Habitacle

Christian DenisContribution à l’étude de la régulation des dimensions du fourreau par les larves éruciformes de trichoptères, Annales de la Société Entomologique de France, Paris, (N.S.), 4 (2), 1968, p. 291-298. 

Les larves de Trichoptères de type éruciforme vivent dans un fourreau dont elles agrandissent peu à peu la longueur et le diamètre, tandis qu’elles éliminent de temps en temps la région postérieure. A ce sujet, les travaux de Whiterhead (1951) et de Hanna (1959) tendent à montrer qu’il existe un parallélisme entre la croissance de l’animal et celle de son fourreau.

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denis-1968-2Le fourreau est généralement tronconique, son diamètre s’accroît progressivement d’arrière en avant. Sa paroi est constituée extérieurement par un assemblage d’éléments divers ; elle est doublée intérieurement par un tube de soie plus ou moins épais. Chez plusieurs espèces, l’orifice postérieur du fourreau est particulièrement obturé par un opercule soyeux percé d’un pertuis central.

Ayant suivi au laboratoire les larves de plusieurs espèces, j’ai constaté :

– d’une part que la croissance du fourreau se poursuivait sensiblement pendant toute la durée de chaque cycle d’intermue ;

– et d’autre part que l’animal éliminait de temps à autre, par une incision circulaire, la partie postérieure de son fourreau ; mais qu’en général il le faisait une seule fois entre deux mues successives.

Lorsque la larve vient de tronquer l’arrière de son fourreau, elle occupe en totalité la partie restante ; et il en est encore de même après les premières phases d’agrandissement du fourreau. Mais, par la suite, il semble que la région postérieure du fourreau devienne peu à peu trop étroite pour l’abdomen de l’animal qui augmente de taille, et ne soit plus occupée. Ceci m’a conduit à introduire la notion d’habitacle pour désigner la zone du fourreau effectivement occupée par la larve. La valeur de cette notion sera discutée plus loin.

Il est vraisemblable qu’il s’établit des rapports plus ou moins étroits (de nature tactile ou autre) entre le corps de la larve et la construction et que ce sont des variations de ces rapports, par suite de la croissance de l’animal, qui amènent ce dernier à modifier son fourreau. C’est du moins ce que j’ai essayé de vérifier.

Ne pouvant pas agir à volonté sur la larve, j’ai provoqué diverses modifications expérimentales du fourreau, dans le but de déterminer quelques-uns des facteurs qui déclenchent soit une réaction de construction, soit une réaction de destruction.

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Matériel

 

Les expériences ont été réalisées sur quatre espèces : deux Limnophilidae, Limnophilus centralis CURT. Et L. Lunatus Curt. Et deux Sericostomatidae, Sericostoma personatum SPENC. Et Notidobia ciliaris L. Les larves de L. lunatus ont tout d’abord un fourreau constitué d’éléments végétaux verts : fragments de feuilles ou de tiges, mais dès la fin de l’avant-dernier ou au cours du dernier stade de leur développement, elles construisent à l’aide de sable grossier. Les trois autres espèces ont un fourreau constitué d’un assemblage de grains de sable pendant toute la durée de leur vie larvaire et nymphale.

En raison de la taille des fourreaux, les expériences ont été réalisées sur des larves des deux derniers stades seulement.

Les animaux étaient maintenus en élevage dans des cristallisoirs dont l’eau était oxygénée par de petites pompes du type « Bel bul ». Ils avaient à leur disposition un lit de sable et les plantes dont ils se nourrissent habituellement.

EXPERIMENTATION

Chaque expérience a été effectuée sur un lot de vingt à trente individus appartenant aux quatre espèces nommées ci-dessus.

  1. Expériences préliminaires

Expérience n°1.- Elimination d’un anneau à la partie antérieure du fourreau. Des fourreaux ont été amputés d’un anneau pouvant atteindre le tiers de leur longueur.

Résultat : dans chaque cas, la larve répare la paroi externe puis le revêtement soyeux interne ; elle redonne sensiblement à son fourreau les dimensions qu’il avait initialement.

Lorsque la partie amputée est nettement supérieure au tiers de la longueur du fourreau, la larve abandonne sa construction.

Expérience n°2.- Introduction d’une larve dans un fourreau trop grand. Des larves ont été expulsés de leur fourreau et placées dans des fourreaux appartenant initialement à des individus du même stade qu’elles mais plus âgées, donc plus volumineuse (fig.1).

