Station biologique des Eyzies

P. Maillet & N. Carasso, « Reconstruction du fourreau larvaire chez un Trichoptère Leptoceridae Triaenodes conspersa RAMB. », Annales des Sciences Naturelles, vol. 14, n°11, 1952, p. 473-490.

I Introduction

La reconstruction du fourreau chez les larves de Trichoptères a été l’objet de nombreux travaux. Nous citerons ceux qui touchent de plus près le sujet étudié par nous.

Uhlmann E. (1924, 1931, 1932) a étudié la reconstruction chez certaines espèces de Leptocerida, Molannidae, Hydroptilidae, etc. Il distingue trois sortes de manifestations de l’instinct de reconstruction et leur donne les noms suivants : « préconstruction » aboutissant à la construction d’un étui irrégulier, «  construction » donnant un fourreau cohérent mais encore irrégulier, «  construction ordonnée » aboutissant à une structure typique. Il accorde une large place à des considérations générales sur l’instinct de reconstruction dont les manifestations varieraient selon l’âge de la larve : les larves les plus jeunes seraient « pluripotentes » et deviendraient graduellement «  unipotentes ».

Gorter F.-J. (1932) consacre un long article à la reconstruction du fourreau chez de nombreuses espèces de Trichoptères appartenant aux principales familles de cet Ordre. Son étude concernant Triaenodes conspersa ne porte que sur une seule larve. Triaenodes bicolor est étudié avec un peu plus de détails. Gorter décrit succinctement l’édification d’un fourreau provisoire, puis d’un fourreau définitif, avec passage progressif de l’un à l’autre.

Moretti G.-P. (1933) a observé le comportement de reconstruction des larves de Limnophilus rhombicus, Sericostoma personatum, à fourreaux arénacés, et de Glyphotaelius pellicidus, à fourreau végétal, extraits de leurs fourreaux :

1°Placées dans des conditions normales ;

2° En leur fournissant des matériaux de couleur, poids, forme et dimensions différents. Parmi ses conclusions ,nous retiendrons les suivantes : avec des matériaux semblables à ceux utilisés dans la nature, la reconstruction s’opère assez rapidement ; lorsque les matériaux sont très différents de ceux utilisés normalement, le fourreau est reconstruit de façon à rester le plus possible semblable au fourreau naturel, ceci jusqu’au moment où l’hétérogénéité des matériaux rend toute ressemblance, même lointaine, impossible, et où la larve est incapable de reconstruire.

Les possibilités d’adaptation varient suivant les espèces et, au sein d’une même espèce, suivant les individus.

Pour Moretti, les larves appartenant à des espèces moins évoluées (Limnophilus rhombicus par exemple) peuvent s’accommoder d’un fourreau très différent du fourreau normal et sont « pluripotentes »dans le sens d’Uhlmann, alors que les larves d’espèces plus évoluées (Sericostoma personatum et Glyphotaelius pellucidus), hautement spécialisées ont une plasticité moindre et sont « unipotentes ». Chez ces mêmes espèces , il peut y avoir une « pluripotence » relative lorsque les larves sont très jeunes, qui tend vers l’ » unipotence » à mesure qu’elles vieillissent.

Fankhauser G. et Reik L. E. (1935) ont étudié la reconstruction du fourreau chez Neuronia postica WALK. ( Phryganeidae). Considérant le problème du choix des matériaux en rapport avec l’abondance relative et la taille de ceux-ci, ils constatent également qu’il y a indifférence dans le choix au début de la reconstruction, tandis qu’à la fin de celle-ci il y a un préférendum net pour certains matériaux. Par ailleurs, ces auteurs ont sectionné certaines des pattes pro- et mésothoraciques des larves extraites de leurs fourreaux. Ils observent alors un réajustement dans la coordination des mouvements, ce qui prouverait une grande plasticité de comportement.

Copeland M. et Crowell S. (1937) ont étudié la reconstruction chez les Limnophilidae et chez Molanna sp. Ils en décrivent succinctement les étapes. Par ailleurs, ils ont fait quelques expériences en offrant aux larves des matériaux inhabituels.

Nielsen A. (1948) consacre un long mémoire à l’étude des Hydroptilidae. Ses conclusions concernant la phyllogène de ce groupe ont pour base des considérations anatomiques nombreuses. La forme des fourreaux et leur mode de construction sont caractéristiques de certaines espèces au sein du groupe et en rapport avec l’évolution de celui-ci.

