Traînant derrière elle sa voiture

Léon Senden, Drames et Idylles de l’étang traduit du flamand par Léon Breckx
Paris, Bruxelles, Durand, Lethielleux, 1937.

Décidément ce nom de « bêtes à fagots » n’est pas mal trouvé (d’ailleurs « phryganidae » signifie : bêtes-brindilles). Chaque larve porte un fagot en miniature où elle s’abrite soigneusement ; le premier coup d’œil sur ces brindilles vivantes nous ravit : leur tête mignonne sort de l’écrin avec tant de coquetterie, qu’on les compare involontairement à des demoiselles, fières de leur précieuse pelisse. Ce fourreau est confectionné avec le matériel le plus fantaisiste et le plus varié ;

Il faut avouer que ces larves blanches sont débrouillardes. Parfois elles exagèrent un peu, au risque d’être bizarres et contraires au bon goût classique : des feuilles difformes, des branches rongées et des éclats de bois, s’y trouvent joints comme à contre-cœur. Mais il y a aussi des artistes parmi elles, faisant preuve d’un sens esthétiques raffiné : une mosaïque de petits escargots à coquillages à cornet, arrangée avec une maîtrise impeccable. A côté de la caricature le chef-d’œuvre, à côté de fagots informes, de merveilleux écrins de coquillages.
Les matières dont ils se servent pour la construction de leur retranchement sont de tout les genres : les racines et les tiges de plantes aquatiques, des joncs, les semences d’iris, les coquilles abandonnées…voire même le sable. Il n’y que les pierres qui n’ont pas leur sympathie : cela pèse trop ! Un jour, Fabre eut la lumineuse idée de mettre à leur disposition des grains de riz : le lendemain toutes ses hôtes étaient retranchées dans une magnifique tour d’ivoire.
Ces merveilleux étuis, qu’ils sont maçonnés solidement : ils résistent parfaitement au choc et à la pression des doigts, permettant ainsi à leur locataire de traverser, indemne des aventures où, sans cette cuirasse, il laisserait une peau…trop tendre ! Notre cénobite sait joindre l’utile à l’agréable : à part la cellule, il ne dispose d’aucun moyen de défense.
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Sa philosophie lui dicte de construire une nouvelle habitation : elle s’empresse d’obéir à ce bon instinct.
Le matériel de construction ne manque pas au fond de la mare : elle a l’embarras du choix.
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L’étui s’allonge de plus en plus : après quatre heures environ il atteint les dimensions voulues. La maison est couverte : les spécialistes viendront y mettre la dernière main, pour donner le fini.
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C’est au fond que l’ouvrage sera terminé. Les parois internes sont trop grossières, les saillies trop aïgues : la larve tapisse son palais, non de coton vulgaire mais d’excellente soie.
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Elle peut recommencer ses excursions lentes au fond de la mare, traînant derrière elle sa voiture, et faire bonne chère de tiges juteuses et de tendres feuilles.