merveilles de la nature évoquées plus haut dans leur acception restreinte et laïque.

« Je crois effectivement, dit Hubert Duprat, que j’ai un fantasme de totalité et de densité maximum. Le désir d’un travail encyclopédique, de recouper les champs […] [xviii]. »

Et s’il va de la Phrygane aux astrophotographies et aux cosmonautes flottant dans l’espace, en passant par le motif de l’atelier, c’est en un geste instaurateur, disposant les différentes occurrences de son œuvre — un geste pour ainsi dire élargi jusqu’aux étoiles. Ce balayage ample doit être compris comme une modalité revendiquée de l’énoncé artistique et non comme un scanning inconscient. Chaque scansion constitue un monde :

« Entre le microcosme des larves et le macrocosme des étoiles il y a l’atelier qui est l’espace du moi agissant, écho et centre métrique du monde à la fois sujet et objet de représentation [xix]. »

Une telle volonté de « recouper les champs », une telle transversalité n’est pas sans rappeler les « sciences diagonales », les « obliques » et les « cohérences aventureuses » chères à Roger Caillois [xx]. Elle relie, me semble-t-il, Hubert Duprat au meilleur du courant surréaliste, là où il a su se tenir à distance des effets poétiques par trop faciles.

La fabrique (facere)

Le mot atelier a deux sens désormais distincts : lieu d’une production artistique ou lieu d’une industrie. Jules Michelet voit dans l’insecte « l’industriel par excellence [xxi] », et Fabre, observant la Phrygane, s’applique avec minutie à en décrire l’activité de constructeur. En cela elle obéirait tout d’abord à un instinct aveugle, tourné vers la survie et la nécessaire adaptation au milieu. Tapie sur le fond boueux du torrent, la Phrygane, dont l’étui est fait des mêmes matériaux alluviaux, s’y confond : l’étui est protecteur, le camouflage utilitaire. Que la Phrygane « recommence », comme l’observe Fabre, cela dénote simplement le caractère automatique de son activité. De cette espèce d’aveuglement, les études de cet auteur sur d’autres insectes fourmillent d’exemples. Et, quand à la place des matériaux trouvés dans son milieu naturel, la Phrygane s’empare de pierres précieuses, comme si de rien n’était, cela confirme son obéissance à la loi de l’instinct. Pour expliquer la frénésie que certains insectes déploient dans l’activité de construction, Pierre Grassé avance le terme de « stigmergie », entendant par là un engendrement réciproque de l’œuvre et de l’excitation à la produire [xxii]. Il y a ainsi dans l’art de Duprat, dans l’auto-engendrement de l’œuvre, une certaine « frénésie [xxiii] », évidente dans les enchâssements de béton, épuisantes boursouflures internes où sont gravées porte et plinthes d’un atelier éponyme improbable, au prix d’un travail et d’une dépense disproportionnés par rapport à la maigre figure évoquée — installations qui de plus sont à détruire et à refaire. La fabrique à bien des égards est sans objet, comme emportée par son inertie, gaspilleuse d’énergie, dépensière plus qu’économe, contrevenant aux lois de l’économie et telle que la Phrygane en donne l’exemple dans le dérèglement programmé de son instinct. De ce point de vue, qui s’en tient au strict niveau d’une activité fébrile, l’œuvre de la Phrygane, en laquelle n’entre aucun contrôle visuel (et encore moins mental), peut-être considérée comme une sorte d’écriture automatique par délégation.

L’insecte artisan (agere)

L’insecte artisan domine de sa stature toute la littérature entomologique, scientifique ou littéraire, de Réaumur à Maeterlinck. Observant l’insecte stupide nous ne pouvons nous empêcher d’adhérer à « l’artificialisme contemplatif d’Aristote 25 » : « La Nature fabrique les pierres, les animaux et les plantes comme le potier tourne son vase. La théorie des quatre causes est la rationalisation de cette image : comme l’artisan, la Nature prend une matière (cause matérielle) et lui impose une forme (cause formelle) à l’aide d’un instrument (cause efficiente) ; toute l’opération étant entreprise et conduite en vue du résultat (la cause finale est la plus importante et la seule explicative en dernier ressort) [xxiv]. »

De l’architecte divin du Timée [xxv] de Platon, en passant par la nature artificieuse d’Aristote, nous glissons à l’insecte constructeur, ingénieux bâtisseur de sa propre demeure, sans avoir abandonné la métaphore de l’artisan. Et si l’on accepte avec Kant que « l’art est distingué de la nature comme le « faire » (facere) l’est de l’« agir » ou « causer » en général (agere) et [que] le produit ou la conséquence de l’art se distingue en tant qu’œuvre (opus) du produit de la nature en tant qu’effet (effectus) [xxvi] », il faut bien avouer que la production d’artefact au sein même de la nature pose problème. L’image de l’artisan est tenace. Elle traverse toute l’œuvre de Fabre. Décrivant la fabrication de l’étui par la Phrygane, il ne peut se retenir et compare : « Quand il construit avec des briques l’étroit canal d’une cheminée d’usine, le maçon se tient au centre de sa tourelle, et de proche en proche établit de nouvelles assises en tournant sur lui-même. La Phrygane opère de même [xxvii] » (la rotation de l’ouvrière remplace ici celle de l’argile sur le tour du potier !). Selon Étienne Souriau, parmi les faits esthétiques repérés dans la nature, l’animal partage avec la plante, le style, l’inventivité combinatoire et la capacité de feindre, mais il possède en propre la production d’artefacts. Dans son livre plaisant sur Le Sens artistique des animaux, il consacre un chapitre à l’insecte artisan et à l’examen de la guêpe-potier. Il la trouve « sensible à la bonne forme » et convoque le Timée, cette « métaphysique de l’art du potier » ; en bon platonicien, il suppose que « dans le programme héréditaire de l’action de notre insecte est impliqué, de quelque manière que ce soit, un modèle [xxviii] ». Hegel avait été plus prudent. Certes, écrivait-il en substance, la vie animale peut exprimer une certaine animation, mais « le cercle de son existence est étroit et ses intérêts dominés par le besoin naturel de la nourriture, de l’instinct sexuel, etc. ». En conséquence, il ne repérait d’âme (de projet) que « de façon trouble, comme connexion de l’organisme, comme point d’unité de l’animation [xxix] ». Il n’a guère été suivi si l’on en juge au développement de l’éthologie !

Que l’insecte soit artisan ou, plus généralement, que la nature soit créatrice de formes, la prise en considération en son sein d’une dimension esthétique est la pierre d’achoppement de la science, la porte ouverte à toutes les métaphysiques. Une des réponses de la biologie contemporaine à ce problème tient dans la notion de téléonomie avancée par Jacques Monod — « L’une des propriétés fondamentales qui caractérisent tous les êtres vivants sans exception : celle d’être des objets doués d’un projet qu’à la fois ils représentent dans leurs structures et accomplissent par leurs performances (telles que, par exemple, la création d’artefacts) [xxx] » —, lequel reconnaît, par ailleurs, que le caractère des êtres vivants est en contradiction avec l’objectivité de la nature et que cette contradiction épistémologique est le problème central de la biologie. Kant limitait le finalisme en posant le concept d’une finalité de la nature comme un principe régulateur tout subjectif permettant de guider la recherche. Pour la biologie actuelle le concept de téléonomie veut remplacer à la fois l’ancien finalisme et le jugement téléologique kantien. « Les événements et les formes futures vers lesquels l’organisme semble se diriger sont en fait contenus au départ, de façon codée, dans les séquences nucléotidiques des A.D.N. du génome [xxxi] ».

Or non seulement la Phrygane produit un fourreau selon un modèle héréditaire, mais elle se démontre capable d’innover [xxxii]. Et ce n’est pas qu’effet induit par l’homme (Fabre, Durrell ou Duprat). Un entomologiste américain [xxxiii] rapporte la curieuse observation qu’il a pu faire dans une rivière du nord du Nevada. Parmi toutes les petites parcelles de sable et de minéraux charriées par l’eau, les Trichoptères sélectionnaient de façon significative des opales d’un bleu brillant, c’est-à-dire les matériaux les plus voyants. (Il considère que le phénomène est remarquable en raison de ce que la vision semble y jouer un rôle, alors qu’à l’ordinaire on supposait que l’appréciation des matériaux ne se faisait que selon leur poids et au toucher). Cette observation contredit les interprétations courantes du mimétisme qui y voient une fonction de leurre. Là, comme dans les aquariums de Duprat, on ne peut pas dire que la Phrygane cherche à se dissimuler : elle fait le contraire.

Sommes-nous en droit, pour autant d’attribuer à l’insecte que manipule l’artiste un comportement esthétique ? C’est en ayant recours à la Théorie générale de l’information, comme l’a fait la biologie ces dernières années [xxxiv], que l’on peut, peut-être, sortir de l’impasse. Il faut alors considérer que des conditions inhabituelles ont déterminé un comportement nouveau. Du point de vue de la Phrygane, l’intervention de Duprat revient à subir une brusque transformation du milieu naturel inhabituel, à être dans l’obligation de réagir à une sollicitation du hasard. Pour Henri Atlan « la nouveauté absolue provient du caractère indéterminé de stimuli qui jouent ainsi le rôle, de perturbations aléatoires du système qu’ils affectent. L’acquisition de connaissances nouvelles par l’expérience est un cas particulier d’accroissement d’information sous l’effet du bruit [xxxv] ». Atlan relie l’illusion de cause finale à la structure de notre esprit (ce qui est très kantien) : « Il est des situations où nous faisons l’expérience d’une sorte d’inversion du temps : lorsque nous nous engageons dans un acte volontaire, une série de gestes est le résultat de notre volonté consciente et s’oriente vers le but que nous désirions atteindre, en sorte que, d’une certaine façon, la série d’événements paraît déterminée par les causes finales 37 ». Mais il existe un autre type de situation où « nous avons affaire à une inversion locale du temps dans la mesure où se produit une diminution locale d’entropie » (négentropie). Elle « intervient dans les processus physico-chimiques — inconscients — d’auto-organisation, lorsque fonctionne le principe de « complexité par le bruit » [xxxvi]. » L’intervention de l’artiste perturbant l’éthologie ordinaire de l’animal revient de même, me semble-t-il, à introduire un bruit, à complexifier son Umwelt, et à produire indirectement une réponse.

