Elles ne cherchent que l’utile dans leur vêtement

Guillaume-Antoine OlivierEncyclopédie méthodique, Histoire Naturelle, Insectes, tome VI. Paris, Panckoucke, 1791, pp. 520-527.

Frigane

Elles sont d’une figure particulière, & elles habitent toujours dans de petites maisonnettes portatives ou des espèces  de fourreaux faits de différentes matières étrangères, qu’elles traînent dans l’eau partout où elles marchent. Réaumur nous a donne des observations sur ces larves, ou Teignes aquatiques comme il les appelé, qui méritent d’être lues, parce qu’elles renferment beaucoup de découvertes curieuses. D’autres naturaIistes, tels que M. Geofroy, De Geer, fournissent sur ces insectes des instructions bien dignes d’être recueillies; & l‘histoire des Friganes , dans leurs larves , leurs logemens , leurs métamorphoses , appuyée par des autorités aussi respectables & par des observateurs aussi judicieux , ne peut qu’exciter sans doute & le zèle du rédacteur &  l’attention du lecteur.

 Les larves des Friganes, regardées comme des Teignes,  ont été connues d’Aristote & de Pline, sous le nom grec de Xylophthoros traduit en latin par celui de ligni-perda , pour désigner que cet insecte gâtoit ou corrompoit le bois ; tout ce qu’il fait pourtant , c’est d’en prendre de celui qui se perd , pour s’en couvrir ; encore la plupart des espèces se couvrent-elles plus volontiers de petits brins d’herbes , & de petits morceaux de feuilles.Le corps tendre & mol de ces larves, à l’exception de la tête & des deux premiers anneaux,qui sont écailleux , avoit besoin d être mis à l’abri de l’impression  de l’air ou des atteintes de tant d’êtres aquatiques & voraces ; aussi ces infectes savent-ils remplir les vues de la nature & mettre à profit le talent qu’elle leur inspire , en se construisant des habits qui leur sont propres. Ces habits sont en général des tuyaux de soie, de figure cylindrique , ou de celle d’un cône tronqué. Mais apparemment que les tissus de soie que nos larves savent filer, n’auroient pas allez de consistance pour conserver leur forme , pour se soutenir contre tous les mouvemens qu’elles font obligées de se donner , elles ont l’art de les rendre solides en les recouvrant de certaines matières. Ce dont nos larves paroissent s’embarrasser le moins, c’est de donner de la grâce à la forme extérieure de leur ouvrage ; mais elles ne cherchent que l’utile dans leur vêtement, & elles le trouvent. Si leur fourreau est ce qu’elles ont de plus apparent , c’est aussi  par là que nous devons commencer à les faire connoître.

 Les fourreaux dans lesquels les larves des Friganes sont logées, sont en général de figure allongée & cylindrique ; à chaque bout ils ont une ouverture circulaire , mais celle du bout antérieur  par où la larve fait sortir sa tête , est ordinairement plus grande que celle de l’autre bout. L’intérieur du fourreau est un tuyau cylindrique fait de soie, dont le tissu est fort serré, uni & lisse. L’extérieur, ou plutôt la couche qui couvre l’étui de soie en dehors, est de figure très-variée ; selon les matières, que la larve emploie à sa confection : on a de la peine à trouver deux fourreaux qui se ressemblent parfaitement. Ces matériaux étrangers sont presque tout ce qu’on trouve dans les eaux des marais & des rivières. Ces larves font entrer dans leur espèce d’habillement , des brins de gramen , de jonc , de roseaux ; les feuilles des plantes aquatiques, & de morceaux de racines de ces mêmes plantes de petits morceaux de bois ; les graines des plantes, les feuilles des arbres tombées dans l’eau , & entre autres , celles du Sapin , dont-elles s’accommodent à merveille , à cause de leur forme convenable ; de petites pierres , le gravier & le sable , enfin les coquilles de certains petits Limaçons aquatiques & de certaines petites Moules. On trouve des fourreaux qui sont composés de tous ou de presque tous les matériaux que nous venons de désigner ; mais il y a des espèces parmi ces larves , qui se font des habits toujours à peu près d’une même forme , en y employant des matériaux d’une seule sorte , & en les arrangeant autour du tuyau de soie d’une manière ou d’autre , mais toujours sur le même modèle. C’est ainsi que quelques larves se font des fourreaux uniquement de grains de gravier, de sable ou de petites pierres ; que d’autres n’y employent que des morceaux de gramen , qu’elles appliquent transversalement sur le fourreau , tandis que d’autres les arrangent selon la longueur du fourreau; que l’extérieur de quelques fourreaux  paroît roulé en spirale, parce que de petits morceaux de feuilles y sont arrangés de façon qu’ils décrivent une ligne spirale tout autour du fourreau. Il est donc vrai qu’il y a de certaines variétés dans les dehors des fourreaux , qui sont constantes & propres à des larves d’une certaine espèce. Mais il est encore vrai, que cette régularité est souvent gâtée par l’apposition de quelques pièces grotesques, d’un morceau de bois, d’une coquille,  &c. Nos larves changent d’habits quand elles ont besoin d’en changer, c’est-à- dire quand le leur est devenu trop étroit & trop court ; alors elles s’en font un de grandeur convenable. Quelquefois le neuf diffère extraordinairement de celui qu’elles ont laissé. Ce n’est certainement ni par bisarrerie , ni par caprice , qu’elles se couvrent d’un fourreau qui ressemble peu à celui qu’elles ont abandonné ; mais elles savent se servir , pour s’habiller , de matières très- différentes ; & selon les étoffes , pour ainsi dire , qu’elles employent , elles se font des vêtemens qui ont des figures différentes.

