Albert Larbaletrier, Journal d’agriculture pratique, tome II, Librairie de la Maison Rustique, 1885, p. 379.
Les Phryganes
C’est surtout parmi les êtres minuscules que le pisciculteur rencontre ses plus terribles ennemis, il sont d’ailleurs et, la plupart du temps, d’aspect si débonnaire qu’on ne songe pas à les accuser. Ce n’est que par des observations minutieuses et souvent répétées qu’on parvient à les surprendre dans leur œuvre de destruction. La plupart de nos lecteurs connaissent certainement ces petits insectes vulgairement appelés mouches papilionacées, si abondants dans les endroits marécageux, au bord des eaux, et qui, par les belles soirées d’été, voltigent et tourbillonnent près des rives ; insectes nocturnes que la moindre lumière attire par centaines. A première vue ces mouches ressemblent à de petites pyrales, de là le nom qui leur a été donné, mais en les examinant de près, on voit appartiennent plutôt à l’ordre des névroptères. Ces phryganes, car c’est là leur véritable nom, sont effectivement rangées dans ce groupe, quoique, par leurs caractères, elles forment pour ainsi dire le passage entre les névroptères et les lépidoptères ; mais peu importe.
Continuant notre examen nous voyons que ces petits êtres ont le corps étroit et velu, la tête petite, les yeux saillants, les pattes grêles et allongées. A la moindre crainte, ils écartent vivement leurs antennes qui sont très mobiles. Les mandibules et les mâchoires sont rudimentaires et tout à fait impropres à la mastication, particularité étrange au premier abord, mais qui se rencontre souvent dans le monde des insectes ; elle s’explique par ce fait que ces animaux vivent très peu de temps à l’état d’insectes parfaits.
La femelle dépose ses œufs et meurt peu de temps après. Ces œufs sont enfermés dans une masse spongieuse qui au contact de l’eau se fixe ; gonfle et forme une sorte de gelée. Il en sort des larves qui méritent de fixer tout particulièrement notre attention. En effet, celles-ci sont très carnassières et essentiellement aquatiques ; Réaumur les appelait teignes aquatiques ; elles ont de un à deux centimètres de longueur suivant les espèces, leur tête est écailleuse, et les trois premiers anneaux du corps sont coriaces, les autres au contraire sont excessivement mous ; sur les parties latérales des anneaux sont les sacs respiratoires. La couleur de ces larves est d’un blanc grisâtre ; on remarque six petites pattes près de la tête. La bouche est munie de deux mandibules tranchantes avec lesquelles l’animal coupe très facilement les végétaux aquatiques.
Mais ce qu’il y a surtout d’intéressant chez ces larves, c’est la singulière habitude qu’elles ont de s’entourer de matières diverses formant ainsi des sortes d’étuis ou fourreaux protecteurs dans lesquels elles s’enfoncent et se fixent à l’aide de deux crochets écailleux qu’elles portent à la partie postérieure de leur corps.
La manière dont ces fourreaux sont construits et la nature des matériaux qui les forment varient avec les espèces. Les unes, comme la Phryganea fusca emploient du gravier très fin ; les autres telles que la Phryganea flavicornis y ajoutent de long fétus de paille ; d’autres enfin se servent de brins de plantes aquatiques, la Phryganea rhombica par exemple ; ces brins de bois et d’herbes donnent aux fourreaux l’apparence d’un petit fagot de là le nom de portefaix qu’on donne quelquefois aux phryganes.
Les larves trainent ces tubes à leur suite et n’en sortent que la tête. Souvent, un grand nombre de ces demeures flottantes sont réunies entre elles et forment de véritables petits radeaux. Réaumur a constaté qu’en retirant brusquement une larve de son tube, si on vient à la placer près de celui-ci, elle s’y précipite aussitôt, la tête la première. Cet empressement s’explique lorsqu’on songe à la mollesse des téguments de l’animal qui cherche dans son fourreau un abri protecteur. Lorsque la larve va se transformer en nymphe elle ferme l’entrée de sa demeure avec la matière soyeuse déjà mentionnée. Ainsi enfermée, elle se métamorphose. La nymphe n’est guère intéressante au point de vue spécial qui nous occupe, revenons donc aux larves. Tous les poissons en sont très friands, aussi les pêcheurs considèrent-ils le portefaix ou caset comme un des meilleurs appâts ; pour les mettre à l’hameçon on le fait sortir en le poussant par derrière avec une tête d’épingle car en le tirant par la tête l’animal se cramponnant avec force on risquerait fort de l’arracher par morceaux.