Dans le détournement artistique de la Phrygane manipulée par Hubert Duprat, l’effet de cause finale est donc double : du point de vue biologique le rôle principal est dévolu à l’aléatoire et à son intervention dans un phénomène d’auto-organisation ; du point de vue humain l’intention de l’expérimentateur produit cet effet. Les deux types d’effets de cause finale (d’inversion du temps) se conjuguent dans l’expérimentation in vitro. L’étui précieux de la Phrygane : — œuvre de l’insecte ou œuvre de l’artiste ? — l’antinomie se résout par la distinction des points de vue. Selon le premier, la Phrygane ne doit rien à l’artiste (qui n’est que l’auteur d’un bruit parmi les milliers de son environnement) ; selon le second, elle n’est que matériel du projet de ce dernier. L’énoncé artistique joue de la confusion des deux registres en superposant deux perspectives. L’ambivalence du résultat esthétique (à la fois naturel et artistique) fait de la Phrygane d’avantage qu’un ready-made assisté ou un « détournement », un objet doublement exposé, comme une surimpression, un palimpseste scientifico-artistique [xxxvii].

Perspectives cachées

L’auteur d’un livre illustré sur la nature ne cache pas son enthousiasme : « nous avons réussi à entrevoir l’atelier où prend naissance la beauté des formes et des couleurs du monde vivant et nous avons admiré quelques-unes de ses œuvres [xxxviii] ». De ces formes, Kant en distingue deux types : la forme interne et la forme externe. La première est celle de l’être vivant en tant qu’organisme et relève de la science, la seconde (la surface) est soumise à notre appréciation esthétique : c’est un analogon de l’art, le modèle par excellence de la beauté libre (au même titre que les rinceaux décoratifs).

Dans sa plus simple expression, la forme interne n’est que la « cohésion de l’organisme » dont parlait Hegel. Kurt Goldstein y perçoit la qualité d’une structure et tient l’organisme pour un tout qui est plus que la somme de ses parties [xxxix], ce qui revient à promouvoir la forme au rang de supplément. D’une façon générale, le biologiste qui examine les formes du vivant et leur engendrement (morphogenèse) considère que la vie est « créatrice de formes [xl] » — (ceci nous ramène une fois de plus à Aristote). Or la perception projective d’un art de la nature se double de la notion inverse : les formes organiques n’ont cessé d’être — et surtout depuis l’abandon d’une stricte mimésis, une source de modèles, une revendication stylistique, voire un paradigme de la création. Ces formes abondent dans l’œuvre de Duprat où unité organique, enveloppe, moule, enchâssement, marquage, concrétion, etc., se repèrent aisément. (i) La coque vide des fourreaux de la Phrygane représente encore cette totalité organique dont elle était l’excroissance (même si c’est un artefact). Pour se protéger du froid, dit Caillois, « le mammifère a « inventé » la toison ; pour se protéger des prédateurs, le crustacé « invente » la carapace et le mollusque la coquille. [La politique de l’homme] consiste […] à écarter les solutions organiques qui modifient le corps [xli] ». Pour Valéry, l’animal « émane sa coquille », « laisse suinter » la matière à construire, « distille en mesure sa merveilleuse couverte [xlii] ». (ii) L’unité organique se transmet de l’organisme à son enveloppe. Par extension ses propriétés sont celles de toute habitation. La maison est une coquille, une enveloppe [xliii], une totalité close sur elle-même ; l’atelier aussi : à Rennes le mur blanc, le plâtre, qui en recueillait et entourait le plan rabattu (en ciment), s’enroulait sur lui-même (La Criée, 1990). (iii) Le fourreau, pour autant qu’il manifeste un certain ajustement au corps qu’il épouse, est aussi un moule. La sculpture par ce trait plus que d’autres, par la notion de reproduction inscrite au cœur de sa pratique, dénote une origine sans doute différente de celle de la peinture. Des sculpteurs comme Bruce Nauman ou Didier Vermeiren [xliv] connaissent bien cette importance du moule, de la rétroversion des formes intérieures et extérieures — le premier, de plus, ayant concrétisé ce lien biologique par des œuvres mettant en jeu son propre corps. Les sculptures musicales de Michel Aubry sont également moulées dans de la cire… Les installations réalisées par Duprat à partir du motif spatialisé de l’atelier (réduit à une idéalité : le trait d’une plinthe, une porte) reviennent chaque fois à enchâsser un volume concave, de bois (Pichon-Longueville, 1987 [xlv] ) ou de béton, dans celui offert par l’institution : un moulage en creux, sans adhérence, surélevé (Nice, 1989 [xlvi] ) ou simplement décollé des murs (Nevers, et Bordeaux, 1989 [xlvii] ). (iv) La gravure dans le ciment du motif de l’atelier ou les marqueteries, telles une fresque, manifestent « la beauté vivante d’un organisme [xlviii]». Dans la série de marqueteries [xlix] dont le dessin est formé du motif de l’atelier projeté en perspective, Duprat a utilisé des matériaux comme l’étain, l’écaille de tortue, la nacre de coquillage, le buis ou l’ébène. À Cadillac [l] (1987), le laiton était serti entre les lames du plancher et incrusté dans les murs. Le trait en creux et l’inscrustation traitent la surface comme quelque chose d’épais qui s’appartient organiquement.

Les différentes modalités de la forme organique et de la surface épaisse, telles qu’elles s’énoncent chez Hubert Duprat et viennent d’être énumérées, se doublent de considérations plus spéculatives : le vivant et l’épais suscitent la curiosité investigatrice, une pénétration dans l’intimité. Dans son étui, la Phrygane subit la nymphose, y accède à l’état adulte, s’y mue en imago. L’étui en se faisant cocon fonctionne comme une matrice. Par analogie, tous les enchâssements d’espaces des installations de béton sont comme des invaginations. « Rêverie de l’intimité », dit Bachelard [li] parcourant les thèmes de la maison, de la coquille, du moule et celui de la matrice, en ayant de plus l’intuition de les relier à la curiosité : « une curiosité agressive et étymologiquement inspectrice ». « La volonté de regarder à l’intérieur des choses rend la vue perçante, la vue pénétrante. Elle fait de la vision une violence » ; il faut voir « avec quelle rage l’imagination [désire] fouiller la matière ». Ainsi la texture de la pierre, ses veines ne peuvent se découvrir que par sa section et dans le déploiement symétrique des deux surfaces dégagées (voir le paragraphe suivant). Le débit de la matière en « tranches de cake » est une autre solution : le cake découpé offrant cette particularité de conserver le dessin de surface, inscrit à l’intérieur où il se poursuit sans discontinuité. Duprat a transposé cette particularité dans une sculpture faite de trois blocs de béton espacés et parallèles (Bordeaux, 1989 [lii] ) : le dessin projeté sur la surface convexe se prolonge latéralement, comme en épaisseur. Bachelard [liii] très justement parle d’une « imagination inventive qui prévoit une perspective du caché, une perspective des ténèbres intérieures » et aussi, plus joliment encore, à propos de l’imprégnation propre au procédé de teinture, d’une « perspective d’intensité substantielle infinie ». Je tiens les sculptures « tranches de cake » de Duprat, mais aussi son attachement aux lourdes concrétions et sa référence aux pierres découpées, pour une paradoxale mise en perspective de l’épais.

Natura pictrix

À partir d’un carton, obturant le jour d’une vitre de son atelier, entaillé de minces fentes dessinant des courbes irrégulières plus ou moins concentriques, Hubert Duprat a obtenu une photographie au fond noir irradié de bleu nuit, où la lumière semble sourdre de l’épaisseur d’une matière hypothétique [liv]. Dupliquée et inversée elle a servi de point de départ à une composition doublement symétrique. C’est la reprise transposée d’un procédé, décrit par Roger Caillois, qui « consiste à découper, dans leur épaisseur, des plaques de marbre ou de porphyre aux veines prometteuses. Ensuite l’artisan ouvre la pierre pour ainsi dire, en rabattant les deux moitiés autour d’un axe, comme on ouvre un livre, de façon à créer une symétrie que ne fournit pas la nature. Il n’est intervenu, pour obtenir l’image cherchée, que par le seul ajout de cette symétrie. Ainsi procèdent les enfants lorsqu’ils écrasent une tache d’encre dans la feuille de papier qu’ils plient [lv] ». « Le système a été pratiqué depuis des siècles [lvi] », ajoute Jurgis Baltrušaitis qui mentionne un dessin d’agate d’Allemagne reproduit dès 1755 par Dézallier d’Argenville, et lui aussi parfaitement abstrait. Les catalogues de collections anciens distinguaient d’ailleurs, des pierres retouchées, ars adaptavit [adaptées par l’art], les minéraux qui n’avaient subi aucune modification picturale, qui étaient donc a natura depicti, [peints par la nature]. Roger Caillois, et l’art abstrait informel n’ont fait que remettre au goût du jour ce dernier genre.

