La loupe me fit voir

Charles de Geer, Mémoires pour servir à l’histoire des insectes, Stockholm, L.L. Grefing, 1752-1778.

Toutes les friganes connues vivent dans l’eau tandis qu’elles sont sous la forme de larves. C’est dans les marais, les étangs, les ruisseaux et en général dans toutes les eaux douces qu’on les trouve. Elles sont d’une figure particulière et elles habitent toujours dans des petites maisonnettes portatives ou des espèces de fourreaux faits de différentes matières étrangères, qu’elles trainent dans l’eau partout où elles marchent. M. de Reaumur nous a donné des observations sur ces larves ou ces teignes aquatiques comme il les appelle, qui méritent d’être lues, parce qu’elles renferment beaucoup de découvertes curieuses.
Ces larves ont été connues des anciens sous le nom de Ligni-perdae, quoiqu’elles ne gâtent point le bois, comme l’a fort bien remarqué M. de Reaumur, qui dit encore que Bellon les a nommées Charrées. Après avoir parlé d’abord des larves mêmes et leurs logements, nous passerons ensuite à leurs métamorphoses.
Les fourreaux dans lesquels ces larves sont logées, sont en général de figure allongée et cylindrique; à chaque bout ils ont une ouverture circulaire, mais celle du bout antérieur, du bout par lequel la larve fait sortir la tête, est ordinairement plus grande que celle de l’autre bout. L’intérieur du fourreau est un tuyau cylindrique fait de soye, dont le tissu est fort serré, uni et lisse: car ces larves sçavent filer comme les chenilles. L’extérieur ou plutôt la couche qui couvre l’étui de soye en dehors, est de figure très-variée, selon les matières que la larve employe à la construction; on a de la peine à en trouver deux qui se ressemblent parfaitement. Ces matériaux sont presque tout ce qu’on trouve dans les eaux des marais et des rivières, tout leur convient pour entrer dans la composition extérieure de leur espèce d’habillement. Les larves y emploient des brins de gramen, de joncs, de roseaux; les feuilles des plantes aquatiques et des morceaux de racines de ces mêmes plantes, de petits morceaux de bois, les graines des plantes, les feuilles des arbres tombées dans l’eau et entre autres celles du sapin, dont elles s’accommodent à merveille, à cause de leur forme convenable; de petites pierres, le gravier et le sable, et enfin les coquilles de certains petits Limaçons aquatiques et de certaines petites Moules. Les animaux renfermés dans ces coquillages, attachées et collées aux fourreaux, sont souvent pleins de vie, comme M. de Reaumur l’a déjà remarqué. On trouve des fourreaux qui sont composés de tous ou de presque tous les matériaux que je viens de nommer; mais j’ai observé qu’il y a des espèces pârmi ces larves, qui se font des habits toujours à peu près d’une même forme, en y employant des matériaux d’une seule espèce, et en les arrangeant autour du tuyau de soye d’une manière ou d’autre, mais toujours sur le même modèle. C’est ainsi que quelques larves se font des fourreaux uniquement de grains de graviers, de sable ou de petites pierres; que d’autres n’y employent que des morceaux de gramen, qu’elles appliquent transversalement sur le fourreau, tandis que d’autres les arrangent selon la longueur du fourreau; que l’extérieur de quelques fourreaux parait roulé en spirale, parce que de petits morceaux de feuilles y sont arrangés de façon, qu’ils décrivent une ligne spirale tout autour du fourreau. Enfin, pour parler avec M. de Reaumur, il y a de certaines variétés dans les dehors des fourreaux, qui sont constantes et propres à des larves d’une certaine espèce. Mais il est encore vrai, que cette régularité est souvent gâtée par l’apposition de quelques pièces grotesques, d’un morceau de bois, d’une coquille etc. M. de Reaumur n’a pas manqué de faire observer l’utilité de ces pièces, qui semblent gâter la forme des fourreaux. Leur usage est de donner à la masse entière, c’est à dire à la larve avec son fourreau une pesanteur à peu près égale à celle de l’eau, afin que l’Insecte et son fourreau soient en équilibre avec l’eau, ce qui lui facilite les mouvemens qu’elle a à faire dans cet élément.
(p. 498- 500)

La larve qu’on a chassée de son fourreau, y rentre ensuite sans façon quand on le lui met à sa portée, et s’en accomode comme auparavant.
(p.501).
C’est dans ce tuyau que la larve était logée. Les grands morceaux de feuilles étaient appliqués sur le dessus et au dessous du fourreau; en dessus ils le couvraient entièrement, mais en dessous une portion du tuyau était à découvert, pour donner à la larve plus de facilité dans sa marche.
(p. 512-513).

La loupe me fit voir, que c’était des vers hexapodes ou des larves à six pattes, et peu de jours après j’eus une marque certaine de leur véritable genre. Il ya avait au fond de l’eau de la soucoupe un peu de limon mêlé de quelques mousses fort petites; les petites larves firent usage de ces matières, dont elles se construisent de petits fourreaux cylindriques, dans lesquels elles se tinrent cachées et qu’elles trainèrent sur le fond de la soucoupe en marchant.
( p. 535-536)

Je plaçai toutes les masses, que j’avais ramassées, dans un vase rempli d’eau. Au bout de quelques jours les petites larves commençaient à éclore; les masses de glaire, qui ne renfermaient auparavant que des oeufs, étaient alors remplies de larves vivantes. Ces larves restent un jour ou deux dans la glaire, mais ensuite elles s’en dégagent et en sortent pour aller se promener dans l’eau. Elles s’occupent alors dans le moment à chercher des matériaux propres pour la construction des logements ou des fourreaux dont elles ont besoin, et dès qu’elles en trouvent elles se mettent à l’ouvrage; j’ai vû que le même jour qu’elles avaient quitté la glaire, elles songèrent à s’habiller, elles n’aiment pas d’être à nuë, il leur faut des maisonnettes portatives ou des fourreaux dès leur naissance. J’avais eu soin de ne leur pas laisser manquer de matériaux propres à cet usage. Je pillai fort menu de vieux fourreaux de larves de Friganes, que j’avais gardés depuis un an et qui par conséquent étaient fort secs; je les mis dans l’eau auprès de mes petites larves. Je ne pouvais leur procurer de matières plus convenable, aussi en firent-elles usage dans l’instant. Elles se construisent chacune un petit fourreau cylindrique assez régulier et assez bien fait, autant que les parcelles des matériaux pouvaient le permettre.
( p. 537-538).