Elles tâtonnent longtemps avant de se décider

G. Planchon, Etudes des tufs de Montpellier au point de vue géologique et paléontologique, Paris, Salvy, 1864.

La plupart de ces animaux ne laissent aucune trace de leur passage ; d’autres se construisent des abris qui persistent longtemps après eux ; c’est ainsi qu’une larve de phryganide, que j’ai découverte dans cette localité, s’y établit dans des tubes immobiles, rapidement incrustés par les tufs, et donnant aux blocs qui les contiennent uns structure tubulaire très spéciale.

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Je n’ajouterai qu’une espèce à cette liste : c’est une phryganide du genre Rhyacophila, dont les larves ont formé les tube serpuliformes qui caractérisent certains blocs de nos massifs.

Ces tubes se trouvent englobés dans la masse de la roche ; quelquefois isolés, ils sont le plus souvent groupés ensemble et même enchevêtrés les uns dans les autres. Leur forme est variable ; les uns sont presque droits, d’autres légèrement recourbés, la plupart sinueux. Ouverts à une extrémité, ils se terminent à l’autre en cul-de-sac. Leurs parois ont une structure toute spéciale : elles sont formées d’un nombre variable de couches qui sont fendillées en tous sens, comme si elles avaient subi l’influence d’un retrait.

L’origine de ces tubes m’a longtemps intrigué. Ils ne ressemblent pas à des moules de racines, comme l’on voulu Marcel de Serres et M. Taupenot, et , il y a six mois, je ne connaissais aucun travail d’insecte à leur comparer. Je les aurais volontiers rapprochés des Induses, observées par M. Lecoq dans les terrains tertiaires de l’Auvergne, si la structure différente des parois ne m’avait éloigné d’une pareille idée. Je ne prévoyais donc pas le moyen de résoudre ce problème lorsque, étudiant la formation des tufs dans le parc de Castries, j’eus la bonne fortune de trouver tous les éléments de la solution. Je vis sur les parois des cascades des tubes glaireux, transparents, servant d’abris à une larve de Phryganide. Ces tubes, en s’incrustant de calcaire, prenaient peu à peu le structure de ceux de nos tufs, et finissant par leur être en tout comparables. J’en conclu naturellement qu’une espèce très voisine de celle de Castries ; probablement la même existait autrefois dans la vallée du Lez, et que ses larves y construisaient de nombreux abris, englobés aujourd’hui par les tufs.

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Les larves qui se construisent ces tubes ne peuvent vivre dans une eau tranquille. Leurs habitudes, la manière dont se forment les couches concentriques de leur abri, exigent des eaux courantes.

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Les tubes semblent d’abord formés d’une espèce de glaire parfaitement transparente, à travers laquelle on peut suivre tous les mouvements de la larve ; mais ils s’incrustent peu à peu par l’action de l’eau calcarifère où ils sont placés. Il se forme d’abord de petites plaques polygonales, irrégulières, qui s’appliquent directement sur la paroi intérieure ; puis de nouvelles couches, exactement semblables à la première, se placent au-dessus d’elle, et le tube présente après quelque temps l’apparence de ceux que nous avons rencontrés dans les tufs anciens.

La larve n’abandonne guère l’abri qu’elle s’est construit. Elle monte et descend avec vivacité, ou bien s’établit au fond, accrochée par ses appendices terminaux. Dans cette position, elle meut continuellement sa tête de haut en bas, la bouche appliquée contre les parois, et en détache par le frottement de petits débris de tuf. Je n’ai pu constater si l’insecte avale quelque matière organique, ou s’il se borne à nettoyer les parois de sa demeure de façon à les laisser toujours perméables à l’eau. Je l’ai vue quelquefois plonger sa tête entière dans les fragments accumulés au fond du tube, et les expulser violemment à travers les parois. Aussi ces abris restent-ils d’ordinaire beaucoup plus transparents à leur partie inférieure que partout ailleurs.

Pour voir les larves à l’œuvre, j’ai détruit plusieurs fois diverses portions de leur demeure. Elle se sont toujours mises au moment même à réparer les brèches. J’ai souvent ouvert le fond d’un tube glaireux. Le tube s’affaisse alors immédiatement ; la larve se dirige vers la brèche, porte rapidement la tête dans tous les sens, et le tube se relève presque aussitôt : en un instant tout est réparé. Il en est de même quand on ouvre le tube dans sa longueur : on voit la larve exécuter aussitôt une série de mouvements, portant sa tête de droite à gauche et de gauche à droite, et les deux bords de la fente se trouvent bientôt réunis.

Si l’on détruit complètement l’abri d’une larve, elle cherche à s’établir ailleurs. On en voit toujours quelques-unes hors des tubes, en quête d’une place convenable pour leur demeure. Elles s’en vont évitant les courants d’eau, qui les entraîneraient infailliblement. Elles tâtonnent longtemps avant de se décider. J’en ai vu seulement quelques-unes prendre leur résolution et s’établir définitivement. Une entre autres, rencontrant une espèce de gouttière formée par un fragment de tube incrusté, commença par le déblayer des débris de tuf qui l’encombraient, puis se mit à filer. Elle assura d’abord le fond de sa future demeure au moyen d’une cloison transversale ; puis, jetant ses fils d’un bord de la gouttière à l’autre, elle établit au –dessus une voûte qui compléta son abri. En une heure de travail, le tube ainsi construit avait un centimètre de long. Toutes les larves ne sont pas aussi laborieuses ; il en est qui, avant de travailler pour leur compte, cherchent à s’emparer de l’œuvre des autres. J’en ai vu plusieurs essayer de s’introduire par la violence dans les abris de leur voisines J’avais un jour détruit complètement un tube, pour forcer la larve qui l’occupait à travailler sous mes yeux. Chassée de son abri, elle court çà et là pendant dix minutes, puis elle s’engage au milieu d’un amas de tube, et, avisant l’extrémité inférieure de l’un d’eux encore parfaitement transparent, elle le déchire largement d’un coup de mandibule. Le propriétaire de la demeure ainsi menacée accourt immédiatement sur la brêche, il écarte l’ennemi à coup de mâchoires et le repousse après un combat d’une minute ; puis, sans perdre de temps, il se hâte de réparer les dommages. L’assaillant revint deux fois à la charge, mais il ne parvint pas même à attaquer les parois, et s’éloigna enfin pour se perdre dans un autre amas de tubes.

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