 On peut voir de ces tuyaux de soie très-bien cachés par de petites portions de feuilles de gramen coupées quarrêment, mais un peu plus longues que larges , &  arrangées en recouvrement les unes au dessus des autres , comme le sont les tuiles de nos toits. Chacune de ces petites tuiles est  attachée contre le fourreau par des fils de soie, & seulement par un de ses bouts, celui qui est le plus proche de l’ouverture antérieure ; au reste il paroit  que c’est par choix que les feuilles de gramen  sont employées, préférablement aux feuilles d’autres plantes , parce qu’elles sont de celles qui sont les plus commodes a tailler &: à mettre en place.  On  trouve d’autres tuyaux couverts en entier de quantité de petits morceaux de feuilles assez grandes, comme de celles du Charme, du Hêtre, du Chêne ; mais la larve qui sait choisir le Gramen , a moins de besogne à faire ; elle en rencontre aisément d’étroites , & elle n’a qu’a en couper des morceaux de longueur convenable. Le Gramen fournit encore à d’autres larves de quoi recouvrir leur fourreau soyeux ; elles employent les tiges déliées de cette plante, qui sont de petits cylindres creux & par conséquent légers. Ils sont arrangés parallèlement les uns aux autres; ils sont souvent de longueur inégale : les plus courts de ceux qui sont attachés sur certains fourreaux, ont la longueur du fourreau, & d’autres en ont davantage. D’autres fourreaux ont dans leur longueur deux brins , dont l’un est posé en recouvrement sur partie de l’autre. Il est encore des fourreaux recouverts de brins pris des plus petites branches du Genêt ordinaire , attachés par un seul bout , & disposés un peu en recouvrement les uns au dessus des autres. Quand les fourreaux de soie sont recouverts de feuilles ordinaires ou de grandes portions de feuilles plates , l’habit de la larve paroit plat , il est peu épais par rapport à sa largeur ; mais les habits faits sur ce modèle , sont rares ; communément ils ont une figure cylindrique ou qui en approche. Il y en a dont tout l’extérieur est composé de brins de jonc très-déliés  ou de petites tiges de plantes, collées les unes centre les autres, & disposées selon la longueur du fourreau. Quelquefois ces brins sont si bien rangés, qu’on ne voit point leur assemblage, on croit voir un cylindre cannelé suivant sa longueur. Mais il est rare d’en trouver qui n’aient pas quelque pièce , quelque lambeau qui dépare le relie , & qui cependant , comme nous le dirons bientôt , est nécessaire à la perfection de l’habit. Une larve trouve quelquefois deux morceaux d’une tige de Roseau brisée & fendue suivant sa longueur ; si elle n’a encore mis sur son fourreau que des pièces minces,  si ce fourreau n’a ni assez de solidité ni assez de volume, elle se fait une espèce de très-bon surtout avec les deux morceaux de Roseau qu’elle a eu le bonheur de rencontrer, & qu’elle peut ajuster sans beaucoup de travail ; elle loge dès-lors son fourreau dans la cavité de ces deux pièces , qu’elle rapproche l’une de l’autre autant qu’il lui est possible. D’autres larves font leur fourreau d’un assez grand nombre de morceaux de roseaux plus petits. Au-lieu que les fourreaux que nous venons de considérer , sont couverts de pièces couchées selon leur longueur, il est très- ordinaire que des larves disposent tout autrement des brins de tiges  déliées ou de certaines feuilles qui ont une figure qui tient de la cylindrique, telles que les feuilles de cette plante aquatique, appelée par quelques Botanistes, Prèsle d’eau. Pour prendre une idée exacte de la manière donc les larves emploient les feuilles de cette plante, & celles de quelques autres, imaginons un fourreau divisé en un très-grand nombre de tranches perpendiculaires à l’axe, depuis un de ses bouts jusqu’à l’autre. L’intérieur de chacune de ces tranches est une portion de cylindre creux, une portion du logement de la larve ;  la tranche qui est exactement cylindrique, est de soie, mais cette tranche de soie a été construite  dans une figure à plusieurs côtés, formée par des espèces de petits bâtons. Représentons – nous un cercle inscrit dans un pentagone, un hexagone ou un heptagone , ou dans une figure quelconque à plus ou moins de côtés , & que chacun des côtés de la figure dans laquelle ce cercle est inscrit, est prolongé par delà les angles de la figure : tout cela étant conçu, nous avons une image de la disposition des pièces dont le fourreau est recouvert. Plusieurs brins de tiges ou de feuilles font disposés comme les côtés de la figure circonscrite au cercle. Chacun de ces petits brins cylindriques touche le tuyau de foie, & se croise de part & d’autre avec un des brins qui touche le même tuyau. A mesure que la larve allonge son fourreau, elle fait un bâtis de pareils bâtons qui se croisent, & qui fervent à soutenir la portion du tuyau de soie qui sera filée dans la suite. Tous les habits de larves qui font construits de la sorte, sont extrêmement hérissés, mais ils ne laissent pas de paroître faits avec une espèce de régularité.

