Le goût et la fantaisie

Père Noël Regnault, Les entretiens physiques d’Aristide et d’Euxode, ou Physique nouvelle en dialogues, qui renferme précisément ce qui s’est découvert de plus curieux & de plus utiles dans la nature, Paris, J.T., 1750, p.220-221.

Ariste.
Non : parmi les Teignes aquatiques , il yen a par exemple, qui sçavent se faire un fourreau de grains d’un sable très-fin ; d’autres arrangeront des parcelles de feuilles avec tant d’art que vous diriez qu’elles ont roulé un ruban verd sur leur fourreau pour lui servir de parure.
Quant les Teignes aquatiques auroient étudié la méchanique & l’Hydraulique pendant tout le cours de leur vie, elles ne feroient pas plus habiles dans l’art de nager. Si leur habit est trop léger, elles sçauront le charger d’une petite pierre pour le rendre plus pesant. Est-il trop pesant ? Un brin de roseau le rendra plus léger. Plusieurs se font des habits de coquilles de petites mouches vivantes, ou de petits limaçons vivants.
Eudoxe.
C’est leur goût, leur mode.
Ariste.
Les goûts & les modes ont, ce semble, un peu plus de consistance & varient moins parmi ces petits insectes que parmi nous.
Enfin, selon les observations, les Teignes aquatiques se métamorphosent en nymphes & deviendront autant de mouches à quatre aîles.
Eudoxe.
Mais comment se confectionneront-elles dans le temps de la mue ? Si elles ferment les bouts de leurs fourreaux, elles seront étouffées ayant besoin d’eau pour respirer ; s’ils sont ouverts, elles seront dévorées dans un temps de faiblesse par des insectes voraces.
Ariste.
Oh, les petites Teignes sçauront, sans perdre le temps à raisonner, prévenir l’un & l’autre inconvénient. Elles feront aux extrémités de leurs fourreaux une espèce de grille qui laissant entrer l’eau, fermera l’entrée à leurs ennemis. Ainsi, sans manquer de rien, les petits animaux seront à couvert des insultes.
Enfin, plus on les observe, ces petits animaux, plus ils semblent le mériter. Quelquefois la Teigne aquatique se fait un fourreau de très-petites coquilles, & ces coquilles, dont la Teigne s’habille, contiennent chacune leur petit animal vivant. L’on voit bien des hommes revêtus de dépouilles d’animaux mort : mais aviez-vous vû, que dis-je ? eussiez-vous imaginé un animal, un vil insecte, qui non-seulement sçût se faire un habit, mais dont le goût & la fantaisie fût de se vêtir d’autres animaux vivants aussi-bien que lui ?