Christian Pilleul, Connaître les insectes en dix leçons, Paris, Hachette, 1979, p. 220.
Les phryganes
Il est normal que des brindilles ou des morceaux de feuilles flottent à la surface de l’eau ou soient emportés par un léger courant. Nous ne prêtons guère d’attention à ces sortes de débris végétaux. Mais notre manque d’intérêt se transforme très vite en stupéfaction lorsque, brusquement, nous apercevons l’une de ces épaves présenter une troublante apparence de vie.
Étonnés, nous regardons de plus près et constatons que cet étrange phénomène n’est pas un cas isolé. Disséminés en divers points de la rivière ou de l’étang, d’autres petits bouts de bois semblent chercher à se mouvoir. Certains même, plus minuscules, apparaissent comme agglomérés les uns aux autres. On imaginerait de fragiles chaloupes partant à la dérive.
Plus de doute, une fois encore, nous nous trouvons en face d’une curiosité de la nature. Pour élucider ce mystère, recueillons quelques-uns de ces surprenants esquifs en perdition.
Nous ne nous étions pas trompés. Chacune de ces embarcations transporte un petit animal qui, apeuré, se recroqueville à l’intérieur de l’habitacle. Nous ne pouvons rester indifférent devant ce bizarre rafiot dont la construction est en totalité l’œuvre de son propriétaire.
En fait, ces sous-marins des eaux douces ne sont que des bâtiments de fabrication artisanale réalisés par les larves des phryganes. Vulnérables dès leur naissance en raison de la fragilité de leur abdomen extrêmement mou, ces insectes sont à la merci de tous les prédateurs qui hantent le milieu aquatique. Aussi, pour se protéger contre leurs cruels assauts, ils bâtissent de leur bouche, avec une étonnante ingéniosité, ces longs fourreaux protecteurs dans lesquels ils logent en permanence.
Toutes les phryganes ont ce don inné pour l’architecture, mais elles possèdent, selon les espèces, des styles différents et elles utilisent une grande variété de matériaux. Ne soyons pas surpris, par conséquent, si nous découvrons d’autres petites barques fabriquées avec des feuilles, des grains de sable ou des coquillages.
En majorité carnassière, bien que certaines variétés plus pacifiques ne se nourrissent que de végétaux, les phryganes rampent sur le fond ou naviguent la tête et le thorax hors de leur scaphandre à la recherche des animalcules dont elles sont friandes. Nous les verrons se mouvoir lentement prêtes à réintégrer leur logement nautique à la moindre alerte avec une brutale vivacité. Leur tempérament bâtisseur les oblige bien souvent à construire sur les rochers ou autres matières solides de petites loges nymphales afin d’y accomplir en toute sérénité leur métamorphose.