Les premières illustrations de Trichoptères

Lazare Botosaneanu & Peter. C. Barnard, « The earliest illustrations of Trichoptera », traduction de l’anglais par Jacques Demarcq, Proceedings of the 8th International Symposium on Trichoptera, Columbus (Ohio), Ohio Biological Survey, 1997, p. 49-52.

Bien que les Trichoptères aient été identifiés et nommés dès l’œuvre d’Aristote, il faut attendre la Renaissance pour les voir illustrés. Ce qui suit est un bref recensement des illustrations de Trichoptères que nous avons trouvées sur des livres manuscrits ou imprimés.
Pour ce qui concerne les adultes, la première illustration connue est due à Georg Hoefnagel dans un livre imprimé à Frankfort en 1592. Hoefnagel était un célèbre miniaturiste d’Anvers ; il n’a rien publié lui-même, mais il a préparé un magnifique codex manuscrit de dessins et d’aquarelles sur des sujets d’histoire naturelle, à l’intention de l’empereur romain-germanique. Son fils Jacob a publié en 1592 une première édition des dessins de son père, représentant des insectes pour la plupart, et considérés par Herman Hagen (1862-63) comme les premières illustrations entomologiques valables. Dans cette Archetypa Studiaque Patris Georgii Hoefnagelii Jacobus Filius… (Hoefnagel 1592), on trouve sur la planche 3 (une gravure sur cuivre, ainsi que les autres) la première illustration jamais publiée d’un trichoptère adulte (fig. 1). Il s’agit très problablement d’un phryganéide, sous doute du nord de l’Allemagne, mais le livre ne contient ni description ni légende. En 1630, Jacob Hoefnagel publia à Anvers ou Amsterdam une seconde édition sous le titre Diversæ insectorum volatilium icones… (Hoefnagel 1630). Les insectes représentés sont en général les mêmes que dans la première édition, les gravures sur cuivre présentant simplement de légères différences. On trouve ainsi sur la planche 7 une probable représentation du même trichoptère (fig. 2) et sur la planche 14 l’image inversée de l’illustration de la première édition. La première image publiée, d’après des dessins antérieurs au xvie siècle, date donc de 1592.
En 1602, Ulysse Aldrovandi, le célèbre naturaliste italien, publia à Bologne la première édition de son magnifique grand œuvre, De animaliobus insectis… (Aldrovandi 1602) qui est richement illustré de gravures sur bois. On trouve page 763 dans les Paralipomena (Additions), une image qui représente sans aucun doute possible un trichoptère (fig. 3). Il y a une brève description de cet insecte : sa forme, le fait qu’il soit à l’évidence grand, et l’indication « corpus totum est ferrigineum » (tout son corps est de couleur rouille) incite à penser qu’il pourrait s’agir d’un Stenophylax, probablement d’Italie. Bien qu’il l’ait placé dans son Perlarum, Aldovrandi reconnaît avec honnêteté qu’il ne sait rien de la vraie nature de cet insecte.
Plus tard au xviie siècle, un naturaliste et hydrobiologiste enthousiaste de Strasbourg, Leonhardt Baldner (qui se décrivait modestement comme un pêcheur et un chasseur) a réuni ses observations sur la faune du Rhin supérieur dans un manuscrit intitulé Vogel-, Fisch- und Thierbuch. Il en existe plusieurs exemplaires ; nous avons consulté celui de Londres daté de 1653 et celui de Kassel (1666) ; il y en a d’autres à Strasbourg et aux États-Unis. Les illustrations y sont magnifiquement rehaussées à la gouache par J. G. Walther. On trouve page 266 du manuscrit de Kassel un insecte légendé « Ein schwartzer Feüerstehler » qui pourrait être un trichoptère du Rhin supérieur, sans doute un séricostomatide (fig. 4), bien qu’il ait été interprété par G. Lauterborn (1903) comme « Sialis fuliginosa Pictet ? » (Mégaloptère). Il n’y en a hélas aucune description, alors que dans le manuscrit beaucoup d’autres insectes en ont une avec leur biologie.