Staropolska S. et Dembowski J. (1950) ont expérimenté sur Molanna angustata (Molannidae). Entre autres points, ils ont considéré la question du choix des matériaux lors de la reconstruction. Ils arrivent à la conclusion suivante : le choix est une caractéristique individuelle. La notion d’espèce fait place, en ce qui concerne certains aspects du comportement à la notion d’individu. D’autres expériences faites en endommageant le fourreau normal les amènent à des conclusions analogues.

Dudziak J. (1950) expérimente sur Phryganea obsoleta. Des expériences faites en plaçant la larve extraite de son fourreau au voisinage de fourreaux vides appartenant à la même espèce ou à des espèces différentes, ou en offrant à la larve des matériaux divers, l’amènent aux conclusions suivantes : il y a préférence pour certains matériaux, mais néanmoins très grande plasticité de l’instinct de reconstruction.

 

II Etude de la reconstruction du fourreau par la larve de Triaenodes conspersa RAMB.

Notre étude a pour objet la reconstruction du fourreau chez des larves de Triaenodes conspersa Ramb. Trichoptère de la famille des Leptoceridae. Les larves étudiées par nous ont été récoltés sur les berges de l’étang du Bouch, situé à 15 km de la Station Biologique des Eyzies, non loin des bords de la Dordogne, d’août à octobre 1952 ; ses caractéristiques sont les suivantes : il est alimenté par une source ; ses eaux sont calmes, presque entièrement recouvertes par une végétation abondante de Nymphaea, Ceratophyllum, Riccia, Lemna major, Conferves, etc. Insolation faible (étang entouré d’arbres). L’espèce n’avait pas été signalée dans la région jusqu’à ce jour.

A- Description du fourreau normal.

Les fourreaux des larves étudiées ont une longueur variant entre 1,5 et 5 millimètres (fig.1,1). Leur forme est en tronc de cône, dont la section de plus petit diamètre correspond à l’extrémité caudale de la larve. La structure est du type spiral, le fourreau étant constitué de fragments végétaux le plus souvent en bâtonnets, assemblés dans le sens de leur plus grande longueur suivant une inclinaison donnée par rapport à l’axe du fourreau, et légèrement décalés les uns par rapport aux autres dans le sens de la hauteur, de manière à former une spirale. Le fourreau se termine dans sa partie postérieure par une section dont le plan est perpendiculaire à l’axe principal. Il n’en est pas de même de la section antérieure, dont le contour est formé par le bord supérieur du dernier tour de spire et par le bord latéral du dernier fragment végétal posé. L’angle formé par la rencontre des deux bords a une ouverture qui varie suivant l’inclinaison des fragments par rapport à l’axe du fourreau. Dans quelques rares cas, nous avons constaté la présence de matériaux disposés transversalement sur le dernier tour de spire. Le fourreau se termine alors antérieurement par une section plane.

Les matériaux utilisés sont toujours d’origine végétale. Ce sont pour la plupart des racines mortes de Lemna ou des tiges vertes ou mortes de Conferve, et parfois des fragments de Riccia, de Ceratophyllum ou de petites graines en décomposition.

Le nombre de tours de spire du fourreau est assez constant : quatre tours à quatre tours et demi, quelle que soit la longueur du fourreau et, par conséquent, l’âge de la larve. Rousseau (1921) signale cependant que le fourreau se la larve adulte peut atteindre 28 millimètres de long et comprendre jusqu’à 14 tours de spire. Nous n’avons jamais observé un tel fait chez nos larves dont la taille variait pourtant du simple au triple environ (1,5 à 5 millimètres). Par ailleurs, les quelques fourreaux vides, rencontrés dans l’étang à la fin du mois d’août (fourreaux de nymphose) avaient également quatre tours de spire ou quatre tours et demi. Leur longueur ne dépassait pas 15 millimètres.

La longueur des fragments dont la juxtaposition constitue la spirale varie peu pour un même tour de spire mais augmente progressivement d’un tour de spire à l’autre dans le sens postéro-antérieur.

Le sens de la spire est le plus souvent sénestre (60% des cas observés). Rarement ((10% des cas) on rencontre les deux types d’enroulement dans un même fourreau.

B- Expérience portant sur la reconstruction du fourreau.

Nous avons choisi pour objet de cette étude la larve de Triaenodes conspersa Ramb., parce que son fourreau présente une structure typique remarquablement constante.