 Enfin il y a des fourreaux qui ne sont construit qu’en partie, de pièces posées soit longitudinalement, soit transversalement ; quelques-unes de leurs portions sont faites de pièces, ce semble, mal assorties, &, qui gâtent la symétrie ; quelquefois un allez gros morceau de bois de figure irrégulière y a été attaché ; quelquefois c’est un morceau de caillou ou une petite pierre; quelquefois une coquille, soit de Limaçon, soi de Moule. Il y en a dont les vêtemens sont faits en entier de ces sortes de coquilles d’une seule espèce. On en voit souvent qui font entièrement couverts de petites coquilles de Limaçons aquatiques ; d’autres de coquilles de Moules bien entières, & dont les deux pièces font assemblées. Ces sortes d’habits font jolis,  mais ils sont de plus très-singuliers , en ce que les coquilles dont ils sont tous garnis , renferment quelquefois des animaux vivans : les Limaçons & les Moules vivent dans les coquilles des fourreaux de plusieurs larves , & ces coquilles y sont il bien attachées , qu’il n’ est pas possible au Limaçon ni à la Moule de faire changer la sienne de place. Il y a des larves qui disposent des portions de feuilles perpendiculairement à l’axe de leur fourreau; d’autres larves recouvrent le tuyau de soie de grains de sable, de petits fragmens de coquilles. Il est assez ordinaire à ces dernières, d’attacher de chaque côté du tuyau un bâton qui l’excède par les deux bouts ; le tuyau est  renfermé entre deux petits bâtons , souvent une fois plus long qu’il n’est lui-même, & d’un diamètre presque égal au lien. Quelquefois il n’y a qu’un seul de ces bâtons lié au fourreau, & quelquefois ce sont des morceaux de bois plus gros & plus courts qui y sont attachés.

