Ma fille

Alfred Smee, Mon jardin, traduction Edmond Barbier, Paris, Librairie G. Baillière, 1876, p.492-494.

Un sous-odre de Névroptères, qui a reçu le nom de trichoptère, contient des insectes forts utiles, en ce sens qu’ils servent de proie à la truite. A l’état de larve (fig.1060a –Vers de pailles-larve), ils vivent dans l’eau et on les appelle alors vers de paille ; à l’état parfait (fig. 1060b –Vers de paille), ils sont pourvus d’ailes. Ils sont très recherchés par les truites dans les deux états. A l’état de larve ils habitent une jolie demeure qu’ils construisent avec des petits morceaux de bois, des coquillages, d’autres matières choisies avec soin, selon la force du courant où ils habitent.
Ma fille éprouva tant d’intérêt à voir ces petites créatures dans leurs étranges demeures, circuler au fond des petits ruisseaux, que j’en fis prendre un assez grand nombre pour les étudier avec plus de soin. On expulsa les vers de leurs demeures et chacun d’eux fut placé dans un bocal plein d’eau avec les matériaux nécessaires à la construction de sa maison. Tous se mirent immédiatement à l’ouvrage pour se construire une nouvelle demeure (fig. 1061-Demeures des vers de paille).
En mettant à la disposition de chaque ver une seule espèce de matériaux, ma fille les empêcha de faire un choix et les força ainsi à construire des maisons avec une variété considérable d’objets. Ainsi par exemple, elle obtint de charmantes maisons faites avec des fragments de verre coloré, d’améthyste, d’agate, d’onyx, de corail, de marbre, de coquillages et d’écailles. Les petits animaux auxquels elle donna des morceaux de cuivre, ou de feuille d’or ou d’argent, semblaient fort étonnés et ne savaient guère que faire, et, dans ces derniers cas, ils ne produisaient que des maisons très irrégulières. Avec du corail, ma fille obtint une charmante maison ressemblant à une petite corbeille. Les vers ne purent se servir ni des morceaux d’ardoise, ni des morceaux de charbon, ni de briques, ni de cuivre, ni de plomb. Si on leur donne du bois résineux, ils meurent immédiatement
A une antique période géologique, ces vers étaient si communs que l’on trouve en France des collines entières composées des restes de leurs demeures (fig. 1062-Demeures de vers de paille fossiles).