C’est d’abord chez les papillons [lvii] que cet auteur a rencontré le modèle d’une création artistique, libre, abstraite, a natura depicti ; il n’hésite pas à comparer leurs ailes à une peinture : « deux espèces de surfaces où sont juxtaposées des taches colorées, brillantes ou ternes, qui forment un ensemble ». L’indice de cette beauté est la « gratuité », la « prodigalité » (Caillois emprunte à Bataille : « une énorme dilapidation fait loi », « une sorte de dépense fastueuse », « il y a création par la biologie de formes et de couleurs qui ne s’expliquent pas par la simple économie [lviii] »). Ainsi repère-t-il dans le monde biologique en général « un ordre esthétique autonome ». Son engouement pour les pierres n’est pas moindre. Il les a recherchées au cours de ses voyages, les a collectionnées, leur a consacré plusieurs articles et ouvrages (Natura pictrix, L’Écriture des pierres, le Champ des signes, L’Agate de Pyrrhus). La luxuriance de sa prose exalte le minéral. Certains passages semblent avoir été rédigés au vu des photographies de Duprat — telles ces « traînées irrégulières dont les ondes azurées traversent la stupeur de l’agate comme enregistrement de sismographe ou de baromètre affolé ». Roger Caillois va même jusqu’à mettre en compétition art et nature et propose, malicieusement, de juger les tableaux abstraits par comparaison avec les compositions des « vitrifications immémoriales du profond laboratoire des laves [lix] ». Novalis déjà avait tranché : « Quant aux tableaux, la nature n’est-elle pas la sublime maîtresse [lx] ? ». Kant lui-même conçoit que le beau naturel puisse surpasser l’art (il ne confond pas les deux) sur le terrain de la beauté : « beaucoup [des] cristallisations minérales comme les druses de spath, l’hématite rouge, les fleurs de mars donnent des formes beaucoup plus belles que celles que l’art pourrait jamais concevoir [lxi] ».

Or, l’étui gemmé de la Phrygane, en tant qu’il ne répond plus à la conformité de son modèle d’espèce, par son dérèglement hypertélique, n’appartient-il pas à ce genre de création a natura depicti ? Le « bruit », en perturbant l’information habituelle, en augmentant comme par une inversion du temps l’énergie locale du système (négentropie) ne libère-t-il pas l’innovation ? L’animal ne se démontre-t-il pas capable d’improviser ? C’est selon Kant dans la libre improvisation de la nature, que notre appréciation esthétique trouve, entre autres, à s’appliquer sur un objet le moins surchargé qu’il soit de jugements pratiques ou de connaissances — ce qu’il nomme la beauté libre exemplifiée par les fleurs, les insectes, les coquillages, les oiseaux, les pierres…

Le botaniste ne se soucie guère du processus de fécondation de la fleur quand il en apprécie les formes et les couleurs. Mais quand nous mêlons à notre jugement esthétique d’autres modes d’appréhension, celui-ci s’applique alors à un objet mixte. N’est-ce pas le cas quand l’idée de forme organique vient se plaquer sur celle de belle forme ? Cette dernière ne perd-elle pas sa gratuité ? N’est-elle pas, alors, entachée de tous les présupposés relatifs à son usage ou à sa fin ?

Si l’étui de la Phrygane appartient au domaine de la beauté libre, c’est parce qu’il est arraché à l’ordre de sa nécessité. Cependant, pour Kant, il n’y a pas d’art de la nature. Nous ne jugeons comme tel ce que nous trouvons librement beau dans celle-ci que par analogie, en fonction d’une projection. Ce même péché d’anthropomorphisme, que Roger Caillois pressentait, tout en l’assumant, le conduisait, en posant une nature anticipative, à une « ontologie du merveilleux » : « une ontologie de l’identité et de la conspiration universelle […] Or ce ne sont pas les feints grimoires de granits graphiques ni les transparentes constructions prismatiques des quartz qui nous émeuvent. Le merveilleux c’est le monde insoupçonné auquel nous introduit comme ferait une fable, cette rêverie ontologique dont ils sont le prétexte et les preuves fragiles […] Le seul art est celui que nous avons à interpréter la nature [lxii] ».

La natura pictrix n’est telle que par notre imagination ébranlée. Elle ne se soustrait pas aux lois de l’association. Ainsi se constituent, chez Caillois, ces entités projectives que sont les paysages du jaspe, les constellations de la septaria, les calligraphies de l’onyx, les yeux de l’agate. Non seulement l’art de la nature n’est désigné comme tel que par analogie, mais la projection, loin d’avoir aucune pureté abstraite, emporte avec elle nos rêveries associées. Baltrušaitis ne s’y était pas trompé, qui avait placé en exergue de son article sur les pierres ce fameux passage de Léonard : « si tu regardes des murs souillés de taches ou faits de pierres de toutes espèces, pour imaginer quelque scène, tu peux y voir l’analogie de paysages… [lxiii] »

Natura fecit, imaginatio pictit, telle est plutôt la formule du merveilleux. Il est vrai qu’il faut y ajouter dans le cas présent un Duprat dixit incontournable, qui en situe la reprise dans une distance toute contemporaine, celle de la transposition et de l’artifice.

Le mimétisme

Le fourreau de la Phrygane est certes une extension de son organisme, outil de protection hypertrophié, suppôt à quelque titre de notre imagination esthétique. Mais il appartient, de plus, à l’ordre des phénomènes surdéterminés du mimétisme. « Déguisements », « camouflages », « travestis » agitent aussi bien les mythes que l’art contemporain, et unifient par leur imaginaire un domaine hétérogène — il s’étend des ailes de papillon aux peintures d’Andy Warhol et aux photographies d’Urs Lüthi, incluant les masques nègres ou carnavalesques —, où Roger Caillois s’est engouffré, y trouvant matière à étayer son « esthétique généralisée ».

Le phénomène a d’abord été étudié sous l’angle de la coloration : Poulton et Cott [lxiv] distinguent les couleurs trompeuses de celles qui avertissent, la même approche pouvant être étendue à l’abri-artefact. Ainsi on dira que la Phrygane naturellement allocryptique est brusquement devenue allo-sématique ; par ses brillants elle attire l’attention malgré elle et devient phanérique. À la distinction entre le véridique et le mensonger, Lucien Chopard [lxv] substitue celle qui porte sur la similitude avec l’environnement ou avec d’autres espèces. Il définit le camouflage comme le produit d’« actes mécaniques, dirigés par les conditions du milieu et dont la valeur protectrice est secondaire » — soit une certaine rupture d’avec l’ordre des strictes déterminations économiques ; ce n’est qu’aux phénomènes d’imitation entre espèces qu’il rapporte la notion d’hypertélie dont il attribue l’invention à Brunner von Wattenwyl (1873). Roger Caillois fonde sa classification du mimétisme sur l’effet recherché et agglomère les aspects offensifs et défensifs. Il distribue l’ensemble entre le travesti, le camouflage et l’intimidation, et cite la Phrygane dans le second genre : « camouflage, c’est assimilation au décor, au milieu, recherche de l’invisibilité. Pour parvenir à cette fin, l’animal doit essentiellement perdre son individualité, c’est-à-dire effacer ses contours, les appareiller à un fond de teinte uniforme ou, au contraire, bariolé, sur lequel il se détacherait sans cette adaptation. En outre, il doit demeurer immobile […] [lxvi] » Caillois transfère au camouflage la notion d’hypertélie et met en balance ce qu’il a conjecturé de fascination de l’Autre dans le travesti avec la « tendance non moins partagée à obtenir une invisibilité trompeuse [lxvii] ». (Severo Sarduy [lxviii] repère analogiquement dans le travesti humain — cette « œuvre autoplastique » — une « pulsion létale » doublant celle de métamorphose (mimicry) ; il ajoute l’ostentation de l’artifice).

Mais l’apport le plus riche de Caillois réside sans doute dans ce qu’il avance de l’intimidation — ce troisième genre n’étant qu’en apparence éloigné de notre sujet : les ocelles, qu’exhibe le Caligo (un papillon) sur ses ailes, sont comme les yeux arrondis de Méduse (la tête d’un décapité, sans doute, chez le Caravage) ; par leurs formes circulaires, concentriques, elles ont un pouvoir hypnotique qui renvoie à la croyance populaire au mauvais œil. La forme fascinante est destinée à l’œil du prédateur ou d’autrui.

Comme le disait Berkeley : être c’est être perçu. Aussi peut-on se demander si les formalisations contradictoires auxquelles a prêté le mimétisme ne peuvent être réduites en ayant recours à la seule notion de forme ou caractères allesthétiques (c’est-à-dire destinés à être perçus par autrui). Pour Raymond Ruyer [lxix] — auquel j’emprunte ce développement — dans « le complexe spectacle-spectateur », chacun des deux termes régule l’autre. Il cite Dalcq qui « a noté que les dessins extérieurs des vertébrés par répartition de pigment son dus à des cellules qui émigrent de la crête neurale pendant l’embryogenèse. Le même processus pourrait ainsi donner lieu à la fois à la forme perçue et à l’appareil qui sert à la perception ». Nuançant la notion de forme allesthétique, Ruyer défend l’idée que ce qu’il nomme les organes « à être vus » ne dépend pas de la perception directe d’un autre être : « La morphogenèse ou le comportement d’un organisme […] a un caractère de forme vraie, qui se passe parfaitement d’être une forme-image ». « La forme organique, en elle-même, indépendamment des regards posés sur elle possède une authentique unité formelle » et « thématique ».