Résultat : l’animal élimine en général l’extrémité antérieure de ce nouveau fourreau en réalisant une incision annulaire à un niveau qui correspond sensiblement à la position de l’orifice antérieur de son propre fourreau. Toutefois quelques individus ont abandonné le fourreau trop grand.

Les expériences ci-dessus montrent globalement qu’une variation des dimensions du fourreau est perçue par l’animal. Mais dans les deux cas on agissait à la fois sur la longueur et globalement sur le diamètre, puisque le fourreau est tronconique. A l’aide d’autres expériences, j’ai donc essayé de modifier, indépendamment l’un de l’autre, la longueur et le diamètre du fourreau.

  1. Modification du diamètre du fourreau.
  2. A) Réduction du diamètre du fourreau.

Dans ces expériences, il convenait de diminuer faiblement le diamètre du fourreau afin que les animaux puissent toujours continuer à se mouvoir. Cela a été obtenu par des ligatures qui comprimaient légèrement telle ou telle partie du fourreau.

Expérience n°3.- Ligature de la région antérieure du fourreau.

Résultat : dans un premier temps, les larves éliminent toute la région antérieure du fourreau jusqu’à la zone ligaturée incluse. Dans un deuxième temps, elles réparent le fourreau et lui redonnent sensiblement les dimensions qu’il avait initialement, ce qui est normal car les conditions sont alors analogues à celles réalisées dans l’expérience n°1.

Ces deux réactions successives des larves sont obtenues tant que la ligature est située dans le tiers antérieur du fourreau.

Expérience n°4.- Ligature de la région moyenne ou de la région postérieure du fourreau.

Résultat : les larves réagissent d’emblée en construisant à l’avant de leur fourreau. Dans ces conditions, certaines larves ont allongé leur fourreau de moitié en trois ou quatre jours. La partie construite alors avait un diamètre uniforme et égal à celui qu’avait primitivement la région antérieure du fourreau.

Expérience n°4 bis.- J’ai ligaturé l’extrémité postérieure des fourreaux ayant subi une importante phase de croissance après la mue de leur occupant.

Résultat : les larves ne présente aucune réaction particulière.

  1. B) Accroissement du diamètre du fourreau.

Expérience n°5.- Accroissement du diamètre antérieur du fourreau. Pour cela, j’ai éliminé la région antérieure et l’ai remplacée par un anneau de fourreau de diamètre légèrement supérieur, que j’ai emboîté sur la partie restante (fig. 2).

Résultat : certaines larves présentent les deux réactions successives déjà observées dans l’expérience n°3 ; d’autres toutefois ne font que reconstituer le tube soyeux interne et elles lui redonnent le diamètre qu’il avait initialement. Ce tube est réédifié directement à la suite de l’étui soyeux du fourreau indépendant de l’anneau surajouté.

Expérience n° 5 bis. – A l’aide d’un double emboîtement (fig. 3). J’ai accru plus fortement le diamètre antérieur du fourreau.

Résultat : les larves reconstituent la paroi externe du fourreau puis la chape interne de soie telles qu’elles étaient sur la partie supprimée. Au préalable, quelques-uns détruisent plus ou moins l’anneau surajouté.

Expérience n°6.- Accroissement du diamètre de la région moyenne du fourreau. Un anneau a été éliminé dans la partie moyenne et les deux extrémités restantes ont été emboîtées dans un anneau de fourreau de plus grand diamètre (fig. 4).

Résultat : les larves reconstituent seulement le tube soyeux interne et tel qu’il était primitivement.

Expérience n°7.- Accroissement du diamètre de la région postérieure du fourreau. J’ai placé des larves à l’envers dans un fourreau dont la région postérieure (la plus étroite) avait un diamètre égal à celui de la région antérieure de leur propre fourreau.

Résultat : ces animaux n’ont présenté aucune réaction particulière.

Expérience n°7 bis. – Par la méthode des emboîtements, j’ai augmenté dans une large mesure le diamètre de la région postérieure du fourreau (fig. 5).

Résultat : si l’on opère que sur l’extrémité postérieure du fourreau, les larves ne réagissent pas, ou bien construisent un court anneau à la partie antérieure de leur fourreau. Par contre, si l’on opère sur une région de plus en plus longue, les animaux vont construire un anneau important à l’avant de leur fourreau. Mais on constate alors que la construction manque au début de régularité ; elle n’acquiert que peu à peu la totalité de ses caractères spécifiques.

