Il faudrait ne jamais s’être penché sur un ruisseau

Eugène Muller, « Les Phryganes », La mosaïque, revue pittoresque illustrée de tous les temps et de tous les pays, Paris, 1876, p. 94-95.

Il faudrait ne jamais s’être penché sur un ruisseau pour n’avoir pas remarqué ces curieux animaux auxquels les naturalistes donnent le nom technique de phryganes, et que les pêcheurs à la ligne, qui s’en servent pour amorcer leurs hameçons, connaissent sous les noms vulgaires de charrées, casets, teignes d’eau, vers à fourreau…/… C’est à l’état de larves ou de chenilles aquatiques que les phryganes offrent à l’observateur les mœurs les plus curieuses.

Les mères ayant pondu leurs œufs en les laissant tomber dans l’eau, ceux-ci, qui sont enduits d’une sorte de glu, s’attachent aux pierres, aux plantes, et au bout de quelques jours, donnent naissance à des chenilles nues et molles qui ne tarderaient pas à devenir la proie des poissons ou même de certains autres insectes carnassiers , si l’instinct ne les instruisait dans l’art de se procurer une sorte de cuirasse ou plutôt de demeure protectrice.

Le premier soin de ces larves consiste donc à s’entourer d’un tube ou fourreau dont les matériaux et la forme différent selon l’espèce qui l’a construit et aussi selon le plus ou moins de rapidité, de limpidité des eaux dans lesquelles elle est appelée à vivre.

« Ces fourreaux, dit Duméril, sont en général un peu coniques ou mous à ‘intérieur. Ils ne sont ouverts que par le bout qui livre passage à la tête et aux pattes. Les uns sont couverts en dehors de toutes sortes de substances un peu lourdes : graines, pierres, fragments de coquilles, brins de végétaux que l’insecte agglutine ou fixe avec des fils de soie en dehors de son étui ».

Souvent, et ceci est une observation de Réaumur, on rencontre de ces fourreaux qui sont entièrement recouverts de petits mollusques fluviatiles, et dans chacune de ces coquilles l’animal est vivant. Ces coquilles sont si bien attachées au fourreau, qu’il n’est pas possible au véritable propriétaire de se séparer de la surface à laquelle il adhère. «  Ces habits, dit le grand naturaliste, sont fort jolis, mais ils sont des plus singuliers. Un sauvage qui au lieu d’être habillé de fourrures, le serait de rats musqués, de taupes ou autres animaux vivants, aurait un vêtement bien extraordinaire : tel est en quelque sorte, cependant, celui des larves phryganes ».

Certaines de ces larves qui hantent les eaux tranquilles tissent ou assemblent pour en former leur fourreau des brins d’herbes et de feuilles allongées. Ces étuis ont parfaitement alors, par leur hérissement extérieur, l’aspect d’un petit fagot de broussailles et c’est même à cause de cette circonstance que, pour désigner ces insectes, un ancien naturaliste a emprunté au grec le terme de phrygane, fait de phryganion, qui signifie littéralement bourrée, brassée de menu bois.

D’autres découpent en lanière des feuilles de plantes submergées qu’elles roulent en spirale et dont elles s’enveloppent de façon à être complétement confondue avec les végétaux.