Une incorrigible voleuse

Révérend J.G. Wood, Les architectes de la nature, adaptation française d’ Hippolyte Lucas, Paris, Furne, Jouvet & Cie, 1870.

Le temps fait éclore les œufs, et les jeunes larves commencent alors à construire les maisons qu’elles doivent habiter. Ces maisons sont bâties de matériaux divers, et les formes en sont variées. Non-seulement chaque espèce a sa forme particulière, mais encore les individus d’une même espèce bâtissent des logis bien différents. Les matériaux du nid dépendent grandement de la localité ; le style le plus commun de cette architecture consiste en un petit nombre de morceaux de bois et de tiges de gazon posés longitudinalement les uns sur les autres, à la manière des faisceaux qu’on portait devant les consuls romains. Ces créatures demandent une légère courbure à leurs petits morceaux de bois.
Une autre case de demoiselle est faite dans la tige creuse d’une plante apparemment la ciguë, à laquelle sont attachés quelques morceaux d’écorce de plantes. Quelques cases sont entièrement composées de feuilles, appartenant sans doute à l’épine blanche, d’autres sont mélangées de bûchettes et de feuilles, ces matériaux occupant en général les bouts opposés de la maison. Il est une autre espèce de case, composée de beau gazon ayant l’apparence de débris de foin tombés dans l’eau pendant la belle saison ; ces matériaux sont croisés en travers comme les aiguilles d’une tricoteuse de bas ; la plupart des cases se tiennent en équilibre sur une pierre.
Viennent ensuite des cases composées de petites écailles, et de menues coquilles. La demoiselle est une incorrigible voleuse ; elle s’empare de toute coquille à son gré, sans s’inquiéter des possesseurs : il n’est pas rare de trouver quatre ou cinq spécimens vivants de Planorbis ou de Limnées adhérents à la case d’une larve de demoiselle et d’en voir les habitants s’attacher aux plantes et essayer de se pousser dans une direction, tandis que les demoiselles se poussent dans une autre. Dans ces cases, le corps cylindrique offre un mélange de sable et de petits fragments d’écailles, unis ensemble avec un ciment à l’épreuve de l’eau, et les écailles sont attachées à l’extérieur par leur côtés plats.
Les larves des demoiselles vivent avec sécurité dans leurs maisons sous-aquatiques, car la tête et le haut de leur corps sont armés d’une substance cornée, et leur doux et blanc abdomen est protégé par le fourreau qu’elle se font.