Nous avons d’abord étudié le comportement de reconstruction chez des larves de différentes tailles extraites de leurs fourreaux normaux et placées dans un milieu comparable à celui dans lequel elles vivaient dans l’étang.

Cette étude nous a conduits à expérimenter dans des milieux définis où manquaient certains des matériaux utilisés de préférence dans le milieu naturel, ceci afin de savoir quelle était la plasticité du comportement de reconstruction à l’égard des matériaux utilisés, et dans quelle mesure pouvaient intervenir des phénomènes de régulation en cas de conditions défavorables.

Enfin nous avons cherché à savoir combien de fourreaux une larve d’un stade donné était capable de reconstruire successivement, ce nombre étant très variable selon les espèces de Leptoceridae.

1.- Reconstruction dans un milieu analogue au milieu naturel

Expérience portant sur des larves de 1,5 à 4,5 mm.

Une larve extraite de son fourreau normal est placée dans une coupelle de porcelaine remplie d’eau. Le fond est recouvert de matériaux de poids, de tailles et de formes différents : grains de sable et très minces débris végétaux en décomposition. Dans l’eau flottent des matériaux de dureté et de rigidité diverses : tiges mortes ou vêtes de Riccia de Ceratphyllum, racines de Lemna major, tiges de Conferves.

A. Construction d’un premier segment de fourreau de structure hétérogène

La larve, dans son fourreau normal où des contractions abdominales régulières font circuler continuellement un courant d’eau, se trouve placée dans des conditions physico-chimiques assez strictes, notamment en ce qui concerne l’oxygénation (Milne, 1938 ; Krey, 1937 ; Mayer, 1937). La perte de son étui déclenche chez elle, après un temps de prostration qui varie entre 5 et 25 minutes et durant lequel elle demeure sur place, effectuant quelques contractions abdominales, un comportement de quête de matériaux : elle chemine sur le substrat et à travers les tiges qui flottent dans l’eau, tandis que ses glanes labiales sécrètent et que des fils soyeux sont tendus entre les brindilles (durée : 4 à 5 minutes).

Dans une troisième phase, la larve assemble certains des matériaux dont elle dispose à l’aide de ses pattes pro- et mésothoraciques, qui se contractent de manière à ramener au niveau du labium des grains de sable extrêmement fins et quelques menus débris végétaux. Ce sont donc les plus petits des matériaux qui sont choisis. L’activité sécrétrice amorcée dans la phase précédente continuant, ceux-ci, retournés entre les pattes pro- et mésothoracique, sont englués de soie ; ils forment bientôt une boulette de texture lâche, dont la taille ne dépasse pas la largeur du corps de la larve. Cet amas initial est d’habitude fait rapidement (quelques secondes), mais il peut être perdu au cours des pérégrinations de la larve. La perte est alors due à des causes accidentelles (accrochage à des brindilles) ou à un abandon pur et simple de détermination inconnu. La construction est alors reprise par une nouvelle phase de quête, etc.

A la formation de la boulette initiale succède une quatrième phase, la formation d’une première ceinture abdominale comportant les étapes suivantes :

-l a boulette est reliée par quelques fils soyeux à la face ventrale du premier segment abdominal contre laquelle elle est maintenue plaquée par les pattes mésothoraciques.

– de nouveaux matériaux lui sont alors incorporés : l’amas flotte au devant de la larve à laquelle il est lâchement rattaché et s’augmente de nouvelles particules enrobées de sécrétion soyeuse ;

– lorsqu’il atteint un certain volume, il est enroulé autour du premier segment abdominal de manière suivante :

a. Les pattes mésothoraciques le maintiennent à un même niveau, tout en le faisant glisser latéralement dans un sens ou dans l’autre.

b. L’abdomen se replie de telle façon que sa partie postérieure portant les crochets et les grosses soies se trouve ramenée à la base de l’amas qu’elle maintient.

c. Des contractions de l’extrémité postérieure de l’abdomen replié ont pour effet de pousser l’amas vers la face dorsale, les pattes mésothoraciques agissant simultanément dans le même sens.

A ce stade, la larve est donc entourée d’un anneau très grossier, fait de menus débris et de soie et lâchement collé au corps au niveau du premier segment abdominal : c’est la première ébauche du fourreau ( fig. 1,2, A à B). Le bord antérieur de cette ébauche est alors régularisé à l’aide des pattes mésothoraciques et il est enduit de soie ; le bord postérieur garde un contour irrégulier. La confection de cette ceinture nécessite deux à cinq minutes. Son diamètre est très supérieur à celui de la larve, et il arrive qu’elle soit perdue. Sa reconstruction s’opère alors selon un mécanisme analogue à celui que nous venons de décrire et qui, en général, se déclenche au bout d’un temps beaucoup plus long, surtout chez les très jeunes sujets.