3 Modifications de la longueur du fourreau.

  1. A) Diminution de la longueur du fourreau.

Expérience n°8. – Amputation de la région antérieure du fourreau. Pour que cette amputation n’ait pas, comme dans l’expérience n°1, de répercussion sur le diamètre, j’ai utilisé des fourreaux reconstruits qui sont cylindriques et ont un diamètre égal à celui de la région antérieure du fourreau normal.

Résultat : les larves construisent un anneau équivalent à celui qui a été enlevé.

Expérience n°9. – Amputation de la région postérieure du fourreau.

Résultat : les larves construisent, à l’avant de leur fourreau, un anneau de même longueur que la partie supprimée. Mais lorsque cette dernière est importante, la zone construite est plus ou moins irrégulière au début, et elle n’acquiert que peu à peu l’ensemble de ses caractères spécifiques.

Expérience n°9 bis .- J’ai éliminé l’extrémité postérieure de fourreaux ayant subi une certaine phase de croissance après la mue.

Résultat : les larves ne présente aucune réaction.

  1. B) Accroissement de la longueur du fourreau.

Expérience n°10.- Dans le but d’augmenter la longueur sans faire varier le diamètre, j’ai utilisé ici les larves avec leur fourreau à l’issue de l’expérience n°4, en retirant la ligature qui avait été mise en place.

Résultat : les larves effectuant un tête-à-queue dans leur fourreau et en éliminant l’extrémité postérieure. Elles donnent ainsi à leur construction une longueur correspondant sensiblement à celle de leur corps.

Discussion

Dans l’expérience n°1, la larve réagit en augmentant la longueur et le diamètre de son fourreau, comme elle le fait au cours de chaque cycle d’intermue. Ceci s’explique par le fait que l’amputation a modifié les rapports existant entre la larve et son fourreau dans le même sens qu’un accroissement de taille de l’animal.

Mais en outre, l’animal redonnant à sa construction les dimensions qu’elle avait avant l’amputation, cette expérience montre que la taille du fourreau est fonction de celle de son occupant. Et l’expérience n°2 en est une nouvelle preuve.

Le cas de cette dernière expérience se produit d’ailleurs parfois dans la nature, notamment chez Limnophilus lunatus. En effet, lorsque les larves de cette espèce construisent un fourreau végétal, elles découpent des éléments aux dimensions très variables. Ainsi on les voit parfois disposer sur le fourreau de grands éléments qui augmentent fortement et d’une manière soudaine la longueur de la construction. J’ai observé alors plusieurs de ces larves qui raccourcissent leur fourreau en détruisant son extrémité antérieure.

Les expériences n° 3 et n° 5 montrent que les larves réagissent toujours à une opération qui modifie dans un sens ou dans un autre le diamètre antérieur du fourreau. Et dans tous les cas, elles travaillent de façon à redonner à cette région du fourreau le diamètre qu’elle avait initialement.

Il est intéressant de noter ici que la confection de la chape interne de soie peut-être en partie dissociée de la construction de la paroi externe du fourreau et que l’adhérence de l’une à l’autre n’est pas obligatoire.

Le diamètre de la région antérieure du fourreau est donc déterminé » de façon précise par les dimensions du corps de la larve.

Par contre les expériences N°4 et n°7 montrent que les larves ne réagissent qu’à une réduction du diamètre de la région postérieure du fourreau. Autrement dit, seule la valeur minimum du diamètre postérieur est déterminée avec précision par les dimensions du corps de la larve. En fait on pouvait s’attendre à ce que l’animal tolère un certain accroissement de ce diamètre, puisqu’il ne présente aucune réaction particulière vis-à-vis d’un fourreau reconstruit. Or un tel fourreau n’est pas tronconique mais cylindrique et son diamètre est égal au diamètre antérieur du fourreau primitif.

Quand le diamètre de la région postérieure devient beaucoup trop grand (expérience n°7 bis), l’animal réagit, mais c’est vraisemblablement parce que l’anneau surajouté est hors de proportions avec la larve et n’a plus de valeur en tant que région appartenant au fourreau. En effet, l’animal se comporte ici comme dans le cas où l’on sectionne l’arrière de son fourreau (expériences n_ 9 et n° 9 bis).