 Quand on considère la plupart des espèces de fourreaux que nous venons d’indiquer, & beaucoup d’autres, il semble que les matières qui entrent dans leur composition , doivent les rendre bien lourds. La plupart seroient effectivement de terribles fardeaux pour l’insecte, s’il étoit obligé de marcher toujours sur terre ; mais si nous faisons attention que ces insectes doivent tantôt; marcher sur le fond de l’eau, tantôt monter & descendre au milieu de l’eau , sur les herbes qui y croissent, nous jugerons que ce même fourreau qui chargeroit l’insecte , s’il étoit dans l’air, lui coûte peu a porter, si les différentes pièces de l’assemblage desquelles le fourreau est construit , sont un tout d’une pesanteur à-peu-près égale à celle de l’eau. Nous devons même voir la raison pour laquelle la larve faitsouvent entrer dans la composition de son fourreau, des pièces qui gâtent la symétrie des autres, & qui lui donnent une forme désagréable & tout-à-fait barroque. L’insecte qui paroît assez indifférent  sur la forme des fragmens de bois & de plantes, qu’il assujettit contre son fourreau, a pour l’ordinaire grand soin de choisir ceux qui sont d’une pesanteur spécifique, moindre que celle de l’eau. Ce qu’il semble se proposer principalement, c’est d’attacher à son fourreau des espèces de calebasses. Il ne sait point, ou il sait mal nager; il ne fait que marcher, & il marche souvent, soit fur les pierres ou le gravier qui sont au fond de l’eau, soit sur les plantes qui se trouvent dans l’eau. Lorsqu’il veut marcher, il fait sortir sa tête & la partie antérieure de son corps par la grande ouverture ou celle qui en est la plus proche, alors il cramponne les six pattes écailleuses dont il est pourvu, &. il se tire dessus en-avant. Il est certain qu’il trouve d’autant moins de difficulté à marcher dans l’eau, que le poids de fon corps & celui de son fourreau,  avec ce qui y est arraché, sont un tout d’une pesanteur plus approchante de celle de l’eau. Le corps  de l’insecte est plus pesant que l’eau, c’est de quoi il est aisé de se convaincre : si  on tire un de ces insectes hors de fon fourreau, & si on le jette ensuite dans l’eau , il ne manque pas d’aller à fond & d’y rester. En dégageant aussi les tuyaux de soie, de toutes les matières étrangères qui y étoien attachées, & en jettant même ces fourreaux de soie dans l’eau, on voit qu’ils sont eux-mêmes plus pesans que l’eau, sans en faire l’expérience, on peut assurer qu’au contraire les morceaux de roseaux ou de glayeul , les brins de paille ou les morceaux de bois arrachés contre les fourreaux, sont plus légers que l’eau. Ce qui importe le plus à notre larve aquatique est donc de choisir des corps qui soient tels, que collés contre son fourreau , ils contrebalancent à un certain point l’excès de la pesanteur de son corps & de celle du fourreau de soie prises ensemble sur celle de l’eau. Elle ne doit pourtant pas attacher contre son fourreau, des corps trop légers, elle auroit autant de difficulté à vaincre, en marchant, la résistance qui naîtroit de trop de légèreté, qu’elle en auroit à vaincre celle qui naîtroit de trop de pesanteur. Enfin, il lui importe encore que fon fourreau soit, pour ainsi dire, également lesté par-tout; que certaines parties ne soient pas de beaucoup plus légères ou de beaucoup plus pesantes que les autres, sans quoi le tuyau tendroit à prendre dans l’eau d’autres positions que celles que l’insecte veut lui donner. Quand une larve n’a pas mis d’abord à toutes les parties de son fourreau un équilibre convenable, elle colle apparemment de petits fragmens de bois ou de plantes sur les endroits qu’elle sent trop pesans ; & de-là vient qu’on voit tant de petits morceaux de bois rapportés sur certains fourreaux ; ils y ont été pris à diverses reprises. Delà vient que quelquefois il y a sur le fourreau des morceaux de bois d’une grosseur énorme par rapport aux autres pièces. De là vient que certains fourreaux qui sont recouverts de gravier ou de petits fragmens de coquilles, ont de chaque côté un long morceau de bois.

 Il doit s’en, suivre quelques espèces de nos larves peuvent être distinguées par la forme extérieure de leurs fourreaux, mais cependant, que cette distinction n’est pas allez sûre pour pouvoir les faire reconnoître. …./….