Dans une cinquième phase, la larve procède à l’allongement de l’ébauche précédente en répétant plusieurs fois la série d’actes suivants :

– quête de matériaux dans le milieu extérieur ;

– prise d’un grain de sable ou assemblage de débris végétaux en une petite masse ;

– ces matériaux, maintenus par les pattes pro.- et mésothoraciques, sont portés devant le labium et enduits de soie sur toutes leurs faces ;

– incorporation du nouvel apport à l’anneau primitif ; le bord antérieur est régularisé par les pattes mésothoraciques qui moulent la masse contre le corps de la larve ;

– sécrétion de soie, d’une part, sur le bord antérieur du manchon et, d’autre part, à l’intérieur de celui-ci : la larve, agrippée par les ongles des pattes mésothoraciques au bord antérieur de l’étui, se laisse glisser jusqu’au fond de celui-ci et le remonte en sécrétant de la soie, la tête décrivant un mouvement hélicoïdal.

Cette série d’actes, n fois répétés, aboutit à la formation d’un segment de fourreau très grossier, surtout dans sa partie postérieure, qui représente la première ceinture, d’aspect hétérogène, fait de débris végétaux, de fins grains de sable et de soie sécrétée. Sa section antérieure est relativement plane et régulière ; sa section postérieure, très déchiquetée, présente parfois des lambeaux à moitié détachés du fourreau (fig. 1, 2, A à C). Ce premier segment est très rapidement construit (dix à vingt-cinq minutes). Nous verrons qu’il ne fera pas partie du fourreau définitif et sera éliminé peu à peu.

B. Construction d’un deuxième segment de structure définie mais irrégulière et élimination partielle du premier.

Lorsque le premier segment atteint une longueur égale à celle de l’abdomen de la larve et parfois un peu inférieure, l’Insecte manifeste une activité de quête au cours de laquelle il tente quelquefois de sectionner avec ses mandibules de gros fragments végétaux, qu’il abandonne du reste rapidement. Cette activité aboutira au choix de matériaux différents de ceux qui ont constitué le premier segment de fourreau : tiges mortes ou vertes de Riccia, feuilles décomposées de Lemna, écorces isolées de Myriophille. Ces matériaux sont mous et présentent une large surface. La larve, accrochée à une tige située au-dessus d’elle par ses logues pattes métathoraciques, manifeste à leur égard une activité nouvelle :

a. Se servant de ses mandibules comme des ciseaux, elle découpe d’abord une lanière longitudinale dont la largeur ne dépasse pas 4O microns

b. Puis elle adopte à l’égard de ces fragment une position caractéristique (réflexe de posture) : elle place l’ongle d’une de ses pattes mésothoraciques, la droite par exemple, à une extrémité du lambeau découpé ; l’angle formé par la ligne joignant l’extrémité libre de l’ongle au point d’articulation du tarse et du tibia, et par l’axe du tibia, est constant et égale à 90° (fig.2).

Le lambeau est maintenu, d’autre part, par la patte mésothoracique gauche repliée autour de lui. La larve incline alors la tête vers la gauche, celle-ci formant un angle constant avec l’axe du corps. C’est dans cette position qu’elle sélectionne en vérité un fragment dont la longueur se trouve par conséquent bien délimitée. Ce fragment de forme grossièrement rectangulaire, est maintenu devant le labium par les pattes prp- et mésotoraciques qui l’enserrent, et plusieurs fois retourné et enduit de soie sur toutes ses faces, comme l’étaient les amas granuleux qui ont constitué le premier segment du fourreau. La larve prend alors une nouvelle position caractéristique.

a. Elle enserre le fragment entre ses deux pattes prothoraciques et l’une des mésothoraciques (la gauche par exemple en cas de construction d’un fourreau à enroulement dextre), de manière que le grand axe du fragment soit parallèle à l’axe du corps ;

b. L’ongle de la patte mésothoracique droite est placée contre le bord postérieur du fragment.

Ainsi maintenu, le fragment végétal est incorporé au fourreau, son bord postérieur étant appliqué contre le bord antérieur du premier segment du fourreau, mais ne lui étant pas parallèle, ce qui détermine l’inclinaison du fragment.