Les expériences n° 8, n° 9 et n° 10 montrent que les larves réagissent aux variations de la longueur de leur fourreau, et de manière à lui redonner une longueur correspondant à celle de leur corps. Mais il est important de souligner que les larves peuvent réagir de différentes façons. Dans plusieurs cas, la régulation de la longueur résulte d’une modification de l’avant du fourreau : soit par une construction, quand on diminue la longueur seule (expériences n°8 et n°9) ou en même temps qu’elle le diamètre d’une manière globale (expérience n°1) ; soit par une destruction, lorsqu’on a augmenté la longueur et le diamètre antérieur du fourreau (expérience n°2). Par contre, dans le cas où le fourreau est seulement trop long (expérience n°10), la régulation de la longueur est obtenue par une élimination de la partie postérieure de la construction.
La longueur du fourreau est donc elle aussi fonction de celle de la larve. Mais elle ne l’est que dans une certaine mesure, puisque si l’ajustement est progressif à l’avant du fourreau, au cours de chaque intermue, cet ajustement n’est réalisé qu’une seule fois à l’arrière pendant la même période. Toutefois les expériences n° 4 bis et n°9 bis semblent ben confirmer qu’après une certaine phase d’accroissement du fourreau après la mue, son extrémité postérieure n’est plus occupée par la larve.

D’autres expériences m’en ont apporté de nouvelles preuves. Ainsi si l’on détruit l’opercule ou que l’on perce un trou dans la région postérieure du fourreau, la larve effectue une réparation uniquement lorsque l’expérience intervient peu de temps après l’élimination de l’extrémité postérieure. Si l’expérience est réalisée sur un fourreau qui a subi une certaine phase de croissance, l’animal ne réagit plus.

L’ensemble des expériences tend donc à montrer que la régulation des dimensions de la construction ne s’exerce pas sur la totalité du fourreau mais seulement sur une portion, celle qui est effectivement habitée par la larve, ce qui justifie la notion d’habitacle proposé au début de cet exposé. L’habitacle est la zone du fourreau dont la longueur correspond à celle de la larve et donc le diamètre des différentes régions est ajusté sur celui des différentes parties du corps de l’animal.

On peut se demander maintenant pourquoi les larves éliminent de temps à autre la partie postérieure de leur fourreau. Est-ce l’augmentation de volume ou de poids de la partie inoccupée à l’arrière qui déclenche le comportement de l’animal ? Il est possible en effet d’amener une larve à couper son fourreau en plaçant à l’arrière une surcharge ou simplement en immobilisant l’arrière du fourreau. Mais il s’agit ici de situations extrêmes qui n’interviennent pas dans la nature. Or j’ai observé par contre des larves qui avaient interrompu définitivement et sans cause visible leur travail. Ces animaux ont alors conservé sans trouble apparent la totalité de leur fourreau, ce qui ne les a pas empêchés de finir normalement leur cycle d’intermue.

Le résultat de l’expérience n°10 me fait penser plutôt que l’animal sectionne la partie postérieure de son fourreau parce que son habitacle devient trop long.

En conséquence, au cours de chaque cycle d’intermue, il y aurait tout d’abord une longue période pendant laquelle l’allongement du corps de la larve serait toujours légèrement en avance sur celui de l’habitacle. Puis inversement, à un moment donné, l’allongement de l’habitacle prendrait à son tour une légère avance sur celui du corps de la larve. Je ne connais pas encore les causes profondes de ces phénomènes, mais j’ai constaté maintes fois que l’élimination de la partie postérieure du fourreau intervenait à un moment assez précis du cycle d’intermue, caractérisé par l’apparition sous le tégument de l’animal du tégument du futur stade larvaire.

 

Conclusions

Les expériences réalisées montrent que :

1° Il existe certaines relations entre les dimensions du fourreau et celles du corps de la larve. Toutefois l’ajustement étroit est réalisé non pas sur l’ensemble de la construction mais seulement sur l’habitacle, c’est-à-dire la zone réellement occupée par l’animal. Seuls le diamètre de la région antérieure, la valeur minimum du diamètre de la région postérieure et la longueur de l’habitacle sont étroitement liès aux dimensions du corps de l’animal.

2° Au cours du développement larvaire, les phases d’accroissement du fourreau sont déclenchées essentiellement par une certaine compression de l’abdomen due à l’augmentation de taille de l’animal.

3° L’élimination périodique de l’extrémité postérieure du fourreau n’est pas la conséquence directe de son accroissement mais serait due au fait que l’allongement de l’habitacle prendrait à un moment donné de chaque intermue, une certaine avance sur celui du corps de la larve.

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