Passons aux larves et à leurs étuis. On en trouve la première illustration dans les gravures sur bois de l’ouvrage d’Aldrovandi (1602), mais l’affaire est assez compliquée. Il y a dans le texte la description de deux larves appelées « Phryganium » et « Ligniperdam aquaticam » qui renvoient aux illustrations de la page 306. Mais à cette page, au chapitre « De Xylophthoro » (Sur les porte-bois), se trouve un ensemble de dessins dont la plupart sont clairement des larves de Lépidoptères dans leur étui. Par chance, il y a dans le texte une référence explicite à la figure 4 disant que de petites coquilles bivalves sont employées pour construire l’étui (« conchulæ patellarum… magnitudine & figura lentis »). Il s’agit à l’évidence d’une larve de Trichoptère dans son étui (fig. 5), certainement un Limnephilus et probablement un Limnephilus flavicornis (F.). Sur la même page que le possible Stenophylax adulte, parmi les figures groupées en haut, il en est quatre qui sont assurément pertinentes. Deux (fig. 6 a et b) sont décrites comme des larves de Trichoptères (« Xylophthori aquatici ») dont l’étui a été enlevé et représentent soit un phryganoïde soit un limnéphilide. Les deux autres (fig. 7 a et b) sont dites représenter la même espèce avec et sans son étui. Il pourrait s’agir d’un Molanna bien que ce genre ne soit pas aujourd’hui répertorié en Italie. Cette représentation de larves enlevées de leur étui constitue sans doute la première manipulation expérimentale de Trichoptères.
Le livre de Thomas Moufet Insectorum sive minimorum animalium theatrum a été publié à Londres en 1634 (en latin) et en 1658 (en anglais), bien que Moufet soit mort en 1604. Son manuscrit datait des années autour de 1590 ; tout comme le livre il a une histoire compliquée rapportée ailleurs (cf. Swann 1973). Plusieurs auteurs ont collaboré à l’ouvrage, dont Thomas Penny, Edward Wotton, et Theodore de Mayence ; il est également possible que Conrad Gesner, mort en 1565, y ait été associé de quelque façon. Deux gravures sur bois nous intéressent. Page 320 de l’édition latine (p. 1125 de l’édition anglaise), on trouve mélangée à des larves de Coléoptères une larve qui paraît plutôt celle de la Ryacophyla (fig. 8). Dans l’édition anglaise elle est décrite comme « apparemment cruelle […] d’une couleur cendreuse » qui peut se rapporter à la Ryacophyla mais aussi à une larve de dysticide ou de coléoptère hydrophilide, cette dernière étant plus probable. Toutefois, sur une planche additionnelle placée à la fin de l’édition latine de 1634, il y a une évidente larve de Trichoptère dont l’étui est couvert de coquilles de Pisidium (fig. 9). Elle n’est ni nommée ni décrite, mais sur le manuscrit original, le dessin à partir duquel la gravure a été préparée est légendé « squilla testacea ». C’est clairement un Limnephilus, peut-être un Limnephilus flavicornis, que l’éditeur a arbitrairement associé à d’autres insectes, ainsi qu’avec des mille-pattes et des hippocampes ! L’image ressemble beaucoup au Limnephilus d’Aldrovandi (1602), même si la gravure de Moufet a été réalisée par un meilleur artisan. Bien que l’image d’Aldrovandi ait été publiée plus de trente ans avant celle de Moufet, plusieurs questions restent en suspens. Ces deux gravures n’ont-elles pu être réalisées à partir du même dessin original ? Qui était le dessinateur dans l’un et l’autre cas ? Quand ces dessins ont-ils été faits ?
Revenant aux manuscrits de Leonhardt Baldner (1653, 1666), il s’y trouve deux belles peintures. L’une, présente seulement p. 260 du manuscrit de Kassel, est légendée « Ein Rohrzwerch » (un nain à pipe, fig. 10) et représente incontestablement un phryganéide — peut-être Phryganea grandis L. ou Oligotricha striata (L.). L’autre, présente dans les manuscrits de Londres et de Kassel avec de légères différences entre les deux versions, est nommée « Ein Holtzzwerch » (un nain à bois, fig. 11) ; c’est clairement une Anabolia, peut-être Anabolia lævis (Zetterstedt).
Tel est ce que nous ont laissé les xvie et xviie siècles quant à l’iconographie des Trichoptères. On trouvera davantage d’illustrations en se plongeant dans la multitude d’ouvrages d’histoire naturelle apparus au xviiie siècle. Il est notable que dans tous les livres et manuscrits ici mentionnés, il n’a jamais été tenté de rapprocher les larves de Trichoptères des adultes, bien qu’Aldrovandi y soit quelquefois parvenu s’agissant de Lépidoptères. Il semble que le premier auteur à avoir correctement compris la relation entre la larve, la nymphe et l’adulte chez les Trichoptères (en dépit de quelques confusions avec des larves de Lépidoptères à étui) soit Caspar Schwenckfeld dans son Theriotropheum Silesiæ non-illustré publié en 1603. Même dans le célèbre The Compleat Angler (Tout pour le pêcheur, Walton 1653), Izaak Walton, dont les connaissances en histoire naturelle étaient loin d’être purement théoriques, croyait que « la mouche de mai [l’éphémère]… est le produit de la larve de phrygane » !