A. Paulin-Desormeaux, Les amusements de la campagne tome second, Paris, Audot, 1826.
Il existe un ver amphibie qui le tirera de peine, peu connu des naturalistes dont il mérite cependant toute l’attention, le chênefer ou porte-bois est en grande renommée chez la gente piscatoriale, il mérite sa réputation ; c’est le meilleur appât qu’on puisse offrir aux gardons, aux vandoises, aux brèmes ; il n’est pas dédaigné des autres poissons ; le barbillon, le meunier, la perche icthyophage elle-même, le trouvent souvent digne d’être mangé. Je dois remplir une lacune qui existe dans l’histoire naturelle de cet insecte précieux pour la pêche.
On distingue deux espèces de chênefer, le porte-bois, les hérissons, assez dissemblables pour pouvoir être classés à part, quoique peut-être les uns sont des mêles et les autes des femelles, je ne les ai jamais étudiés que sous le rapport de la pêche. Suivant les localités, suivant les températures des eaux, les chênefers paraissent ou plus tôt ou plus tard ; on commence à en trouver dans le mois d’avril, ils sont encore petits ; ils durent jusques en juillet et quelques fois plus tard.
Le pêcheur qui veut en faire provision, doit se munir d’un sac de grosse toile pour les mettre, et aller se promener le long des ruisseaux ombragés par de grands arbres. Le nom de chênefer semblerait indiquer qu’on les trouve plus particulièrement dans les lieux plantés de chênes ; mais j’ai remarqué qu’on en trouve autant sous les aulnes, sous les ormes et même sous les peupliers. Penché sur l’eau, le pêcheur regarde attentivement s’il ne verra pas au fond de l’eau, entre les roseaux, et le long même de leurs tiges, entre deux eaux, des petits morceaux de bois, longs d’un pouce à peu près, noirs, pourris et paraissant souvent attachés deux à deux, ou même parfois trois ensemble, d’inégale longueur et de forme très-variées ; plongeant ses bras dans l’eau, il ramassera ces morceaux de bois ; s’il a pris un chênefer, il le reconnaîtra aisément en cassant ce morceau de bois. Il existe, collé après, un petit étui de la grosseur du tuyau d’une petite plume d’oie, qui sert de demeure au ver. Quelques pêcheurs ont pensé que cet étui n’était autre chose que l’écorce roulée d’un petit morceau de bois dans lequel le ver s’était logé ; et je ne le pense pas, je pense que cet étui est formé par un tissus compose d’un grand nombre de fils de même nature que ceux dont sont formés les éponges marines. En regardant attentivement, le pêcheur reconnaît de quel côté se trouve la tête de l’animal ; surtout s’il déchire un peu de l’étui , le ver à l’approche du danger, s’y renfonce et s’y ramasse ; mais en enlevant encore une autre partie de cet étui, on découvre un point noir qui est la tête et qu’on saisit entre le pouce et l’index ; on tire alors le ver de sa demeure, malgré la résistance assez forte qu’il oppose…. /….
…/….Si après avoir tiré un chênefer de l’eau on le laisse sur le rivage exposé au soleil ou au hâle, on voit le ver sortir la tête de sa coque, allonger ses pates, se cramponner aux objets environnants, et regagner l’eau assez promptement ; une fois qu’il a atteint cet élément il devient plus agile, parce qu’alors le bois qui l’environne est porté par l’eau.
Lorsque le bois est trop léger et qu’il ramènerait l’insecte sur l’eau malgré lui, le chênefer a reçu de la nature l’instinct de calcul à l’aide duquel il rectifie l’erreur qu’il a commise en s’attachant après un trop gros morceau de bois, ou bien après un morceau de bois trop neuf pour être facilement traversé par le liquide ; il attache un petit caillou sous son bois, et si ce poids ne suffit pas encore il lui en adjoint un autre ; si ces deux cailloux sont trop lourds, il attache après son enveloppe un nouveau morceau de bois jusqu’à ce que le tout soit en équilibre et ne pèse rien relativement à l’eau dont il est environné ; il paraît que le chênefer peut filer une espèce de soie avec laquelle il lie les objets, mais qu’il n’est pas en son pouvoir de délier ; c’est ce qui fait qu’on trouve quelques fois des chênefers ayant une très grosse maison ; sans que l’insecte soit pour cela plus gros qu’un autre dont la maison est plus petite.