Le fragment une fois posé, la larve sécrète de la soie contre la paroi interne de l’ébauche selon un mécanisme analogue à celui décrit pour la construction du premier segment ; la ligne de jointure est plus particulièrement consolidée. De plus, la larve tend quelques fils soyeux entre le bord latéral gauche du fragment végétal et le bord antérieur du premier segment. Puis elle procède à un crépissage général de l’intérieur de son étui dans lequel elle tourne à mesure qu’elle l’enduit de soie.

Le cycle se répète alors, les différents actes se produisent toujours dans le même ordre. Seule la pose des fragments suivant le premier est un peu plus compliquée : ceux-ci sont maintenus comme nous l’avons décrit, mais lors de leur mise en place, ils sont légèrement décalés les uns par rapport aux autres dans le sens de la hauteur, ce qui détermine la structure spiralée (fig.1,2, C à D et 3, D à E). D’autre part, les lignes de contact sont suturées par sécrétion soyeuse dans l’ordre suivant :

a. Bord postérieur du fragment bord antérieur du premier segment (ou du tour de spire précédent suivant les cas) (fig.3,1), l’ongle de la patte mésothoracique droite étant retiré le premier et les trois autres pattes (prothoraciques et mésothoracique gauche) maintenant le fragment ;

b. Bord gauche du nouveau fragment contre bord droit du fragment précédent (fig.3,2), les deux pattes (pro- et mésothoracique gauches) situées dans l’interstice étant retirée et le nouveau fragment étant maintenu parallèle au précédent par la suture 1 et par la patte prothoracique droit demeurée en place.

La durée de chaque cycle est de deux à cinq minutes.

La juxtaposition des fragments végétaux découpés et mis en place suivant, le mode précédent aboutit à la formation d’un deuxième segment de fourreau constitué de deux ou trois tours de spire. La position adoptée pour couper les «  fragments unités » restant la même, la longueur des matériaux demeure à peu près constante (hauteur du tour de spire) ; la manière dont chaque unité est incorporée à l’ensemble détermine son inclinaison par rapport à l’axe de la larve et la structure spiralée.

Il faut noter :

1° Que l’apparence irrégulière et relativement grossière de ce segment est due aux matériaux choisis hétérogènes et dont la large surface rend difficile un découpage en unités régulières, et non au mode de construction ;

2° Qu’il y a néanmoins une régularisation progressive dans le sens postéro-antérieur. Les matériaux choisis étant de plus en plus homogènes et rigides.

La larve présente, habituellement à la fin de l’édification du deuxième tour de spire, un comportement nouveau se décomposant ainsi :

a. Le crépissage interne du fourreau, qui se produit à la fin de chacun des cycles précédents se prolonge plus longtemps qu’à l’ordinaire (jusqu’à quinze minutes) : la larve, agrippée au bord antérieur de son étui par ses longues pattes métathoraciques descend très profondément dans celui-ci et le remonte en sécrétant de la soie contre la paroi interne du fourreau, sa tête étant alors animée du mouvement hélicoïdal précédemment décrit ;

b. Brusquement, par un mouvement de tête à queue, elle se retourne dans son fourreau (fig. 4, 2 et 3) ;

c. Elle élimine alors à la partie postérieure un fragment du premier segment, qu’elle découpe avec ses mandibules, détachant un cylindre dont la hauteur est à peu près égale à celle du tour de spire ;

d. La nouvelle section postérieure du fourreau, maintenant plane et régulière, est enduite de soie ;

e. Un nouveau tête-à-queue replace la larve dans sa position initiale (fig. 4, 4).

Ce comportement ne se manifeste que lorsque l’ensemble du fourreau atteint une longueur un peu supérieure à celle du fourreau normal. Il est donc fonction des longueurs respectives des premiers et deuxième segments du fourreau. Il est suivi d’une reprise normale de l’activité constructive suivant le mode décrit.

C. Construction d’un troisième segment à structure définie régulière et élimination totale des premier et deuxième segments.

Le processus de construction demeure inchangé : les mêmes actes se succèdent dans le même ordre que lors de l’édification du deuxième segment. La seule différence porte sur le choix des matériaux, qui sont de préférence des tiges rigides et de faible diamètre (racines de Lemna, petites Conferves). Celles-ci ne sont jamais découpées longitudinalement. La larve les parcourt sur toute leur longueur, parvient à leur extrémité, se retourne et y pose l’ongle d’une de ses pattes mésothoraciques, prenant alors son attitude caractéristique de sciage. Dans d’autres cas, maintenant la tige entre ses pattes pro- et mésothoraciques, elle la sectionne à un niveau quelconque, et le plan de section joue alors le rôle de l’extrémité naturelle.

