Felix-Edouard Guerin, Dictionnaire Pittoresque d’Histoire Naturelle et des Phénomènes de la Nature, tome 7, Paris, Au Bureau de Souscription, 1838, p. 432-433.
Le point le plus intéressant de l’histoire de ces larves est ce qui tient aux étuis ; ils varient beaucoup de forme, et leurs principales variations sont dues aux matières étrangères qui les recouvrent ; matières dans le choix desquelles entrent pour peu de chose l’élégance et la grâce. Il est à remarquer, à cet égard, que les espèces qui se servent de pierres et de sable pour les construire ont, à cause de l’uniformité de ses matériaux, des étuis d’une forme plus régulière et plus constante que celles qui emploient des matières végétales ; en effet, ce sont ou des brins d’herbes, ou des petits morceaux de bois, ou des feuilles, en général tout morceau de plante qui se trouve dans l’eau par un accident quelconque. Il y a des espèces qui se servent volontiers de coquilles, dans lesquelles il arrive souvent que le mollusque n’est pas mort, et continue de vivre dans cette nouvelle position. Ce qu’il y a de commun à tous les étuis, c’est qu’ils sont formés d’un tissu fin et assez fort, produit par une soie que l’animal fait sortir de sa filière et qui se durcit promptement en acquérant une telle solidité, qu’on a souvent de peine à la rompre. Cet étui est toujours très régulier et cylindrique, ordinairement plus large en avant qu’en arrière, quelquefois cependant égal aux deux bouts, souvent un peu arqué. L’étui soyeux ne se forme pas isolément et indépendamment des matières qui le recouvrent ; mais il résulte de ce que chaque corps, qui vient s’ajouter à ceux qui sont déjà placés leur est joint par des fils attachés en dedans. La larve a soin que, quelque irrégulier que soit l’extérieur, l’intérieur en soit toujours parfaitement lisse. Pour bien voir la fabrication de ces « étuis, il ne suffit pas d’examiner des larves en liberté et vivant dans les ruisseaux, il faut encore en élever et les faire travailler sous ses yeux ; mais pour conserver long-temps les larves de Phryganes en captivité, il faut beaucoup de précautions ; certaines espèces vivent facilement, mais il en est d’autres qu’on ne peut élever qu’à force de soin. On doit éviter d’en mettre en trop grand nombre dans le même vase, qu’on aura toujours soin de laisser ouvert et à l’abri de la grande chaleur ; il faut surtout que l’eau reste limpide, et pour cela on doit la renouveler souvent ; car, s’il vient à périr une seule larve, il arrive souvent qu’elle corrompt l’eau et fait périr toutes les autres. Le moment où les larves meurent le plus facilement et où il faut redoubler de soins, c’st quand elles passent à l’état de nymphe. Pour faire sortir une larve de son étui il faut employer certaines précautions ; car, si on la tirait par la tête, elle se cramponnerait si fortement avec ses crochets abdominaux, qu’on ne pourrait pas la retirer entière, et si on fend l’étui longitudinalement, on peut facilement la blesser. Le meilleur moyen est de pousser par derrière avec une pointe émoussée ou une tête d’épingle ; elle avance ainsi peu à peu et finit par sortir, la pression sur le dernier anneau l’empêche de se servir de ses crochets. Si l’on met une larve ainsi sortie à côté de son étui, elle tachera d’y rentrer, ce qu’elle fera le plus souvent par l’extrémité antérieure, en sorte qu’au premier moment elle sera en sens inverse de son ancienne position. Si l’étui est exactement cylindrique, ce qui est rare, elle restera dans cette position ; mais pour peu qu’il soit conique, elle cherchera à se retourner. Il y a des espèces dont l’étui est large ou susceptible d’un peu de dilatation ; alors la larve réussira et se retrouvera dans la bonne position ; ainsi les étuis irréguliers composés de végétaux permettent en général à l’animal de se retourner ; mais si l’étui est de pierres et du diamètre de la larve, comme cela arrive souvent , elle est obligée de rester dans cette position ; dans ce cas elle coupe circulairement le petit bout, le reconstruit du même diamètre que celui de l’autre extrémité, et rend ainsi son étui cylindrique. La larve ne rentre presque jamais immédiatement dans son étui ; elle tourne autour et l’examine avec soin avant que de s’y mette ; elle reprend à peu près aussi volontiers un autre étui de la même espèce que le sien propre ; mais pour peu que le nouveau soit d’une autre forme ou d’une autre grosseur que le sien, elle préfère le reconstruire. Il y a des espèces dans lesquelles l’étui est si large que le Phrygane s’y retourne fréquemment et qu’elle n’a pas pour ainsi dire de préférence pour un côté plutôt que pour l’autre. Si après avoir sorti une larve de son étui, on la met dans un vase avec des matériaux, on la verra s’en fabriquer un autre. Cette fabrication fort intéressante mérite que nous nous y arrêtions quelques momens.
La larve ainsi nue se promène dans tout le vase pour reconnaître le terrain et choisir un endroit propre à confectionner cet étui. Les larves qui travaillent le plus volontiers sont celles qui se font des étuis de pierres, parce que ce sont elles à qui l’on peut le plus facilement fournir les matériaux qui leur conviennent ; la larve choisit deux ou trois pierres assez grandes et plates et en fait une voûte mince, soutenues par des fils de soie, au dessous de laquelle elle se loge. Ce premier point accompli, on la voit successivement prendre une pierre avec les pattes et la présenter comme un maçon le ferait, cherchant à ce qu’elle rencontre exactement dans les intervalles et à ce que la surface soit lisse à l’intérieur ; quand elle est contente de sa position, elle l’attache par des fils de soie aux pierres voisines ; ces fils se collent aux pierres, et continus de l’une à l’autre, ils les retiennent ensemble ; elle fait la même chose pour chaque pierre, en se tenant toujours en dedans de son ouvrage et se tournant successivement, de manière à avoir entre les pattes la pierre qu’elle pose ; elle reste dans cette position environ cinq ou six heures à faire un étui, en sortant le moins possible et se contentant de s’étendre un peu en avant pour saisir les pierres qui lui conviennent. Si la larve se sert d’autres matériaux, la fabrication de l’étui est la même, mais en général moins longue, attendu leur plus grande surface. On remarquera presque toujours que la larve commence par la partie postérieure, et qu’ensuite elle avance peu à peu. Il arrive quelquefois qu’elle fait d’abord son étui trop long, surtout s’il est herbacé ; alors se sentant gênée, elle en coupe une partie. Pendant toute sa vie la larve est obligée de réparer son étui