Admiration

Walter LinsenmaierInsectes du Monde, traduit de l’anglais par une équipe d’entomologistes du Muséum d’Histoire Naturelle, Paris, Stock, 1973, p. 346-347.

Ce sont les larves des Phryganes (ordre des Trichoptères) dont les talents d’architectes forcent notre admiration. Comme les Bernard-l’Hermite, ses larves blanchâtres doivent cacher leur corps mous à l’intérieur d’une maison. Ils la construisent en tissant un tube ouvert aux deux extrémités, avec un fil de soie qui s’échappe de l’ouverture buccale et est travaillé par les pattes antérieures, adaptées à cette fonction. La plupart des espèces dissimulent l’extérieur de ces fourreaux, dans lesquels elles s’ancrent par deux crochets postérieurs, avec toutes sortes de matériaux qu’elles trouvent dans l’eau. Elles utilisent ainsi des minéraux tels que des grains de sable ou des graviers, n’importe quel organe végétal, des morceaux de bois  ou des matières animales telles que des coquilles d’Escargot ou de petits bivalves. Ces objets sont fixés sur le tube par de la soie adhésive, dans le sens de la longueur ou de la largeur, ou bien en spirale.

Les fourreaux eux-mêmes sont cylindriques aplatis, quadrangulaires ou de section triangulaire. Ils peuvent être évasés en cône de l’arrière à l’avant, en corrélation avec la croissance de la larve, qui poursuit sa construction à l’extrémité antérieure et exige une demeure plus spacieuse au fur et à mesure qu’elle grossit. Ou bien ils peuvent être de forme régulièrement cylindrique lorsque la partie postérieure de la demeure s’use continuellement ou que la larve l’enlève elle-même. Qui plus est, le fourreau peut être rectiligne, courbe, ou enroulé comme une coquille d’escargot ; il se rétrécit en arrière en une ou plusieurs ouvertures destinées à la circulation de l’eau

La plupart du temps, on peut reconnaître chaque espèce au style de la construction et au matériau utilisé. Ceci donne pourtant bien souvent du mal, même au chercheur expérimenté, car beaucoup d’espèces utilisent indifféremment des matériaux variés, ou changent le style de la construction en fonction de l’environnement, et les deux phénomènes peuvent se produire simultanément.

L’avantage principal de ces demeures réside dans leur adaptation à l’environnement et au mode de vie. Parmi la pléthore d’innombrables variations, nous ne signalerons que quelques exemples, et nous étudierons d’abord ceux des eaux calmes ou stagnantes.

Le magnifique fourreau en cylindre régulier d’une espèce appartenant à la famille des Phryganeidae est formé d’un ruban entortillé en spirale, formé de tiges de plantes de même longueur, que la larve découpe de ses pièces buccales et qu’elle mesure semble-t-il, contre la partie antérieure de son corps. Cette forme de fourreau allie la légèreté et la capacité de se glisser sans encombre à travers les passages étroits et le fouillis des plantes. Elle donne ainsi la mobilité indispensable à cette larve qui est prédatrice d’autres animaux aquatiques.

L’espèce européenne Crunoecia irrorata vit aussi dans une construction particulièrement régulière. Après que la larve se soit contentée pendant plus de la moitié de sa vie d’un simple fourreau de sable, elle s’en construit un bâti de nombreux petits fragments de plantes, placés en travers et disposés en quatre rangées qui se croisent à angle droit. Chacun des morceaux de végétal est découpé en rond par les mâchoires, du côté interne, de sorte que l’intérieur du fourreau forme un tube lisse. Les structures formées de coquilles de Gastéropodes sont également très curieuse, surtout lorsque ces coquilles de plus en plus grandes sont utilisées vers l’extrémité antérieure, en relation avec la taille et la force croissante de la larve de la Phrygane.

Certaines espèces phtytophages passent le début de leur vie sur le fond, puis montent au cours de l’année en même temps que la végétation croît, pour finir par vivre un certain temps à la surface. Ces larves découpent alors de grands morceaux de feuilles vertes et les fixent en croix sur les faces inférieures et supérieures de leur demeure, ce qui lui donne une forme aplatie et la soutient grâce à l’air contenu dans les feuilles. Au fur et à mesure que celles-ci se fanent, elles sont remplacées par des nouvelles. A l’automne, les larves redescendent  au fond et leurs fourreaux prennent un aspect tout différent, car ils sont alors formés de petits fragments de végétaux morts attachés dans le sens de la longueur../..

Pour faire leur fourreau, quelques espèces se contentent de se couper une longueur de roseau et de le tapisser de soie. Une espèce américaine se débrouille de cette façon en creusant un tunnel, qu’elle tapisse de soie, dans une brindille ou un petit bout de bois. Visitons maintenant les eaux turbulentes : ruisseaux et rivières rapides, ou rives des grands lacs, martelés par les vagues que soulève le vent. Ici les animaux ne doivent pas se laisser emporter, et se servent souvent du courant pour obtenir leur nourriture. Ils doivent non seulement orienter leur corps à contre-courant, mais aussi se déplacer le moins possible, et les voies et les moyens de leur lutte pour la vie sont fascinants.

Beaucoup d’espèces construisent des fourreaux aplatis qui offrent moins de surface à l’attaque de l’eau et sont particulièrement bien adaptés à s’incorporer au substrat ; souvent, leurs bords sont prolongés en feuilles, faites de sable ou de gravillons attachés par de la soie ou une substance adhésive, qui les entourent et sont appliquées contre le fond. Quelques espèces construisent les ouvertures destinées à la circulation de l’eau, indispensable à la respiration, en forme de deux ou trois grandes cheminées de pierres pyramidales. D’autres larves alourdissent leur habitation de pierre avec des morceaux plus grands, souvent une grande pierre plate de chaque côté, qu’il semble presque impossible à une si petite créature de fixer aussi solidement.

On trouve dans les fourreaux d’autres espèces des balanciers servant de freins, sous forme de longs morceaux de bois ou de tiges ; souvent, la construction tout entière est entremêlée de bâtons grossiers, entrecroisés et dépassant dans toutes les directions. Les maisons de construction cylindrique ou lisses sont recourbées en cornes et par conséquent moins facilement roulées par le courant : d’autres sont amarrées par un fort câble tressé de fils de soie.