 Nos larves ne quittent jamais leur fourreau, elles ne sauroient vivre à leur aise sans cette sorte d’ habillement. Quand elles veulent marcher ou le transporter d’un lieu à un autre, elles sont sortir hors de la grande ouverture du fourreau, la tête & les premiers anneaux du corps auxquels les six pattes sont attachées. Elles parcourent alors le fond de l’eau & les plantes aquatiques qui y croissent. elles marchent , ou pour mieux dire , elles se trainent lentement. Dès quelles aperçoivent quelque chose qui leur fait peur, elles retirent promptement la tête & le corps dans le fourreau. Pour les obliger à le quitter, il faut introduire dans l’ouverture postérieure, dans la petite ouverture du fourreau, une épingle ou quelqu’autre instrument pointu, qu’on fait avancer doucement & peu-à-peu,  la larve qui sent la pointe de l’instrument, en paroit d’abord effrayée , elle avance la tête hors de l’autre ouverture, & à mesure qu’on pousse I’instrument elle fait sortir une plus grande portion de son corps; on voit que c’est a regret qu’elle quitte son cher fourreau; mais enfin, forcée de cette manière, elle en sort tout-à-fait & l’abandonne.  C’est ainsi qu’on parvient facilement à chasser la larve hors du fourreau, sans risquer de la blesser & sans endommager son logement : car si on vient à la tirer par la tête, elle fait beaucoup de résistance, elle s’accroche avec ses deux crochets ; de sorte qu’en la tirant de cette manière par force, on la blesse ordinairement, parce qu’elle s’obstine tant qu’elle peut à ne pas lâcher prise. La larve qu’on a chassée de son fourreau, y rentre ensuite sans façon, quand on le lui met  à sa portée, & s’en accommode comme auparavant.