Partant de l’examen des formes allesthétiques, cet auteur en vient au concept de surface absolue et utilise la comparaison de l’écran de projection [lxx] : « De même que n’importe quelle surface blanche, nappe, drap, serviette, ou mur, peut servir d’écran pour une projection de photos ou de film, n’importe quel tissu organique, en principe au prix d’une adaptation technique secondaire, comme celle qui dispose la rétine ou l’oreille interne et les centres cérébraux correspondants en organes commodes de réception des ondes sonores ou lumineuses, peut devenir capable de perception, capable de se faire modeler par des stimuli extérieurs en les transformant en image consciente. Et si tout tissu organique est capable de percevoir, il est naturellement capable aussi de se disposer de lui-même en spectacle à être vu. Contenant l’équivalent d’un œil, il peut être offert à l’œil d’un autre organisme. Si l’on saisit bien ce point on voit se dissiper le mystère des formes “allesthétiques” […] C’est l’organisme dans son ensemble qui est offert aux thèmes de comportement ou aux thèmes formels utilitaires ou décoratifs, qui se jouent sur les tissus comme les ombres sur l’écran du cinéma, ou plutôt — car le tissu n’est pas récepteur passif — comme les traits et couleurs d’un tableau qui dirigerait lui-même, ou qui contrôlerait, la peinture. Le tableau n’étant non pas une surface physique, mais une surface absolue, contient en lui l’équivalent à la fois d’un œil et d’une main [lxxi]. »

En 1984 Hubert Duprat présentait pour la première fois le fourreau précieux de la Phrygane dans le cadre d’une exposition. La même année, « sans y voir aucun rapport [lxxii] », il poursuivait la réalisation de ses premières camera obscura. Comme si dans la contemporanéité de l’exploitation d’un phénomène allesthétique — le détournement de l’aspect cryptique de la Phrygane en ostentation sémantique — avec le début d’une série de travaux exploitant la projection naturelle renversée, obtenue au fond de l’atelier transformé en chambre noire, comme si sous cette contiguïté était supputé, par quelque obscure présomption, un lien entre les deux : un passage possible de la surface extérieure enveloppante et ostensive, à celle, intérieure, de la camera obscura, support de projection et métaphore de la représentation.

L’artifice

Valéry qui recherchait « une poésie des merveilles » note que certaines choses dans la nature se distinguent par leur singularité : « Comme un son pur, ou un système mélodique de sons purs, au milieu des bruits, ainsi un cristal, une fleur, une coquille se détachent du désordre ordinaire de l’ensemble des choses sensibles [lxxiii]. » Hubert Duprat vise ce genre de rupture d’avec le fond :

« La bête fait fond sur le fond du ruisseau, sur le fond de l’idée de nature. En donnant à l’animal un matériau précieux, il se met à faire tache, il se décolle de l’environnement [lxxiv]. »

Comme si une force centrifuge expulsait de la nature certaines de ses créations. L’hypertélie cette « ultra évolution aberrante [lxxv] », cette « tendance imitative dépassant son but », appartient de ce fait à la vieille catégorie du « monstrueux » : « une sorte de surréalisme naturel » selon Jacques Brosse. « Je pousse le réel si loin que la fiction fait intrusion », déclare Duprat de son côté, indiquant par là une sorte de logique qui, du tératologique, en passant par l’esthétique du surréel, aboutit à une revendication de l’artifice. Dès lors le merveilleux n’est plus tant cette nature à découvrir, parcourue par les explications du pédagogue, que, selon la tradition même des mirabilia, une sorte d’anti-nature, étrange et inquiétante, où se côtoient la tératologie naturelle et l’artifice humain [lxxvi]. La Phrygane gemmée, détachée de son fond naturel, prend place dans ce registre conjoint.

Le détournement du cours de la nature dans la greffe et l’hybride a prêté longtemps à commentaire ; il est significatif des changements d’attitude à l’égard de l’artifice. Robert Lenoble [lxxvii] a souligné la position ambivalente de Pline qui, tout en reconnaissant la virtuosité des praticiens de la greffe, en limite l’usage (« la religion qui défend de greffer sur l’épine ne permet pas de tout confondre »), au nom d’un tabou du naturel qui le pousse également à condamner le luxe. Comme le remarque Clément Rosset, Pline est le premier écrivain à avoir précisément exprimé « l’angoisse, constamment répétée, devant la déperdition du naturel [lxxviii] ». À l’aube du xviie siècle, Francis Bacon en élaborant une méthode d’examen de la nature, fondée sur le classement a priori de ses particularités, crée la classe des « instances déviantes, c’est-à-dire les erreurs de la nature, les aberrations, les monstres, tous les sujets où la nature s’écarte et se détourne de son cours ordinaire ± ». Il lui assigne un but pratique : « en effet si l’on parvient à saisir une bonne fois la nature dans sa variation […] il sera facile à l’art de conduire la nature là où le hasard l’avait fourvoyée 69 ». En s’appuyant sur cette connaissance, « le passage est facile des miracles de la nature aux miracles de l’art [lxxix] ». À la même époque Shakespeare, dans le Conte d’hiver, fait répondre à Portia, qui n’aime ni les œillets rayés ni les giroflées parce que ce sont des hybrides artificiels, que la greffe, par exemple, est d’un art supérieur à celui de l’homme car, au lieu d’ajouter à la nature comme ce dernier, c’est un art de la nature elle-même [lxxx] : on ne peut ajouter à la nature (« ars homo additus naturae ») que pour autant qu’on se soumet à son ordre. En dépit de cette réserve, Bacon a du moins avancé — ne fut-ce que dans son titre De augmentatis — l’idée d’une addition, d’un supplément, — ce qui est un pas franchi en direction d’une reconnaissance positive de l’artifice et nous éloigne de l’altération ressentie par Pline comme un déficit. Le xviie siècle est aussi celui des oignons de tulipe dont Antoine Schnapper a rappelé récemment la mode délirante. Du collectionneur de tulipes, La Bruyère dit que « Dieu et la nature sont en tout cela ce qu’il n’admire point [lxxxi] ». Vingt ans après Shakespeare et Bacon, les poètes marinistes affichent leur « goût pour une réalité recomposée et toute d’ornement[lxxxii] » — tel Du Bois Hus pour qui « les fleurs sont bien de plus belles choses en leurs vers qu’[elles ne le sont même] dans les parterres et les jardins du Louvre [lxxxiii] ». (Plus près de nous la fleur « dite » de Mallarmé [lxxxiv] quoiqu’« absente de tout bouquet » n’en est que plus présente, et Proust voit dans les roses peintes par Elstir une « variété nouvelle dont ce peintre, comme un ingénieux horticulteur, avait enrichi la famille des Roses [lxxxv] ».)

L’art de Duprat est bien, de même, celui d’un augmentateur. Loin d’être un naturaliste, il brandit la bannière de l’artifice : (i) Le fourreau de la Phrygane est un vêtement surajouté. Il habille la larve comme les parures le corps nu d’une femme (« dans le métal et le minéral qui serpentent autour de son cou, qui ajoutent leurs étincelles au feu de ses regards […] quel poète oserait […] séparer la femme de son costume [lxxxvi] »). La nature chez Duprat n’est jamais nue. (ii) Le mimétisme trompe. Geoffroy Saint-Hilaire n’emprunta-t-il pas au latin larva, signifiant masque, pour désigner le premier stade de l’insecte ? Dans les photographies de la chambre noire ou dans celles des cosmonautes, le rapport au réel est médiatisé à un tel point qu’il est impossible d’en effectuer la vérification. L’artifice est du côté du faux et de la feinte. (iii) Les formes organiques repérées plus haut se satisfont d’être vraisemblables : les sculptures de béton donnent l’illusion d’un trait qui se poursuivrait en profondeur. Les veines minérales sont une transposition affichée de la texture, selon un procédé qui ne doit rien à une prise de vue directe et tout à un dispositif astucieux et au montage subséquent. (iv) Les astrophotographies ne proviennent pas de l’enregistrement, en pose, du mouvement des étoiles, mais sont simulées sur du rhodoïd découpé [lxxxvii]. (v) Les photographies issues de la chambre noire sont tout autant sur-élaborées : la prise de vue est indirecte, un écran parfois interposé, l’appareil dénoncé par son ombre… « La plupart des images que je donne à voir ne sont pas visibles à l’œil nu [lxxxviii] », dit Duprat, insistant sur le Salon bleu, ce manifeste de la machination : soit cinq agrandissements obtenus à partir de détails recadrés (et pour certains inversés) d’une même carte postale [lxxxix], un cosmonaute relié à un fil flottant dans l’espace bleu avec en arrière-fond la lune, et la terre plus petite ; selon l’angle la surface prismatique rend les vues différentes. La position intermédiaire, dédoublant l’image, accroît le kitsch de ce spectacle d’un bleu trafiqué (l’espace est noir en réalité). « La fiction s’affiche dans la couleur du ciel [xc] ».

Parler de « fiction plastique » est un pléonasme si l’on s’en tient à l’étymologie, le latin fingere signifiant proprement « façonner ». En tant qu’invention de l’imagination, la fiction est inséparable de connotations narratives. Littéraire ou plastique, la fiction moderne remplace le merveilleux mythologique et légendaire. Dans celle de la Phrygane, dans celle de la chambre noire ou dans celle des cosmonautes, tout se passe comme si, grâce à leur caractère artificiel, pouvait à nouveau se lever quelque récit, sur le terrain même d’un univers désenchanté, comme si l’artifice sauvait du désenchantement. Miracles et prodiges avaient de l’attrait en dépit de ce qu’ils fussent incroyables (ou plutôt, justement à cause de cela), la fiction en a d’autant plus qu’elle s’affiche. En levant les barrières logiques du vrai, en libérant l’imagination et son pouvoir associatif, la fantaisie plastique offre une « prime de séduction [xci] ». Dans la Nuit du chasseur, Charles Laughton ne fait-il pas glisser la barque des enfants menacés par l’ogre Robert Mitchum dans un décor de carton-pâte où les grenouilles semblent aussi fictives que le ciel étoilé !

