La plus hétéroclite des constructions

Marcel Piponnier, Le petit peuple des ruisseaux, Paris, Bourrelier, 1937.

La plupart des larves l’utilisent pour construire autour d’elles un tube entourant leur corps. Des espèces de petites tailles se contentent de cet abri transparent, aux formes inattendues, souvent élégantes. Des filaments d’algues vertes, appliquées en une spirale très régulières, peuvent cacher entièrement le fourreau : ornement ? réserve alimentaire ? ou maquillage protecteur ?

Au fur et à mesure qu’elles construisent, alors que la soie est encore gluante, les grosses larves fixent sur leur tube des ornements de toute nature : sable ou graviers, bûchettes, coquilles vides ou habitées, feuilles ou graines. Tout cela est attaché solidement, soit en long, soit en travers, donnant souvent la plus hétéroclite des constructions. Ailleurs, au contraire, des tiges vertes, choisies de même calibre puis coupées de même longueur, sont disposées suivant une impeccable géométrie.
Dans les eaux dormantes seront utilisées des débris de plantes. Des morceaux de l’écorce du saule donnent un liège léger ; il permet de quitter le fond pour grimper lestement aux plantes submergées, mais il faut tenir bon car, l’appui lâché, la malheureuse larve flottera des heures, retenue par sa bouée ; elle restera exposée aux convoitises de tous les voraces, jusqu’à ce que le vent, la poussant vers les herbes de la rive, lui permette de s’agripper pour regagner le fond.
Une espèce découpe dans les feuilles mortes des écussons réguliers qu’elle dispose ensuite come les tuiles d’un toit, sur les deux faces de son tube plat, totalement invisible tant qu’elle ne bouge pas.
Dans l’eau courante, les larves du ruisseau choisissent des grains de sable qu’elles ajustent en mosaïque ; parfois des graviers plus gros, et même de petites pierres, alourdissent le tube, qui résiste mieux aux remous.


Comment traîner cette encombrante maison. Il faut d’abord l’accrocher à soi. Pour cela l’abdomen se termine par deux moignons, deux fausses pattes, armées chacune d’une très forte griffe. Ces grappins de corne brune, parfois doubles, sont plantés dans la soie qui tapisse le tube. Notre charpentière traîne ainsi son étui comme le Bernard l’Ermite de nos plages remarque la coquille où se cramponne un fragile abdomen.
Que d’incidents sur la route encombrée ! Il y a le fourré où le tube, hérissé de bûches, se bloque sans remède. Il y a le Dytique affamé dont les mandibules disloquent peu à peu le fragile revêtement. Vite, la Phrygane abandonne sa demeure, sortant par l’orifice le moins menacé. Elle se cache de son mieux pendant que le pirate stupide et myope s’acharne à éventrer le fourreau vide. Puis, le danger écarté, ne semblant pas se soucier de la construction abandonnée, elle ne tarde pas à entreprendre l’édification d’un nouvel abri.
Exposés pendant la marche hors de l’abri du fourreau, la tête, le thorax et les pattes sont protégés par un revêtement corné brun. L’abdomen, blanc et mou, est animé d’ondulations régulières qui créent, autour de lui, un courant d’eau. Les filaments argentés qui couvrent l’abdomen sont les branchies puisant l’oxygène apporté par ce courant d’eau renouvelée. Trois mamelons du premier anneau de l’abdomen évitent l’écrasement des filaments fragiles contre le fourreau.
A côté de ces charpentières vagabondes , d’autres Phryganes ne construisent pas de fourreau mobile.