Chaque fois qu’un tour de spire est terminé (il est formé de quinze à vingt fragments chez des larves de 3 millimètres environ), la larve se retourne dans son fourreau suivant le mode précédemment décrit et en élimine une partie de hauteur à peu près égale à celle d’un tour de spire. Lorsque quatre à quatre tours et demi de spire sont construits suivant ce mode, les segments 1 et 2 se trouvent éliminés. La larve cesse son activité constructive. La durée de la reconstruction est de l’ordre de 24 h. Le fourreau est cylindrique et de structure désormais régulière .Les différents tours de spire sont de même hauteur ; la section postérieure du fourreau est perpendiculaire au grand axe de celui-ci ; la section antérieure est analogue à celle du fourreau normal ; dans de rares cas, quelques matériaux y sont disposés transversalement.

D. Comparaison entre le fourreau normal et le fourreau reconstruit.

Les différences entre le fourreau normal et le fourreau reconstruit sont les suivantes/

1° La hauteur des tours de spire est constante dans le fourreau reconstruit, alors que, nous l’avons dit, elle augmente d’un tour de spire à l’autre dans le sens postéro-antérieur dans le fourreau normal ( la hauteur des fragments constituant un même tour de spire étant néanmoins constante) ;

2° Le fourreau reconstruit est cylindrique, alors que le fourreau normal est en tronc de cône dont la section de plus petit diamètre correspond à l’extrémité caudale de la larve.

Ces différences résultent des conditions dans lesquelles sont construits les fourreaux dans les deux cas.

Cas du fourreau normal. – Le fourreau est allongé lors de chaque mue de la larve d’un nouveau tour de spire constitué de bâtonnets dont la longueur est proportionnelle à la taille du constructeur puisque sectionnés suivant le réflexe de posture précédemment décrit.

Il en résulte que :

a. dans un même tour de spire, les bâtonnets seront de même longueur, puisque sectionnés au cours d’une même période d’activités constructive (par un individu dont la taille ne change pas)

b. la hauteur des bâtonnets constituant les différents tours de spire augmente d’un tour de spire à l’autre dans le sens postéro-antérieur, la partie postérieure du fourreau étant construite par une larve plus jeune et, par conséquent plus petite.

c. d’autre part, le diamètre de la larve augmentant à chaque mue en même temps que la longueur, il y a augmentation de diamètre pour chaque tour de spire ; il en résulte la forme en tronc de cône du fourreau normal.

Cas du fourreau reconstruit. – Le fourreau est construit d’une façon continue par une larve dont la longueur et le diamètre restent constants. Il en résulte :

a. des tours de spire constitués de bâtonnets de longueurs identiques ;

b. des tours de spire ayant tous même hauteur pour un même fourreau ;

c. des tours de spire ayant tous même diamètre, d’où la forme cylindrique du fourreau reconstruit.

II Reconstruction dans des milieux à matériaux sélectionnés.

L’étude précédente nous a montré qu’il y avait des différences notables dans le comportement de la larve au cours de la construction des trois segments du fourreau.

A. Construction du premier segment. – Nous avons vu que les matériaux utilisés par la larve dans un milieu semblable au milieu naturel étaient du sable et de menus débris végétaux. Ils étaient incorporés au fourreau d’une manière relativement simple, après enrobage de soie. A ce stade n’apparaissent encore aucun des réflexes de posture précédemment décrits, et grâce auxquels le fourreau acquiert sa forme typique.

Au cours des expériences portant sur la construction du premier segment du fourreau nous avons :

1° éliminé tour à tour l’un des deux matériaux de construction (sable et menus débris végétaux) ;

2° puis éliminé simultanément ces deux matériaux, ne laissant à la disposition de la larve que des racines de Lemna major et des filaments de Conferves. Ainsi nous avons cherché à savoir s’il peut y avoir apparition, dès le début de la reconstruction

a. des réflexes de sciage et de mise en place des fragments ;

b. d’un cycle dans lequel chacun de ces actes complexes occupe une place déterminée, ceux-ci étant essentiels dans la reconstruction du fourreau typique.

