L’accumulation énorme

E. Oustalet, « Recherches sur les insectes fossiles des terrains tertiaires de la France », Paris, Annales des Sciences Géologiques, 1870.

Certaines larves de Phryganes tout à fait analogues à celles qui vivent encore dans les eaux douces de la France centrale, ont constitué par l’accumulation  énorme de leurs fourreaux tout imprégnés de substance calcaire, une roche fréquemment répandue tant en Auvergne qu’aux environs de Montpellier (*)

Les larves vivent dans l’eau et sont renfermées dans des étuis tantôt mobiles, tantôt immobiles. Ces demeures consistent en des fourreaux soyeux recouverts de matériaux étrangers, tels que des bûchettes, de petites pierres, des fragments de coquilles ou même des grains de sable, et, chose curieuse, la même espèce emploie presque toujours les mêmes matériaux pour la construction de son étui. Ces larves sont pour la plupart polyphages, et respirent, soit par des appendices filiformes, soit par es stigmates.

(*) G. Planchon, Etude sur les tufs de Montpellier, 1864. – P. de Rouville, article n°3.p.10
(p. 96)

[…] elles se mettent aussitôt à fabriquer leurs étuis avec les matériaux caractéristiques de leur espèce. Ces matériaux consistent tantôt en brins d’herbe, en morceaux de bois ou en fragments de feuilles, tantôt en pierres ou en sable fin, tantôt en petites coquilles ; ils sont assujettis au moyen d’un fil soyeux que sécrète l’animal. Ce fil, en se durcissant à l’air, acquiert une extrême solidité, et constitue, à l’intérieur de l’étui, un revêtement qui est toujours parfaitement lisse, tandis que l’extérieur est souvent très-irrégulier. L’aspect du fourreau dépend surtout de la nature des matériaux qui entrent dans sa construction :ainsi les étuis formés de pierres, de coquilles et de sable sont en général plus réguliers que ceux qui sont composés de bûchettes ou d’autres matières végétales ; néanmoins certaines espèces construisent avec ces derniers éléments, disposés en hélice ou en verticille, des étuis de la plus grande régularité (ex. Phryganea varia). Mais en tout cas, les étuis doivent satisfaire à certaines conditions : ils ne doivent pas être trop pesants, parce que la larve ne pourrait les entrainer avec elle, et ils ne doivent pas être trop légers, car ils tendraient à soulever l’insecte à las surface de l’eau ; aussi l’animal a-t-il soin d’allier, dans une certaine mesure, soit des brindilles, soit de petits cailloux, aux matériaux constitutifs, afin d’alléger ou de lester sa demeure.
(p.98-99)

On a découvert à Oeningen un tube de Phrygane qui a été décrit et figuré par M. Heer ; il est constitué par des grains de quartz et des débris végétaux, et M. Heer l’attribue à une espèce éteinte qu’il désigne sous le nom de Phryganea antiqua . Mais c’est surtout aux environs de Montpellier, où ils ont été étudiés par M. Planchon, et dans la vallée de l’Allier, où ils ont été signalés pour la première fois par Bosc que les tubes de Phryganes fossiles acquièrent de l’importance. En effet, ces fourreaux ou induses, recouverts et soudés les uns aux autres par des concrétions stalagmitiques, sont assez nombreux dans cette région pour constituer une véritable roche sur une épaisseur d’un à deux mètres et sur une étendue considérable.
Après plusieurs autres époques, M. Lecoq, dans ses Epoques géologiques de l’Auvergne,  et sir Ch. Lyell dans son Manuel de géologie élémentaire, se sont étendus assez longuement sur les calcaires à Phryganes pour que je n’aie pas besoin de fournir de grands détails à ce sujet. L’illustre géologue anglais a même donné des figures d’un tube à Phrygane fossile ou induse, d’une des coquilles du genre Paludine qui entrent dans sa constitution et d’une espèce de Phrygane actuelle (Ph. rhombica), qui construit son fourreau avec des matériaux analogues. J’y renverrai le lecteur et je me contenterai d’ajouter que les échantillons de calcaire à Phryganes, tout en présentant une structure analogue, différent assez sensiblement suivant les localités : à Gergovia, par exemple, les tubes ont près de 25 millimètres de long sur 4 à 5 millimètres de large, et leurs parois ont 1 millimètre ½ à 2 millimètres d’épaisseur. Les petites Paludines qui entrent dans leur constitution ont 1 millimètre ½ de large sur 2 millimètres de haut ; elles ne sont pas disposées dans un ordre parfaitement régulier, mais plutôt enchevêtrées les unes dans les autres, de manière qu’il n’ y ait pas de place perdue. Les tubes sont presque toujours vides ; quelquefois cependant ils sont remplis partiellement par des couches concentriques de substance calcaire ; leur paroi interne n’est plus parfaitement lisse, elle est souvent recouverte de petites stalactites microscopiques qui la rendent un peu rugueuse ; enfin on n’ y rencontre aucune trace de l’animal qui les habitait. Aussi est-il plus que probable que le fourreau était déjà abandonné par la larve lorsque s’est produit le phénomène d’incrustation. Quoique cette espèce ne nous soit connue que par la demeure de sa larve, je proposerai de la désigner, pour plus de commodité dans les descriptions sous le nom de Phryganea Corentiana Nob.
L’aspect du calcaire à induses du château de Chavroches (Allier), dont M. Alph. Milne Edwards a bien voulu me donner un échantillon, rappelle beaucoup celui de certains tufs calcaires. La roche est moins silicieuse, moins dure que celle de Gergovia, et s’égrène assez facilement sous les doigts. Avec un peu de précaution, on peut même séparer les petites Paludines qui entrent dans la composition des tubes et dont le test est à peine altéré ; je crois que ces coquilles constituent une espèce distincte de celle de Gergovia. Ces fourreaux sont également vides et présentent à peu près les mêmes dimensions qu’aux environs de Clermont, savoir : 30milimètres pour la longueur, 5 pour la largeur et 2 à 3 pour l’épaisseur des parois. En raison des différences de structure qu’offrent leurs étuis respectifs, je crois qu’il y a lieu de séparer, au moins provisoirement, l’espèce de Phrygane des environs de Saint-Gérand de celle des environs de Clermont, et de l’appeler, par exemple, Phryganea Gerandiana Nob.
(p. 100-102)