Le baroque

« Il mirabile, dit Christine Buci-Glucksmann, rend équivalent le vivant et le non-vivant […] les mirabilia de la nature et celles de l’artifice [xcii] », et si Étienne Souriau, en projetant des faits esthétiques dans la nature, peut déceler dans la corrélation des détails à l’ensemble (pour telle plante, par exemple) quelque chose comme un style, il faut bien examiner quel peut-être ce style, qui signerait la jonction du naturel et de l’artificiel, et dont Hubert Duprat, en somme, se ferait le prosélyte.

Prenant le contre-pied de Rousseau, Marcel Reymond, soucieux de réhabiliter l’art romain post-tridentin, en appelait à une nature recherchant « la complication [xciii] », s’élevant « de plus en plus vers des organismes plus variés [xciv] ». (« De la matière inerte à la plante, à l’animal, à l’homme, dans tout progrès de la vie, la nature, folle de richesse, ne peut évoluer sans s’éloigner de la simplicité [xcv] »). Il anticipait ainsi la formule d’Eugenio d’Ors, ce chantre du baroque, pour qui « le baroque est l’idiome naturel de la culture, celui où la culture imite les procédés de la nature [xcvi] ». Des traits essentiels de ce moment stylistique, l’or, le bleu du ciel, la métamorphose et l’ostentation, voire certaines figures rhétoriques, se retrouvent bel et bien dans l’art de Duprat.

Préciosités : Une revue spécialisée de pêche (la larve de la Phrygane sert d’appât), a pu publier un article sur les « sedges baroques de Duprat [xcvii] ». Le fourreau gemmé lui-même, à la fois hétéroclite et précieux, recueille deux significations étymologiques du mot baroque : la perle irrégulière et bizarre, et le produit plus élaboré du joaillier [xcviii]. Quant au fait que le fourreau devient dans certains cas un cocon d’or, cela concrétise une autre étymologie, celle du mot chrysalide qui vient du grec xrusÚw [l’or] — le terme ayant été forgé en raison « de la couleur parfois dorée des cocons d’insecte, mais aussi de leur forme qui est celle d’un bijou [xcix] ». Le fond de l’atelier — chambre noire, tapissée d’une couverture de survie dorée — est à l’origine d’une photographie (1985-1986) où les reflets bleus de la partie inférieure sont ceux du ciel projeté. Soit l’or et le bleu du ciel simultanément, dans un rapport inverse de celui des « voûtes d’églises peintes en bleu avec de petites étoiles dorées [c] ». « Artifice de l’éblouissement, les larves de Trichoptères qui bâtissent des cocons précieux, les flammes de gaze qui reflètent les couleurs du ciel [une œuvre réalisée en 1986 à l’abbaye de Fontevraud], les incrustations de nacre et d’écaille de tortue […] «brillent » de mille feux, « jettent de la poudre aux yeux », et oblitèrent d’abord au regard une anomalie naturelle ou un dessin volontairement imparfait [ci]. »

La métaphore bijoutière est fréquente dans la poésie baroque. Le poète mariniste Guido Casoni, par exemple, qualifie tour à tour la luciole de piroppo [gemme] et rubin [cii]. Commentant cette prédilection pour les termes d’orfèvrerie ou de joaillerie, Gérard Genette remarque qu’ils ne sont pas tant le point de départ d’une rêverie matérielle (Bachelard) que « retenus, bien au contraire […] pour leur fonction la plus superficielle et la plus abstraite » en vertu « d’une poétique fondée sur la rhétorique » qui « se garde bien de combler les distances ou d’atténuer les contrastes [ciii] ».

Le bleu du ciel : cette couleur domine plusieurs photographies : L’Atelier ou la Montée des images [civ] (1983/1985), Jour et nuit [cv] (1984-1985), Le Salon bleu (1984/1985). Elle est vive, artificielle, tout autant due aux qualités du procédé Cibachrome qu’à son modèle d’origine. Pour Du Bois Hus aussi, l’égalité du jour et de la nuit (les étoiles en plein jour de Jour et nuit chez Duprat) est le produit de l’artifice humain : « Un escadron d’astres nouveaux / Faits d’artificieux flambeaux / Consomme les nuages sombres, / Tous les jours et les nuits sont également clairs, / Et pour brûler les ombres / Les étoiles de l’art allument tous les airs. [cvi] »

L’exagération décorative des fonds bleus est une hyperbole, un procédé rhétorique, et la qualification de sublime plusieurs fois mise en avant — le « cocon sublime », le « bleu subliminal » — doit être prise comme telle. Rappelons à ce sujet qu’il n’y a pas d’art sublime pour Kant, mais un sentiment du sublime dans la nature, le sentiment que l’idée de certaines de ses manifestations est inaccessible à notre imagination : « lorsqu’on dit sublime la vue du ciel étoilé [nous le regardons simplement] comme une simple voûte qui comprend tout [cvii] ». Et si Jules Michelet a pu donner comme sous-titre, à son ouvrage sur l’insecte, « l’infini vivant », c’est en fonction du même sentiment de limitation de notre imagination face à une population au nombre et à la variété formelle incommensurables. Dire du bleu du ciel qu’il est sublime, quand il s’agit de peinture baroque ou de photographie contemporaine, est abusif — à moins d’accepter de réduire le sublime à un pur effet de rhétorique.

Rhétorique : L’insecte revêtu d’or — ce rendu littéral de l’étymologie de « chrysalide » — directement donné à voir, est une hypotypose ; comme plus largement le recours à ce que Baudelaire appelait « l’art de la montre » (à propos des étalages parisiens), lorsque la fiction se fait simple présentification, — cette figure appartenant très largement à tout l’art contemporain. Jour et nuit, ou la coexistence dans le « cabinet de Duprat » de l’insecte doré et du ciel bleu est un oxymore, un trope complexe consistant à associer des termes incompatibles ou extrêmes. L’insecte naturellement brillant, associé à l’or, est une métaphore plus une exagération, c’est-à-dire cet autre trope complexe qu’est l’hyperbole. La métaphore est partout sous-jacente dans le thème des images manipulées. Gaston Bachelard en a parcouru l’éventail : « les gemmes sont les étoiles de la terre. Les étoiles sont les diamants du ciel [cviii] ». En vertu d’un présupposé général de correspondance, elle est « l’art d’exprimer un concept par le moyen d’un autre très différent, trouvant la similitude dans les choses dissemblables » ; elle règne comme la force même de l’esprit qui « consiste à lier les notions des objets les plus éloignés, les plus séparés [cix] ».

L’ensemble de ces figures contribue à l’amplification, ce procédé que l’éloquence religieuse baroque emprunte à l’ancien genre épidictique (de l’éloge oratoire) — le baroque, comme le pointe Gérard Genette, étant « l’exemple rare d’une poétique fondée sur une rhétorique [cx] ». Severo Sarduy [cxi] fait de l’ellipse la figure dominante de cette poétique, et pose des « termes élidés » comme la pulsion scatologique derrière l’or et le luxe, et celle de mort derrière le décor aux formes « vivantes ». (Georges Bataille avait déjà subverti par le bas Le Bleu du ciel). L’or et le bleu du ciel de Duprat me semblent tout autant l’ellipse du monstrueux (le tératologique de l’insecte) ou de la déjection (l’atelier de béton), la lourdeur et la massivité de certaines sculptures et installations déniant, pour leur part, le caractère éphémère de leur présentation.

Métamorphose : Un rêve de Rainer Maria Rilke met en lumière ce premier terme élidé. Le poète « tient en main une motte de terre noire, humide, dégoûtante […] Il prend un couteau et il doit enlever une tranche fine de ce morceau de terre, et en coupant, il se dit que l’intérieur sera encore plus affreux que l’extérieur, et il regarde, hésitant presque, la partie interne qu’il vient de mettre à nu, et c’est la surface d’un papillon, les ailes ouvertes, admirable de dessin et de couleurs, une surface merveilleuse de pierrerie vivante [cxii] ». — Soit la description point par point de la sublimation artistique qui par dépli et étalage métamorphose l’immonde.

Gilles Deleuze, dans le commentaire qu’il donne de Leibniz, a bien montré comment l’univers baroque était soumis à la loi de changement par flexion et pli ; comment, à une logique de l’attribution prédicative, se substituait une logique de la relation, du verbe et de l’événement, inventant un maniérisme à la place de l’essentialisme aristotélicien ou cartésien, impliquant pour la substance « une unité de changement qui soit active ».

La Phrygane de Duprat est doublement emblématique du règne de la métamorphose : la « mue » du fourreau naturel en objet précieux étant elle-même la métaphore de la métamorphose de l’insecte — du passage du stade larvaire à celui de l’imago par la nymphose dans la chrysalide (pour les espèces holométaboles comme la Phrygane, c’est-à-dire soumises à une métamorphose complète, et non à des mues successives). L’atelier qui se fait dessin, simplifié, réduit à un schéma idéal, projeté ou déplié, obéit aussi à un principe de transformation. Un autre opérateur, plus horizontal, déplaçant le motif d’une installation à l’autre, sans que puisse se repérer un quelconque modèle original. Il est vrai que Duprat n’a pas d’atelier, au sens traditionnel du terme, et que ce motif récurrent, dans son insistance, est à prendre comme « l’emblème analogique d’une transformation [cxiii] » ; mais l’ensemble du « cabinet » est bel et bien engendré par un principe de métamorphose qui distribue les séries et en module les variations.