1° Elimination du sable

Condition du milieu : La larve est placée dans une petite coupelle de porcelaine remplie d’eau et dont le fond est tapissé de menus débris de végétaux en décomposition. Dans l’eau flottent les différents végétaux précédemment énumérés : des tiges de Riccia, de Ceratophyllum, racines de Lemna major, filaments de Conferves.

Résultats : Le mode de construction est le même que celui précédemment décrit. Le premier segment du fourreau est constitué de menus débris et de sécrétion soyeuse (fig.5, 1). L’activité initiale de quête est un peu prolongée.

2° Elimination des petits débris végétaux

Conditions de milieu : Elles sont les mêmes que pour l’expérience précédente, mais ici le fond de la coupelle est tapissé de sable, sans menus débris végétaux.

Résultats : Le mode de construction demeure identique. Le premier segment est alors plus régulier, constitué par les plus fins des grains de sable agglomérés par la sécrétion soyeuse (fig.5, 2).

3° Elimination du sable et des menus débris végétaux

Conditions de milieu : Le fond de la coupelle est ici nu ; dans l’eau flottent les végétaux précédemment énumérés.

Résultats : Après une activité de quête de 5 à 15 minutes, la première ceinture abdominale est constituée de la manière suivante : la larve sectionne un fragment végétal selon sa technique habituelle, l’ongle d’une des pattes mésothoraciques et les mandibules étant placés dans leurs positions caractéristiques. Ce fragment est traité à la manière de la boulette initiale, normalement constituée au début de l’activité constructive dans un milieu semblable au milieu naturel, mais sa longueur n’étant pas suffisante pour constituer une ceinture fermée autour du premier segment abdominal, la larve complète celle-ci par de la sécrétion soyeuse, le fragment passant de la face ventrale à la face dorsale au cours de la sécrétion (fig. 5, 3A et 3B). Une nouvelle activité de quête l’amène à sectionner un second fragment qui est collé à la suite du premier, suivant la même orientation, contre la partie sécrétée. De nouveaux fragments sont ainsi découpés et collés jusqu’à ce que la première ceinture soit entièrement constituée par eux (fig.5, 3C).

La première ceinture est alors allongée par incorporation de nouveaux fragments :

a. Ceux-ci sont sectionnés par mise en jeu du réflexe de sciage qui est donc capable de se manifester à ce stade.

b. Mais ils sont mis en place à la manière des amas de sable ou des débris végétaux qui constituent normalement le premier segment du fourreau, et que nous avons décrite précédemment. Il ne peut donc y avoir apparition de l’activité cyclique complexe manifestée lors de la construction du deuxième segment du fourreau dès ce stade.

B. Construction du deuxième segment du fourreau. – Nous avons vu que les matériaux utilisés pour la construction de ce segment étaient des végétaux mous de large surface, et que le mécanisme par lequel ils étaient assemblés avait déjà atteint sa complexité définitive, seul le choix des matériaux différenciant le deuxième segment du troisième. Nous avons donc éliminé du milieu les matériaux normalement préférés.

Conditions de milieu : Le fond d’une coupelle de porcelaine est, cette fois-ci tapissé de sable et de menus débris végétaux ; dans l’eau flottent des tiges de Conferves rigides et de faible section.

Résultats : Le début de la construction n’est pas modifié. Le premier segment du fourreau est typique. La larve construit d’emblée à sa suite un fourreau spiralé à structure définie régulière. Seul le temps nécessaire à son édification est changé. Il est néanmoins plus court que celui normalement nécessaire à la construction des deux derniers segments.

C. Conclusions tirées de ces expériences. – Ces expériences nous amènent à comparer les modes de construction des trois segments.

Premier segment du fourreau : Sa construction est caractérisée :

  1. Par une activité tout à fait particulière aboutissant à la formation d’une première ceinture abdominale. Le réflexe de sciage peut apparaître dès ce stade. Cette activité est fondamentale et à la base de toute construction ;
  2. Par l’allongement de la première ceinture qui est réalisé par une série d’actes s’enchaînant les uns aux autres (quête e matériaux, enrobage de soie, incorporation à l’aide des pattes pro- et mésothoraciques). Malgré l’apparition possible dès cette période du réflexe de sciage, le segment conserve une structure hétérogène (cas 2 de l’expérience A).

Deuxième segment du fourreau. – Celui-ci est caractérisé par l’apparition de réflexes de posture se manifestant à des périodes rigoureusement déterminées d’un cycle (réflexe de sciage et de mise en place des fragments). Nous avons vu que la larve est incapable de manifester d’emblée ce comportement complexe après la perte de son fourreau.

