Franck Herbrecht, Olivier Durand, Floriane Karas et Jean-Paul Quinette, Invertébrés et milieux remarquables des Pays de la Loire, promenade naturaliste, Gretia/Naturalia, Turriers, 2015.
De surprenants artisans…qui se révèlent artistes !
Sans doute avez-vous déjà observé, flottant à la surface d’une mare, des sortes de morceaux de bois bizarroïdes. Ce qui nous interloque au premier abord, c’est la disposition des fibres, pas du tout dans le sens de la longueur de la brindille, mais dans tous les sens, donnant à l’ensemble un aspect de cylindre hirsute. Vous en recueillez un dans la main et là, surprise, la chose est creuse, et même intérieurement parfaitement circulaire. Intrigué, vous ouvrez l’œil et quelques instants après, vous arrivez à en détecter d’autres, mais cette fois dans l’herbier ou en bordure, sur la litière du fond et, de plus, qui bougent ! Eh bien, vous avez d’abord trouvé un fourreau vide, puis des fourreaux mobiles parce qu’ils sont habités par leurs constructeurs, les larves de trichoptères. Le fourreau vide appartenait donc à une larve qui a terminé sa croissance. Maintenant que vous connaissez leur habitude de bâtisseurs, ou plutôt celle de leurs larves, vous ne vous étonnerez pas si on a pu leur attribuer une kyrielle de noms vernaculaires imagés : « porte-bois », « traîne-bûches »,»portefaix », « casés », ou d’usage plus courant, « phryganes », mot d’origine grecque qui signifie « petit fagot de branches sèches » !
L’adulte ressemble assez à un papillon de nuit. On pense effectivement que les trichoptères sont évolutivement proches des lépidoptères et ils partagent d’ailleurs avec les papillons nocturnes une grande attractivité à la lumière. Leurs larves s’apparentent pour bon nombre à des sortes de chenilles, se déplaçant tout en étant protégées par leur fourreau. Cependant, il existe aussi des espèces qui restent logées dans des fourreaux fixés à des pierres et même des espèces à larves libres, démunies de fourreau. Mais il s’agit là de formes fréquentant les rivières. A l’exception d’une seule espèce plutôt sylvicole et qui peut être trouvée dans la région, les larves sont toutes aquatiques, ce qui explique qu’elles arborent des branchies abdominales. Pour la construction de leur refuge, les larves s’entourent d’une soie fortement adhésive et y agglomèrent ensuite des matériaux. De sérieux travaux de recherches sont d’ailleurs menés sur le sujet. Pensez ! Une colle qui prend sous l’eau !
En eaux mortes ou calmes, les fourreaux sont surtout faits de débris végétaux : fragments de feuilles, brindilles… et les espèces concernées sont surtout phytophages ou détritiphages. En rivière, d’autres espèces, pour la plupart carnivores, utilisent des matériaux d’origine minérale : grains de sable, petits cailloux… certaines poussent même le luxe à préférer les petites coquilles de gastéropodes à toute autre chose. Même s’il y a une orientation certaine des différentes espèces vers un type particulier de matériaux et une disposition caractéristique des pièces, ce qui permet souvent de mettre un nom sur l’artiste, les larves doivent composer avec ce qu’elles trouvent dans leur milieu. A défaut de grives..
Cette faculté de bâtir a même inspiré un artiste français Hubert Duprat. Il a mis à disposition des larves de nombreux petits matériaux colorés (paillettes d’or, cristaux, billes de couleur , perles, etc.). Celles-ci ont donc fabriqué d’improbables fourreaux, sorte de bijoux aussi déconcertants que fascinants. Reconnaissons que la démarche artistique est vraiment intéressante et donne à réfléchir : qui est l’artiste dans ce cas ? L’art relève-t-il du produit final ou de la démarche de production ?