Perspectives dépravées : « Nul mieux que Michel Serres n’a dégagé les conséquences mais aussi les présupposés de la nouvelle théorie des coniques et [entre autres] le statut de l’objet, qui n’existe plus qu’à travers ses métamorphoses ou dans la déclinaison de ses profils. [cxiv] » Ainsi de la texture de la pierre dont les courbes épousent tour à tour l’ellipse ou l’hyperbole (l’image employée par Leibniz pour décrire l’intérieur de la substance est celle des veines du marbre ; plus tard Kant fera appel à la théorie des fluides et à l’idée d’un mélange de corps non miscibles subitement stoppé dans ses mouvements internes). Ainsi de la déformation de l’espace de l’atelier par une visée au grand angle. Ainsi surtout de la projection de ce même dessin sur les parallélépipèdes de béton, où les lignes se poursuivent sur les faces latérales. La perspective mise en œuvre par Duprat appartient à ce que Jurgis Baltrušaitis nomme les « perspectives dépravées ». Le volume de l’atelier figuré, en rien homothétique à l’espace d’exposition, est au contraire diminué, aplati, gonflé, déplié et replié, enroulé, tronqué. Une source de déformation supplémentaire étant due, dans bien des cas (dans deux installations de Rennes par exemple), à l’absence de recul. Sous la subversion spéculative de l’espace perspectiviste pointe une double polémique : à l’égard de l’espace euclidien et cartésien (partes extra partes) d’une part et, d’autre part, de certaines pratiques contemporaines qui commentent les lieux institutionnels offerts.

Ostentation : Pour caractériser le baroque, à la métamorphose (Circé) Jean Rousset [cxv] ajoute l’ostentation (le paon). Cette dernière ne domine-t-elle pas le phénomène du mimétisme, comme en témoignent les notions, exposées plus haut, d’hypertélie ou de formes allesthétiques ? L’usage de matériaux précieux ou l’énormité des scénographies cimentées ne sont-ils pas révélateurs d’une même propension ? Par une extraversion significative, l’investigation du curieux, la rêverie de la matière intime, n’exhibe-t-elle pas in fine une surface déployée ? Le punctum brillant de la larve gemmée ne suscite-t-il pas la fascination du regard ?

Comme le disait Baltasar Gracián : « À quoi servirait la réalité sans l’apparence ? […] Le plus grand savoir […] consiste dans l’art de paraître […] un peu d’ostentation vaut mieux que beaucoup de réalité cachée […] La montre […] donne comme un second être à toute chose [cxvi]. » On peut même parler d’un appétit du regard baroque. « Le grand axiome du baroque : être c’est voir ». Tout se transforme en scènes par une espèce d’« appétit de voir », sous l’effet d’une « pulsion scopique ». « On pourrait définir l’œil baroque comme un regard anamorphique. Dans son appétit quasi pulsionnel de merveilleux, d’artifices, d’inattendu et de désillusion de l’apparaître. Mais aussi, et principalement dans son souci de construire des artefacts artistiques, des faits factices, mettant en œuvre une loi et ses variations, ses perversions, ses points de vue [cxvii]. »

Une pulsion scopique à deux versants — autant du côté du voir que de celui de l’être vu —, articulant l’appétition scopique du curieux à la merveille et à sa « montre », engendrant la figure ostentatoire du fourreau gemmé, les bleus tonitruants de la série projectionniste, l’« obscénité » du béton et des manipulations perspectivistes.

Je sais bien, en enfourchant à nouveau le cheval du baroque, à propos de l’art de Duprat, que ce terme peut prêter à confusion. On s’en convaincra sans peine en relisant la préface de Sarduy à l’exposition Baroque 81 (Paris, 1981) et en mesurant la distance qui sépare les œuvres présentées alors, des propositions commentées ici. Nulle intention donc de rattachement familialiste à une vague nébuleuse, mais des points précis, marqués culturellement : le monnayage incisif du baroque en merveille, artifice, préciosité, bleu du ciel, rhétorique, métamorphose, perspectives dépravées et ostentation, tel qu’on vient de le décompter.

La chambre noire

Le « cabinet de curiosité » semble affectionner l’hétéroclite, sauter du coq à l’âne, du petit au grand, du plan au volume, du vivant à l’artificiel, de l’objet à l’image… En dépit de cette diversité, ses diverses occurrences possèdent cependant une parenté formelle, celle d’une unité spatiale enveloppante : l’étui protecteur cylindrique entoure la larve et, refermé aux fins de la nymphose, il se fait cocon ; le mur du fond de l’atelier de béton, inclus dans telle ou telle salle, esquisse latéralement un mouvement de retour, comme pour embrasser le regard du spectateur ; le mur de plâtre cerne de sa marge blanche le plan développé gravé dans le ciment ; la chambre noire est une pièce close ; l’image de la rue se projette sur cinq des six faces de la boîte ainsi formée et environne l’expérimentateur ; la combinaison du cosmonaute est un « cocon sublime », une super-protection, l’hyperbole technologique du fourreau dérisoire de la Phrygane ; le ciel étoilé est une voûte… Chaque unité spatiale enveloppante correspond au point de vue unificateur d’une surface de projection, constitutif de l’image d’un monde dans son autonomie. Le monde de la Phrygane étant borné, la larve presque aveugle ne dépasse guère les limites de la coquille. « Nous pouvons nous représenter tous les animaux qui animent autour de nous la nature — coléoptères, papillons, mouches, moustiques et libellules — comme enfermés dans une bulle translucide qui circonscrit leur espace visuel et dans lequel est enfermé tout ce qui est visible au sujet […] C’est seulement lorsque nous nous représentons ces faits d’une manière concrète que nous découvrons aussi dans notre milieu des bulles qui nous enferment chacun dans notre monde [cxviii]. »

L’atelier, selon une comparaison connue, est l’univers de l’artiste : il s’y meut à son aise, y rassemble ses modèles et accessoires ; il y reconstitue fictivement le monde ; il y crée son monde. « Je t’ai placé au cœur du monde, dit à Adam le Créateur, afin que tu puisses l’envelopper plus facilement de ton regard et que tu voies tout ce qu’il contient […] tu as en toi-même les germes d’une vie faite pour tout englober [cxix]. »

Avancera-t-on que l’homme veut quitter son monde, conquérir l’espace ? — Mais l’effraction a-t-elle bien lieu ? N’est-il pas encore relié par le bouton qu’il manipule à ses coordonnées terrestres [cxx] ? La navette spatiale n’est-elle pas « une maison spatiale très proche de l’environnement naturel de la terre et de ses conditions de vie [cxxi] » ? Ou bien fera-t-on valoir que le monde a des limites floues, que son horizon est indéfini ? — Mais il ne s’ordonne pas moins autour d’un noyau central.

Tous ces mondes annexés à un point de vue (soient-ils le monde du phénoménologue), toutes ces unités spatiales de projection, sont ronds et pleins comme un œuf. Et la chambre noire est un tel monde imaginaire, du moins dans la version qu’en a élaboré Duprat : (i) L’image finale d’abord : Chacune des photographies représente, renversé, l’extérieur de l’atelier avec les toits et les façades des bâtiments bordant, sans doute, l’autre côté de la rue. Le ciel, d’un bleu marqué, occupe la partie inférieure. Le panneau ou le tissu qui recueille la projection est parfois visible ainsi que l’ombre de l’appareil. (ii) L’écran photographié varie : surface unie (le mur du fond), verre dépoli maintenu à la verticale [cxxii], ou couverture de survie dorée (déjà évoquée plus haut). (iii) Le processus de fabrication enfin : la longue venue de l’image, sa perception se limitant à une gamme de gris pour l’expérimentateur, sa saisie incertaine par un temps de pose difficile à déterminer, l’alchimie du résultat avec ses couleurs et sa luminosité reconquises, jamais vue auparavant.

Le point de vue de la chambre, c’est-à-dire, à partir de la pièce, de l’espace clos de travail, est celui-là même des premiers essais de Nicéphore Niépce. Depuis une fenêtre de sa ferme du Gras, à Saint-Loup-de-Varennes, quand il fixe l’incroyable empreinte de son paysage domestique : la volière, les toits de la grange et du four, la basse-cour, un poirier et quelques branches d’autres arbres du verger [cxxiii]. C’est également depuis une pièce close, sa cellule de prison, que Verlaine chantait « le ciel par-dessus le toit », la rêverie du prisonnier semblant répondre à l’imaginaire domestique du premier photographe.

Dans son résultat comme dans son expérience rapportée, la chambre noire de Duprat est une histoire de fascination. De l’observation au résultat, le saut constaté emporte l’adhésion émerveillée. La métamorphose miraculeuse tire la photographie du côté du spiritisme plutôt que de celui de la perception matérialiste, du constat d’un transfert par contact ou empreinte. Sa qualité d’indice marque le pas devant une conception toute monadique, la monade, on le sait, étant sans fenêtre, sans contact direct avec le monde extérieur. Il n’y a pas de prise de vue directe [cxxiv]. Dans l’atelier obscurci l’expérimentateur ne voit pas l’extérieur (et l’on pourrait convoquer ici la caverne platonicienne), il voit proprement un double, il fixe un double. À ce sujet, Rosalind Krauss [cxxv] a mis en lumière la façon dont le xixe siècle a pu mêler la dimension indiciaire de la photographie aux plus cocasses élucubrations spiritistes. Nadar rapporte la curieuse théorie des spectres défendue par Balzac, à qui Théophile Gautier et Gérard de Nerval emboîtèrent le pas, et selon laquelle c’est une partie infinitésimale du corps photographié qui vient se coller sur le daguerréotype ; Huysmans, dans Là-bas, décrit « la photographie des esprits » !