Troisième segment du fourreau. – Il est construit d’une façon identique au deuxième. Seuls les matériaux utilisés sont différents. Si ceux utilisés normalement pour la construction du deuxième segment du fourreau font défaut (cas de l’expérience B), la larve peut juxtaposer directement ce que nous avons appelé le troisième segment au premier.

  1. Reconstruction successives dans un milieu analogue au milieu naturel

Le nombre de fourreaux susceptibles d’être reconstruits successivement par une même larve nous a paru intéressant. Il est en relation avec l’état physiologique des larves pour une espèce donnée. Le tableau ci-dessous nous montre en particulier l’influence de l’âge de la larve.

Longueur de la larve                                    Nombre de fourreaux reconstruits successivement

1,2 mm                                                            2, quelquefois 3

2,4 mm                                                            4

4,5 mm                                                            11

(Les larves étaient extraites de leurs fourreaux au fur et à mesure que ceux-ci étaient reconstruits.)

D’autre part, ce nombre semble varier dans de larges proportions dans le groupe des Leptoceridae. Alors que les larves de Setodes tineiformis, à fourreau entièrement de soie (larves de 2 à 6 millimètres), nous ont semblé incapables de toute reconstruction, les larves de Leptocerus cinereus, à fourreau arénacé, peuvent reconstruire jusqu’à douze fourreaux successifs. La plasticité de ce comportement est sans doute en rapport avec l’évolution morphologique et physiologique des larves au sein du groupe. Ce point fera l’objet d’une publication ultérieure.

III Résumé

1° Nous avons d’abord décrit le fourreau normal de la larve de Triaenodes conspersa : structure spiralée régulière constituée par la juxtaposition de fragments végétaux suivant un mode déterminé.

2° L’étude du mode de reconstruction dans un milieu naturel nous a montré que 3 segments de fourreaux étaient construits successivement l’un à la suite de l’autre.

A. Premier segment constitué de la manière suivante : formation d’une première ceinture abdominale ; allongement de celle-ci à l’aide de particules agglomérées par la sécrétion soyeuse.

Mode de construction : répétition d’actes peu nombreux et relativement simples. L’aspect d ce premier segment de fourreau est hétérogène ; sa consistance est molle.

B. Deuxième et troisième segments constitués par la juxtaposition de fragments végétaux coupés et mis en place selon un mode déterminé et au cours d’une activité cyclique. Le mode de sciage des fragments détermine la hauteur des tours de spire ; leur mode d’incorporation à l’ensemble détermine leur inclinaison et la structure spiralée. L’aspect du fourreau se régularise progressivement dans le sens postéro-antérieur. On passe peu à peu de l’aspect typique du deuxième segment du fourreau à celui du troisième, le choix des matériaux différenciant seul les deux segments.

3° Des expériences faites en éliminant successivement ou simultanément des matériaux préférés lors de la construction des trois segments du fourreau nous ont menés aux conclusions suivantes :

  1. Lors de la construction du premier segment, le mode particulier par lequel est  formée la première ceinture abdominale persiste en l’absence de particules dans le milieu. L’allongement de la première ceinture se fait suivant le même mode que celui décrit lorsque la larve se trouve dans un milieu semblable au milieu naturel. La seule différence consiste en l’apparition précoce du réflexe de sciage des fragments végétaux, celui-ci jouant comme un mécanisme de régulation envers l’absence de très petits matériaux, mais ne s’intégrant pas dans un cycle déterminé, ainsi qu’il sera fait plus tard.
  2. La suppression des matériaux mous de large surface, normalement utilisés lors de la construction du deuxième segment du fourreau, n’engendre pas de différence notable dans l’activité de la larve. Celle-ci sectionne d’emblée les matériaux minces et rigides mis à sa disposition.
  3. Les différents actes qui constituent le comportement manifeste lors de la construction du troisième segment du fourreau ne sont donc mis en place que progressivement. Dès la construction du deuxième segment, ils se produisent dans un ordre déterminé. Les cycles se répètent alors, identiques à eux-mêmes, jusqu’à ce que cesse l’activité constructive de la larve, celle-ci étant pourvue d’un nouveau fourreau caractéristique de son espèce.

4° Le nombre de fourreaux qui peuvent être reconstruits successivement par une             même larve est restreint. Il semble varier beaucoup selon les espèces de Leptoceridae.

Station biologique des Eyzies (Dordogne), Annexe du Laboratoire d’Evolution des  êtres organisés (Paris).