 Elle n’est pas aussi délicate que la Teigne des laines, qui, selon Réaumur, ne connoît  plus son habit dès qu’elle en est une fois sortie , & qui aime mieux s’en faire un neuf, que se vêtir une seconde fois de celui dont on l’a dépouillée, quoiqu’on l’ait laissé en très-bon état à sa disposition. L’ouverture antérieure est la seule par laquelle notre larve puisse rentrer dans son tuyau : la postérieure a moins de diamètre que son corps ; elle y entre la tête la première , elle y est dès-lors dans une position renversée ; mais le fourreau est assez large pour qu’elle puisse se retourner dedans, bout par bout. Si nos larves rentrent volontiers dans leur fourreau, ce n’est pas qu’elles soient impuissantes à s’en faire de neufs; mais il leur est encore plus commode de se servir de celui qui est tout fait, que de commencer a travailler sur nouveaux frais, c’est une nécessité pourtant à laquelle on peut les réduire, quand on veut les voir a l’ouvrage. Nous allons entendre parler Réaumur. Après avoir dépouillé une de nos larves de son habit ce digne observateur la mit dans un poudrier de verre avec divers morceaux de feuilles qui avoient été macérées dans l’eau ; en moins d’une heure elle fut couverte de différens  fragmens de ces feuilles, en moins d’une heure elle eut un fourreau neuf: il est vrai qu’il étoit assez informe, qu’il ne sembloit fait que de mauvais haillons &: peu solidement attachés ensemble. L’insecte  transportoit pourtant tout cet assemblage par-tout où il alloit, & son corps en étoit enveloppé de toutes parts. La bonne volonté pour le travail, que notre larve avoit manifestée, fit que Réaumur n’hésita pas à la dépouiller une seconde fois. Il la mit toute nue dans une soucoupe a café blanche, remplie a moitié d’eau ; il eut soin de jeter dans l’eau quantité de brins de foin, de paille, de bois, qui n’avoient au plus que deux ou trois lignes de longueur. La larve resta pendant près de trois-quarts d’heure à marcher dans l’eau, à tâter les petits bâtons, les brins de paille, sans se déterminer à en faite usage. Ils ne lui convenoient pas apparemment, dit Réaumur, pour un ouvrage qui devoir être fait a la hâte; peut-être les trouvoit-elle trop lège,  l’eau ne les ayant pas imbibés : car nous avens déjà remarqué  qu’il y auroit autant d’inconvénient à avoir un fourreau trop léger, qu’a en avoir un trop pesant. Pour savoir donc si c’étoit  faute de matériaux convenables, que la larve nue ne se mettoit pas soudain à l’ouvrage, notre observateur dépiéça les deux habits dont il l’avoit tirée, il en jeta, les morceaux dans l’eau : quelques-uns surnagèrent, quelques autres allèrent à fond. Il jetta encore dans le vase divers autres fragmens de feuilles; il ne fut pas long-temps à  voir alors que la larve avoit ce qu’il lui falloir, & quelle avoit cherché inutilement jusques-la. Après avoir tâté les fragmens de feuilles, elle s’arrêta sur un qui étoit tombé au fond de l’eau , & qui n’avoit guère moins de longueur que son corps, mais qui avoit beaucoup plus de largeur que le corps n’avoir de diamètre ; elle élévoit alors & abaissoit alternativement sa partie postérieure, faisant jouer ses aigrettes de filets, C’étoit sur-tout la tête qui étoit en grande actions ; avec ses dents elle coupa quelques portions du morceau de feuille près du bout dont elle étoit le plus proche. Elle parut ensuite s’appliquer sur la surface de ce morceau de feuille, la frotter en quelques endroits. La tête s’avança ensuite par-delà les bords de ce grand morceau, comme pour chercher; elle .y trouva un nouveau morceau de feuille , & sur le champ elle coupa un petit fragment ; retournant en arrière, elle le porta sur celui sur lequel son corps étoit étendu ; elle l’y posa de manière que la place du petit fragment étoit presque perpendiculaire à celui du grand morceau. La tête alloit ensuite toucher alternativement l’un & l’autre de ces morceaux, & après plusieurs mouvemens de tte pareils, le petit fragment se trouva attaché sur le grand: d’où il paroît que dans chaque mouvement de tête, le bout d’un fil avoit été collé contre une des deux pièces, mais quoique l’eau fût claire & qu’elle eût peu de profondeur, Réaumur ne pouvoit, même avec la loupe, voir des fils dont l’existence n’étoit prouvée que par leur effet. La larve chercha ensuite un nouveau fragment de feuilles qu’elle eût bientôt trouvé; elle le colla encore contre le premier ou le plus grand, mais du côté opposé à celui où elle avoit collé le second. Continuant ainsi de couper des morceaux de feuilles, elle continua  ainsi de les attacher, soit à la grande pièce, soit aux petites ; & enfin elle parvint en peu de temps à faire une portion de fourreau capable de couvrir fa partie antérieure. Bientôt en répétant le même manège, elle étendit le même fourreau, & le mit en état de couvrir grossièrement tout son corps. Ce n’étoit pourtant encore là, à proprement parler, que le bâtis d’un fourreau; toutes les pièces tenoient peu ensemble, elles laissoient des vides entr’elles ; mais la larve étoit en état de le fortifier & de la mieux travailler. Elle pouvoir l’emporter par- tout où elle alloit. Il étoit trop large, son corps flottoit dedans. Pour le réduire à un diamètre plus convenable, après avoir coupé un petit morceau de feuille, elle le faisoit passer sous quelques- uns de ceux qui étoient assemblés, elle le faisoit glisser en-dedans du fourreau où elle l’assujettissoit ensuite. C’est une manœuvre qu’elle répéta plusieurs fois. Il y avoit des endroits où les morceaux de feuille ne se touchoient pas, & où il étoit resté de petits vides qui  laissoient voit le corps de l’insecte, il rapportoit & attachoit une petite pièce sur chacun de ces endroits. Outre les feuilles plates, Réaumur avoit mis dans le vase où étoit la larve, une branche d’une plante aquatique, dont les feuilles sont presque rondes, elles n’ont guère plus de diamètre qu’une épingle ordinaire, & elles l’égalent en longueur. La larve coupa plusieurs morceaux de ces feuilles.  Pour en couper un, elle n’avoit que deux ou trois coups de dents à donner, elle détachoit d’abord la pointe de la feuille  comme quelque chose d’inutile ; puis elle alloit la couper auprès de son pédicule, & transportoit sur le champ cette pièce longue & étroite. Elle attacha quelques-uns  de ces morceaux sur le fourreau, elle eu plaça d’autres autour de son ouverture antérieure, qui s’y croisoient. Enfin, quand tous les dehors du fourreau eurent  la forme, la solidité & les dimensions que la larve leur vouloit , elle travailla au-dedans , c’est-a-dire, qu’elle fila pour tapisser l’intérieur , un tuyau de soie bien solide, qui jusques-là n’avoir été qu’ébauché. Réaumur a vu encore plusieurs fois de ces larves travailler,  soit a se faire des habits neufs, soit à allonger les leurs, soit à les fortifier, soit a y ajouter des pièces, tantôt pour les alléger, tantôt pour les appesantir, dans les endroits où ils étoient ou trop pesans ou trop légers , & tantôt pour les mieux lester : tout ce qu’elles  ont pu faire voir , revenoit à quelqu’une des manoeuvres de la larve que nous venons de suivre.