Il est troublant de constater que l’entomologie, en fixant les termes techniques de la métamorphose, a été traversée par des préoccupations voisines : la larve est un masque, c’est-à-dire le double d’une âme disparue (envolée), son seul fantôme. L’imago a un sens ambivalent : image identitaire (c’est le sens que retiendra surtout Jung [cxxvi]) mais aussi portrait d’ancêtre [cxxvii] ou simulacre ; l’insecte adulte, avec son aspect extravagant, ayant tout autant à voir avec l’idée d’un habit second qu’avec celle de l’identité. (Freud prisait Spitteler [cxxviii] et son roman Imago pour ce que son auteur y faisait assez sentir le comique d’une fixation imaginaire à la première femme aimée.)

La fascination a partie liée avec la clôture totalisante de l’image, l’unité et la fixité du point de vue. Cette unité est donnée par l’écran, la membrane, le vinculum (la surface absolue du biologiste) : le vinculum étant le lien, ce qui attache, mais aussi selon une étymologie supposée du sanskrit (vivyekti) ce qui embrasse. La projection est enveloppante, et le lien enveloppant a pour effet la fascination. Jacques Brosse, à propos de la nymphe enfermée dans son cocon parle de son narcissisme. Et Freud trouvait dans l’introversion narcissique de certaines femmes, ou de l’enfant, une séduction particulière, la même que celle du bel animal, inaccessible, autosuffisant, « une position de libido inattaquable [cxxix] ». Toute œuvre d’art, en tant qu’analogon organique, en tant qu’œuvre — complexe unifié autonome et réifié — est objet de fascination. Théodor Lipps, à la fin du xixe siècle, a fait, de la projection sentimentale (Einfühlung — traduit parfois par « empathie » ou « intropathie ») le concept central de son esthétique : « Ce que j’expérimente dans ma conception, et dans ma considération de l’objet et dans ma projection, comme détermination de moi-même, je le sens ou je le vis comme uni à l’objet, comme lui correspondant, comme une détermination de lui-même ; en un mot je me vis moi-même dans l’objet. Cet acte de me vivre dans l’objet comme individu unifié, et de vivre par cela même, l’objet en moi, est […] l’accomplissement de la projection sentimentale. C’est en même temps la condition finale de la beauté de l’objet [cxxx]. »

Roland Barthes a eu raison de nuancer la dimension idéologique de la photographie, sa surcharge connotative, par sa singularité irréductible d’indice. Mais elle est de façon tout aussi prégnante l’objet d’une fascination difficile à endiguer. Ce qui vient d’être dit du dispositif de la chambre noire chez Duprat, et des photographies qui en sont la retombée, peut être étendu à l’hypertélie de la Phrygane ou au bleu du ciel en général : rien ne semble les soustraire au règne de l’imaginaire.

Strates

Jules Michelet faisait des insectes « les imperceptibles constructeurs du globe ». Cuvier s’était proposé, en examinant « les débris osseux dont les couches superficielles du globe sont remplies », tel un « antiquaire d’une espèce nouvelle », de « restaurer ces monumens des révolutions passées et [d’en] déchiffrer le sens [cxxxi] ». La première passion de Duprat fut précisément l’archéologie — il publia même une étude sur la poterie sigillée en Agenais — faisant preuve d’un intérêt pour les indices matériels et l’ordre du temps qui éclaire quelque peu son travail présent. Je vois dans le lien puissant qui, dans son œuvre, relie l’artefact naturel à l’artifice humain une invitation à examiner les productions de l’art en général du point de vue — paradoxal — d’une histoire des choses, voire d’une histoire de la nature.

Georges Kubler, en un ouvrage souvent remarqué, a proposé un tel examen : « les seuls témoignages de l’histoire qui soient en permanence disponibles à nos sens sont les choses désirables produites par l’homme […] Ces choses marquent le passage du temps […] Comme des crustacés, nous dépendons pour notre survie de notre squelette extérieur, d’une coquille historique de cités et de maison remplies de choses appartenant à des moments définis du passé [cxxxii] ». Comme le dit André Collot, « une espèce a découvert que l’on pouvait se spécialiser dans la promotion de l’objet en général ». « L’artefact — l’objet fait par l’art et non par la nature — s’installe à côté du biologique, et pour toujours. Cocons, nids, greniers, pièges, barrages, on le trouve à tous les échelons de l’organisation biologique. Bien entendu il prend avec l’hétérotrophe bipède son essor définitif [cxxxiii]. »

Nietzsche, qui entrevoyait « la totalité du monde, éternellement en croissance, des appréciations, des couleurs, des poids, des affirmations et des négations », produite sans cesse, comme quelque chose qui n’existait pas encore, la mettait en rapport avec « le caractère perspectiviste de l’existence [cxxxiv] ».

La somme dans le temps des projections perspectivistes — des phénomènes en soi immatériels — se mesure donc très concrètement par l’épaisseur de leur accumulation. Du fourreau naturel de la Phrygane à sa perception induite par Hubert Duprat, ou à l’installation démesurée de béton, la différence n’est pas seulement d’auteur ou de proportion. C’est beaucoup plus un rapport de temporalité : quand « la nature emploie des siècles à former des pierres précieuses, l’art prétend les contrefaire en un moment [cxxxv] ». Accélération et surchauffe. Qu’est-ce qu’une « installation » dans l’art contemporain ? Un monument éphémère ? Il n’en reste pas moins quelques résidus de démolition, quelque dépense d’énergie ayant contribué de façon infinitésimale au réchauffement de la biosphère. L’installation éphémère, dont le comble est bien ces constructions d’espaces bétonnés proposées par Duprat et acceptées par une galerie et plusieurs centres d’art proprement affolés, est le symptôme de cette accélération et de cette surchauffe. Le site n’est devenu prétexte à considérations ou plutôt à simulacres, dans l’art, que précisément à l’époque — disons à partir des années soixante — de la déterritorialisation du capital, des centres de pouvoir économiques et des lieux de production. Quand la production et l’échange de service tendent à se substituer à ceux de la marchandise, le marché de l’art devient le lieu de la circulation des concepts, interventions, performances et autres installations. Le béton est une réponse ironique à cette situation, de la part d’un artiste appartenant à une génération qui n’est plus dupe des illusions critiques de ses aînés. Comme l’enveloppe tangible de la Phrygane, l’atelier de béton semble là pour rappeler, par son épaisseur substantielle, les effets bien matériels des retombées de l’imaginaire dans le réel.

Notes :


[i]. H Matthey, Essai sur le merveilleux dans la littérature française depuis 1800, Lausanne, 1915, p. 13 ; cité in Schuhl 1952.

[ii]. Cf. Gaumont, ainsi que Botosāneanu et Malicky 1978.

[iii]. Cité en exergue par Brosse (1968).

[iv]. Le mot est de Fabre. Sur Fabre précurseur de l’éthologie cf. Delange 1989.

[v]. Les Leçons de choses, cours à destination des classes primaires, furent publiées en 1882 et 1885 chez Delagrave et souvent rééditées depuis. Le personnage de l’oncle Paul est utilisé par Fabre dans plusieurs ouvrages didactiques.

[vi]. Fabre 1879-1907/1989.

[vii]. Denis 1968.

[viii]. Lettre à Hubert Duprat du 17 novembre 1995. Un tel film a été réalisé depuis.

[ix]. Fabre, op. cit.

[x]. Pictet 1834, p. 117-119. Toutes ces références ont été transmises à l’auteur par l’artiste.

[xi]. Labonnefon 1923, p. 56.

[xii]. Cf. Despax 1951, p. 159.

[xiii]. Durrell 1956, p. 146/1958, p. 135. Celui-ci donne à différents « groupes de larves des matériaux de construction de diverses couleurs : aux unes de petites perles bleues et vertes, aux autres de menus morceaux de brique, du sable blanc, et même… euh… des fragments de verre de couleur »

[xiv]. Pour une bibliographie complète, cf. Denis, op. cit.

[xv]. C.f. Schlosser 1908, Lugli 1983/1998, Pomian 1987, Schnapper 1988, Falguières 1988, 1990 et 1992.

[xvi]. William Blake, « The Crystal Cabinet », Poetry and prose, Londres, 1927.

[xvii]. Pomian, op. cit., p. 60 sqq.

[xviii]. HD 1986.

[xix]. HD, op. cit.

[xx]. C.f. Caillois 1975, p. 115 : « Avertissement » ; Caillois 1960, p. 9-18 : « Sciences diagonales ».

[xxi]. Michelet 1858.

[xxii]. Cité par Souriau 1965.

[xxiii]. Audinet 1986.

[xxiv]. Lenoble 1969, p. 83 et 82.

[xxv]. 50 c-e.

[xxvi]. Kant 1790/1965, p. 134 : § 43.

[xxvii]. Fabre, op. cit., p. 394.

[xxviii]. Souriau, op. cit., p. 74.

[xxix]. Hegel 1995, p. 180 sq.

[xxx]. Monod 1970, p. 22.

[xxxi]. Atlan 1979, I, 1.

[xxxii]. Christian Denis pense le contraire : pour lui, l’acceptation de nouveaux matériaux dépend de leur ressemblance en taille et en forme avec ceux utilisés habituellement. Il n’y aurait donc pas d’innovation de la part de l’animal, pour qui les nouveaux matériaux seraient en somme des ersatz que seul notre regard tiendrait pour esthétiques.

[xxxiii]. Brues 1930 (communiqué à Hubert Duprat par Olivier Flint du Smithsonian Institute de Washington).

[xxxiv]. Cf. Shannon et Weaver 1949/1976. Pour une application de cette théorie au champ esthétique, et pour une explication de l’assimilation du concept d’information à celui d’originalité, cf. Moles 1958/1972 : notamment chap. 1er, § 5 et 6. Pour la biologie, cf. Atlan 1970.

