Paul Vignon, Introduction à la biologie expérimentale, Paris, Paul Chevalier, 1930, pp.136-137.
Je passe à la demeure des larves de Phryganes. Il s’agit cette fois de tout autre chose, quoique les animaux soient zoologiquement très proches. Voici l’affaire.
La femelle de Phryganea grandis a plongé sous les eaux jusqu’à trois quarts de mètres pour déposer ses œufs. Les larves vivent d’abord sur le fond, parmi les Charas dont elles- commencent par employer les brins à la confection de leurs tubes. S’élevant ensuite à la zone des Potamots, elles rampent sur les tiges, ainsi que sur les feuilles dont elles utilisent maintenant les lanières. En janvier elles retournent au fond et se servent des débris végétaux tombés des rives. Et toujours notre larve dispose les matériaux en spire : c’est une bande hélicoïdale dont l’enroulement compose l’étui. La hauteur de la bande autrement dit la longueur des fragments employés va croissant tant que la larve grandit elle-même, pour se fixe ensuite à 8 ou 10 millimètres. La bestiole (fig. 197) avait utilisé d’abord des brins de 2 à 40 millimètres dont elle ne faisait entrer qu’une longueur très faible dans la constitution de l’étui ; le surplus dépassait : hérissant, couvrant le tube ; la larve plus âgée bâtit au contraire avec toute la longueur des brins qu’elle se procure. Figure 198, l’on voit les Potamots succéder aux Charas : après quoi la spirale prend la netteté que montre la figure 199. Mais comment la bête incorpore-t-elle ses brins à la spirale. Examinez la figure 199 et considérez le dernier brin mis en place. Il est joint au précédent tour de spire par un triangle, fait de soie : ajoutant constamment au triangle, la larve tisse un cylindre qui progresse, et sur quoi les brins sont appliqués. – L’idée est simple ?- Pas si simple : songez-y. Et il aura fallu l’avoir.
Par quoi la longueur des brins est-elle réglée ? Rappelez-vous : tant que la larve grandissait, cette longueur allait croissant, et puis elle restait fixe. Eh bien il semble que pour auner la longueur du brin qu’il s’agit de couper sur la plante l’animal soit porteur d’une mesure. Cette mesure doit correspondre à la longueur de l’arc que la tête peut décrire, quand après s’être courbée ventralement le plus possible, elle se remet dans le prolongement du corps. La longueur de l’arc serait bornée par une certaine corne (fig. 200, x) poussée à la partie inférieure du prothorax, et contre quoi la tête, en s’abaissant, viendrait buter. Du moins n’a-t-on pas découvert d’autre rôle à cette corne, sans équivalent connu chez les Insectes… Il y aurait donc là un organe crée, sans équivalent expresse de l’instinct(1).
Wessenberg-Lund note que, d’une part, l’on ne trouve de spirales que dans la Famille des Phryganidés, ou, parmi les Leptoceridés, dans le genre Triaenodes, et que, d’autre part, il y a bien des Phryganidés dont les tubes ne sont pas en hélice. Phr. Striata construit une spirale moins belle que Phr. Grandis. Chez Phr. Minor les matériaux sont placés souvent sans régularité aucune. Phr. Varia habite fréquemment les tiges creuses des Phragmites et des Equisetum, sans avoir nul souci des tubes spiraux. Agrypnia pagetana ne fait d’étuis en hélice que pendant les premiers temps de la vie larvaire, pour aller loger ensuite dans les tiges creuses des Phragmites… Pourquoi ces variations dans l’instinct ? Elles seraient en rapport avec les habitudes plus ou moins carnassières des larves. Les étuis spiraux offrant le maximum de solidité, à qui veut laisser à ses mouvements toute leur souplesse : c’est ainsi que les larves du genre Triaenodes vont jusqu’à pouvoir nager sans quitter les étuis. – Donc on a des besoins, des idées de déplacement : alors on se met à bâtir des tubes spiraux. Telle est la logique profonde de l’instinct. Je ne vois pas que l’on nous dise ce que la corne prothoracique devient chez les bâtisseurs médiocres ou chez les hôtes des tiges creuses qui n’ont rien à mesurer ?