[xxxv]. Op. cit., p. 170.

[xxxvi]. Idem. p. 158 et 172, souligné par nous.

[xxxvii]. Cette interprétation de la Phrygane de Hubert Duprat, en termes de théorie de l’information, figurait dans le catalogue HD 1991. Baker (2000, p. 82) critique mon interprétation et s’arrête à l’énoncé « la Phrygane est artiste », en me faisant dire le contraire de ce que j’ai écrit. Il a mal lu.

[xxxviii]. Heran 1976, p. 156, souligné par nous.

[xxxix]. Goldstein 1934/1951, p. 337 sqq.

[xl]. Par exemple : Brachet 1927.

[xli]. Caillois 1960, p. 39 sq.

[xlii]. Valéry 1937/1957.

[xliii]. Sur cette métaphore cf. Bachelard 1957, p. 105-129 : « La coquille ».

[xliv]. Cf. ici même, chap. vii, § « véhicule ».

[xlv]. Cf. cat. Duprat 1991, ill. 37 à 40.

[xlvi]. Cf. cat. Duprat 1991, ill. 44 à 47.

[xlvii]. Cf. cat. Duprat 1991, ill. 62 et 63.

[xlviii]. L’expression est d’Antoine Fasani, Éléments de peinture murale, Paris, 1951.

[xlix]. Cf. cat. Duprat 1991, ill. 31 à 36.

[l]. Cf. cat. Duprat 1991, ill. 6 et 7.

[li]. Bachelard 1948, p. 3, 8 et 9.

[lii]. Cf. cat. Duprat 1991, ill. 24 à 26.

[liii]. Op. cit.

[liv]. Cf. cat. Duprat 1991, ill. 17 et 27 à 30.

[lv]. Caillois 1960, p. 59 sq.

[lvi]. Baltrušaitis, 1958/1983, p. 84.

[lvii]. Caillois 1960, p. 35-53 : « Les ailes des papillons ».

[lviii]. Idem, p. 51.

[lix]. Idem, p. 68.

[lx]. Heinrich von Ofterdingen, cité par Grimaldi 1983, p. 162.

[lxi]. Cf. Kant, op. cit., § 16.

[lxii]. Grimaldi, op. cit., p. 187-189.

[lxiii]. Baltrušaitis, op. cit., p. 55. Lors de la Biennale de Lyon, L’Amour de l’art, en 1991, Duprat a construit un plan de béton incliné avec des tâches.

[lxiv]. Cités par Caillois 1960, p. 71 sqq. : « Les trois fonctions du mimétisme ».

[lxv]. Chopard 1949.

[lxvi]. Caillois 1960, p. 102.

[lxvii]. Idem, p. 114.

[lxviii]. Sarduy 1986, p. 15 sqq.

[lxix]. Ruyer 1958, p. 203 sqq. : chap. x.

[lxx]. Deleuze (1988) a saisi le rapport avec la description leibnizienne de l’intérieur de la monade « la chambre obscure des Nouveaux essais, garnie d’une toile tendue » ; il cite Ruyer, p. 137 sqq.

[lxxi]. Ruyer, op. cit.

[lxxii]. Communication orale, février 1990.

[lxxiii]. Op. cit. p. 25.

[lxxiv]. HD 1986.

[lxxv]. Brosse 1968, p. 31.

[lxxvi]. Cf. Schnapper 1988, p. 103 : « naturalia et artificialia ».

[lxxvii]. Lenoble 1969, p. 180 sqq. : « L’histoire naturelle de Pline ».

[lxxviii]. Rosset 1973/1986, p. 267 sqq. : quatrième partie, chap. iv, « Pline l’ancien ».

[lxxix]. Bacon 1620/1986, p. 242 sq. : livre II, aphorisme 29. Rosset (op. cit., p. 101) cite quant à lui l’« instance clandestine » comme exemple d’artifice.

[lxxx]. Cité par Schuhl, op. cit., p. 96-99 : « Perdita, la nature et l’art ».

[lxxxi]. Schnapper, op. cit., p. 43 sqq.

[lxxxii]. Rousset 1968.

[lxxxiii]. Idem, ibidem, p. 112.

[lxxxiv]. « Crise de vers ».

[lxxxv]. Marcel Proust, cité par Bachelard 1957, p. 15.

[lxxxvi]. Charles Baudelaire, Le peintre de la vie moderne, 1863 : § x, « La femme ».

[lxxxvii]. Cf. cat. Duprat 1991, ill. 8 et 16.

[lxxxviii]. HD 1986.

[lxxxix]. Cf. cat. Duprat 1991, ill. 9 à 13.

[xc]. HD 1986.

[xci]. Freud 1908/1985.

[xcii]. Buci-Glucksmann 1986. Cf. également l’analyse que fait Gérard Genette (1966) de l’Essai des Merveilles d’Étienne Binet.

[xciii]. Reymond 1912/1982, p. 120.

[xciv]. Idem, ibidem.

[xcv]. Idem, ibidem.

[xcvi]. D’Ors 1935, p. 132. Cité par Audinet 1986.

[xcvii]. Guy-Marie Renié, in Premières catégories, vol. 2, n° 3, mai 1988, souligné par nous.

[xcviii]. Sarduy 1975, p. 13. Le dictionnaire étymologique de Warburg ne donne pas la seconde acception.

[xcix]. Brosse, op. cit., p. 99.

[c]. HD 1986.

[ci]. Tió Bellido

[cii]. Rousset 1968/1976, p. 95.

[ciii]. Genette 1966, p. 36-37.

[civ]. Cf. Duprat 1991, ill. 20.

[cv]. Cf. Duprat 1991, ill. 14 et 15.

[cvi]. Rousset, op. cit., p. 112.

[cvii]. Kant, op. cit., p. 107. Olivier Chedin (Sur l’esthétique de Kant, Paris, 1982, p. 243 sq.), qui voit une complicité du décor et du sublime, parle improprement, me semble-t-il, d’un « art du sublime » chez Kant.

[cviii]. Bachelard 1948a, p. 291.

[cix]. Cesare Ripa, cité par Buci-Glucksmann, op. cit., p. 143.

[cx]. Genette, op. cit., p. 36.

[cxi]. Op. cit., p. 81.

[cxii]. Rapporté par Bachelard 1948b, p. 32 sq. (d’après la Princesse de la Tour et Taxis, Souvenirs sur Rainer Maria Rilke).

[cxiii]. Tió Bellido, op. cit.

[cxiv]. Deleuze, op. cit., p. 30, commentant Le Système de Leibniz et ses modèles mathématiques (Paris, 1968).

[cxv]. Rousset 1953.

[cxvi]. Cité par Rousset, ibidem, note 80, p. 220.

[cxvii]. Buci-Glucksmann, op. cit., p. 41 sqq.

[cxviii]. Uexküll 1934/1956, p. 36.

[cxix]. Pic de la Mirandole, mis en exergue par Otto Rank, L’Art et l’Artiste, 1931 (trad. franc., Paris, 1984.)

[cxx]. Cf. Lemoine-Luccioni (1980, p. 27), qui s’appuie sur une remarque de Jacques Lacan.

[cxxi]. Joseph Allen et Russell Martin, Aller-Retour pour l’espace, Paris, 1984, chap. « Le cocon sublime ».

[cxxii]. Cf. Duprat 1991, ill. 21.

[cxxiii]. Cf. Niépce 1986.

[cxxiv]. Cf. Deleuze (op. cit., p. 39), qui rapproche la monade du modèle de la chambre noire de Gravesande (reproduit in Kofman 1973, p 75).

[cxxv]. Krauss 1978.

[cxxvi]. Métamorphose et symbole de la libido, Paris, 1927.

[cxxvii]. Les imagines de la Rome antique.

[cxxviii]. Spitteler 1906/1984.

[cxxix]. « Pour introduire le narcissisme », 1914. (trad. franc. in Freud, La vie sexuelle, Paris 1969.)

[cxxx]. Théodor Lipps 1903/1923, p. 198. (Jung, dans l’article cité note 107, utilise le concept d’Einfühlung en liaison avec celui d’identification).

[cxxxi]. Cuvier 1925/1985, p. 31 sq.

[cxxxii]. Kubler 1962/1973.

[cxxxiii]. Collot 1980.

[cxxxiv]. Le Gai savoir, trad. franc., Paris, 1982, § 301 et 374.

[cxxxv]. Diderot (De l’interprétation de la nature, XXXVI), cité par Clément Rosset, op. cit., p 9. Valéry (cité par Étienne Souriau, op. cit.) dit : « L’artiste fait en peu de jours ce que l’animal met des siècles à faire. »

[Ce texte est la version revue et corrigée de « La Phrygane, la merveille et le monument », publié in catalogue de l’exposition Hubert Duprat,  (Hôtel des arts, Paris, mars), Paris, Fondation nationale des arts, 1991, p. 7-32. — « Caddis Worm, Marvel and Monument », trad. en anglais par Simon Pleasance, ibidem, p. 88-104. — 1re partie reprise sous le titre « Hubert Duprat, la Phrygane, la merveille », Alliage n° 7 & 8, Nice, printemps-été 1991, p. 30-39. — « The Insect Craftsman (agere) », extrait de la trad. en anglais in cat. de l’exposition Animal. Anima. Animus, éd. par Marketta Seppälä, Jari-Pekka Vanhala et Linda Weintraub, Pori Art Museum, 1998.
Il a été édité, sans grandes modifications, in Christian Besson, Abductions. L’œuvre et son interprétant, Genève, Mamco, 2006.]